«La seule façon de mettre les gens ensemble, c'est encore de leur envoyer la peste.» Albert Camus, La Peste (1947). Par Pr Kamel Sanhadji(*) Voilà près de quatre mois que nous affrontons le maudit virus du Covid-19. Voilà près de quatre mois d'annonces, de révélations, d'étonnement et de réactions. Si l'on y voit un peu plus clair, c'est bien grâce à l'éclat de la réaction sanitaire, épidémiologique, scientifique, sociologique, politique et économique. Maintenant que des données récentes sont disponibles, leur lecture semble confirmer l'impérieuse nécessité de considérer la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19), maladie infectieuse causée par le coronavirus Sars-CoV-2, avec beaucoup de sérieux et de pragmatisme. Ceci n'exclut pas, bien au contraire, de rester positif et optimiste grâce à la rigueur d'analyse des faits, en évitant la panique née de l'ignorance, de l'incohérence d'attitude ou de la course au sensationnel. Aussi, l'humanité est en émoi et doit faire face à des perturbations sociales et économiques majeures : un virus, de la grande famille des coronavirus, apparu en Chine, dans la ville de Wuhan, est en train de créer une situation cahotique planétaire majeure. Sur le plan historique, on rappellera qu'il est bien connu que la pandémie de peste noire du XIVe siècle a décimé près de 25 millions des populations européennes en cinq ans (1347-1352). Cependant, nous perdons la mémoire des grandes épidémies récentes telles que la grippe espagnole ou la grippe asiatique tout en occultant en permanence les diverses épidémies affectant les pays du Sud. La pandémie actuelle Covid-19 semble particulière même si les récentes pandémies animales (aviaire, porcine), observées depuis 25 ans, avec l'apparition de pandémies similaires chez les humains, ne doit pas surprendre. Nous y sommes ! L'épidémie locale chinoise s'est répandue à toute vitesse car elle est apparue à un moment où les Chinois avaient quelques vacances pour leur Nouvel An en se livrant à d'intenses migrations dans le pays. Moment à hauts risques pour la diffusion d'un virus à forte contagiosité. Aujourd'hui, grâce aux sources les plus sérieuses, comme le relevé global des cas rapportés quotidiennement par la célèbre université Johns Hopkins aux Etats-Unis, les publications en accès libre dans de prestigieuses publications scientifiques (The Lancet, Journal of American Medical Association et New England Journal of Medicine) par des équipes chinoises en collaboration avec des auteurs extérieurs, nous éclairent et nous instruisent. La comparaison fréquente, mais nécessaire avec les épidémies du Sras, du Mers, d'Ebola ou autres épidémies H1N1 présente un réel intérêt pour les experts épidémiologistes et cliniciens, mais leur présentation fragmentaire et superficielle dans les médias semble pouvoir produire aujourd'hui un effet contre-productif et imprécis dans l'esprit du grand public, premier concerné. La clarté et la transparence, si nécessaires pour tous, semblent trouver des limites. Limites dictées parfois par des considérations d'affaires et/ou politiques, mues par la nécessité d'éviter la panique des populations. Celle-ci naît pourtant de l'ignorance ou, pire, du doute sur l'information donnée. Ainsi, s'il est reconnu aujourd'hui que la pandémie de grippe espagnole de 1918, due à une souche H1N1, a tué entre 50 et 100 millions d'individus, plus que la peste noire, bien que beaucoup de personnes la placent après la Première ou la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant. Ce que l'on sait sur le Covid-19 Le pangolin accusé, puis la chauve-souris Nouvelle offensive virale d'envergure venant de Chine. Le 8 décembre 2019, les autorités chinoises ont rapporté l'apparition d'une pneumonie virale particulière. L'implication d'un nouveau coronavirus nommé au début «nouveau coronavirus 2019 (2019-nCoV)» a été suspectée. Très rapidement, les chercheurs chinois vont décrire les caractéristiques génomiques de ce 2019-nCoV et étudier les similarités et différences avec les CoV existants en Chine (en incluant le Sars-CoV de 2003 et le Mers-CoV de 2013). Ce virus 2019-nCoV est très proche des coronavirus présents chez la chauve-souris. Les auteurs affirment que ces animaux sont probablement le réservoir de ce pathogène viral émergent, sans exclure totalement qu'un hôte intermédiaire puisse se situer dans la transmission de la chauve-souris à l'homme. Le pangolin (un fourmilier), pourvoyeur d'une viande appréciée des Chinois et de ses écailles pour la médecine chinoise, a été proposé par certains auteurs comme étant impliqué dans la transmission humaine. Un sujet qui a été débattu au sein des experts qui ont abandonné l'hypothèse et se sont repositionnés sur la chauve-souris. Plus de 2 000 cas d'infection sont confirmés fin janvier 2020 dans la population ou les visiteurs de Wuhan. L'épidémie de Covid-19 va se répandre très rapidement. Commencée dans la province de Hubei (et la ville de Wuhan), elle a envahi le reste de la Chine. On assiste cependant à une explosion du nombre de malades. L'épidémie progresse rapidement tout en attirant l'attention du corps médical sur la puissante infectiosité du virus. De plus, elle va progresser via des porteurs sains (ou asymptomatiques) partant en vacances aux quatre coins de la Chine. Un bilan catastrophique qui a rapidement débouché sur la mise en place de protocoles de confinement drastiques de toute la population et à la construction, à la va-vite, d'hôpitaux dans des temps records pour accueillir de nombreux malades en détresse respiratoire. Le nombre total de cas (et de morts) a augmenté exponentiellement dans diverses provinces chinoises. Il semblerait qu'en mars 2020 la Chine soit arrivée à freiner la phase exponentielle de croissance du virus, puis à largement circonscrire l'apparition de nouveaux cas sur son territoire en un temps record, grâce aux mesures radicales mises en place. Les hôpitaux récemment construits se vident (selon les messages diffusés par les autorités vers le 15 mars 2020). Elle fait même mieux et utilise judicieusement ses capacités de production d'équipements de protection comme un outil au service de sa diplomatie sanitaire en procédant à des aides à l'Iran, l'Italie ou la France. L'émergence récente de ce nouveau pathogène (Sars-CoV-2) en Chine et sa propagation nationale et internationale rapide posent une urgence sanitaire planétaire majeure. La créativité de nombreux chercheurs a été stimulée avec la production de milliers de publications en près de quatre mois. Deux objectifs thérapeutiques majeurs : empêcher l'entrée du virus dans les cellules saines, bloquer sa réplication s'il pénètre ou préparer un vaccin (mais c'est un processus qui prend du temps). La recherche fondamentale est également engagée dans l'identification des mécanismes pathogènes responsables d'une létalité de ce virus (1-2%) qui semble être supérieure à celle de la grippe usuelle (0,1%) (sans que des quantifications précises puissent être avancées en l'absence d'évaluation de tous les contaminés). Il y a parfois une tendance de certains chercheurs à faire fonctionner des algorithmes prédictifs trop catastrophistes. Une découverte importante, les récepteurs présents à la surface des cellules humaines qui sont capables de reconnaître ce coronavirus Sars-CoV-2 émergent sont les mêmes que ceux du Sars (Sars-CoV-1). Il s'agit de l'enzyme de conversion de l'angiotensine («angiotensin-converting-enzyme II ou ACE2 ») évoquée précédemment pour le Sars. Les chercheurs espèrent développer des antiviraux à très large spectre qui protégeront les individus des complications liées à l'émergence Sars-CoV-2 ou de plusieurs nouveaux coronavirus qui apparaîtront dans le futur. Les équipes tentent d'identifier les protéines immunogènes (ou immunisantes) dans le but de déboucher sur le développement d'un vaccin. Ce que l'on sait sur les mécanismes du Sars-CoV-2 et sa cible Une étude réalisée dès 2003 avait montré que le récepteur fonctionnel de Sars-CoV (le Sars du syndrome respiratoire aigu sévère) est l'enzyme de conversion de l'angiotensine-2, l'ACE2. Une étude réalisée sur un coronavirus similaire à celui du Sars (Sars-like-CoV) chez la chauve-souris a également démontré que ce type de Sars-CoV se lie également à un récepteur qui est l'ACE2. Il s'agit d'une donnée qui pourrait expliquer la transmissibilité aisée du CoV de la chauve-souris à l'homme. La nature du récepteur permet peut-être de comprendre certains aspects pathologiques dus à l'infection virale. La fixation du virus à ce récepteur permet l'invasion cellulaire et va notablement perturber la fonction de l'enzyme. Cette dernière (ACE2) fait partie du système rénine-angiotensine, régulateur essentiel du système cardiovasculaire, de la pression artérielle et de la fonction rénale. Au niveau pulmonaire, l'ACE2 se trouve sur les pneumocytes des alvéoles pulmonaires (cellules à mucus et cellules ciliées) ainsi que sur les cellules de l'endothélium des capillaires. Chez les sujets très affectés par l'infection et confrontés à un «Syndrome de détresse respiratoire (SDRA)» grave, la barrière alvéolo-capillaire est détruite, les cellules alvéolaires, la structure des alvéoles et les capillaires sont lésés et deviennent très perméables.La diffusion de l'oxygène se fait très mal et le risque d'installation d'un œdème pulmonaire grave est majeur. Les scanners thoraciques, très utilisés dans les diagnostics des patients permettent de bien révéler les dégâts occasionnés dans le parenchyme pulmonaire dans les pneumonies caractéristiques du Covid-19 et d'évaluer les chances de survie et de récupération des patients. Des scientifiques américains ont publié récemment, dans la revue Science, la première carte anatomique en trois dimensions de la partie (pointes, spicules ou spikes) du nouveau coronavirus Sars-CoV-2 qui infecte les cellules humaines. Ces chercheurs, grâce à une technologie appelée «cryo-microscopie électronique», ont voulu modéliser la partie importante par laquelle le virus s'attache aux cellules qu'il va envahir. Ces pointes sont appelées «glycoprotéines de spicule (glycoprotein spikes) appelée protéine S. Ces pointes, introduites dans l'organisme sous forme d'un candidat vaccin, constituent l'antigène viral pouvant susciter le déclenchement, de façon préventive, de la production d'anticorps par le système immunitaire, afin qu'il soit prêt à répondre à une attaque le jour où le virus sauvage arrive. Il s'agit d'une étape très importante pour le développement de traitements et de vaccins. Les protéines de l'enveloppe virale des coronavirus font l'objet de travaux intenses. D'autres pistes interventionnelles thérapeutiques risquent d'émerger rapidement. Ce que l'on sait sur les traitements Nous surveillons comme le lait sur le feu les différentes pistes de recherches pour un traitement. Aucun traitement ni vaccin Les laboratoires se mobilisent pour fournir au plus vite des médicaments et vaccins afin d'enrayer l'épidémie de coronavirus. Plusieurs pistes sont prometteuses, mais il faudra attendre au moins plusieurs semaines avant que les premiers traitements ne soient commercialisés. Ces essais se situent dans deux grandes stratégies, qui correspondent aux deux phases de la maladie : une première stratégie virologique, qui consiste à empêcher le virus de se répliquer et donc à ralentir, voire interrompre l'infection. Une seconde immunologique, qui consiste à moduler la réponse immunitaire, pour empêcher la flambée inflammatoire qui se produit dans la deuxième phase de la maladie, en général 7 à 14 jours après l'apparition des signes cliniques, et qui, souvent, fait basculer le patient dans un état sévère et nécessite une hospitalisation. a) Du côté des traitements antiviraux Rappelons d'abord que la maladie étant due à un virus, le coronavirus Sars-CoV2, et non une bactérie, les antibiotiques s'avèrent inefficaces (sauf pour prévenir une surinfection). Il s'agit essentiellement de : - L'essai européen «Discovery» qui étudie, depuis le 22 mars, l'efficacité de quatre traitements expérimentaux (essai à quatre bras) contre le Covid-19, parmi lesquels : 1) l'hydroxychloroquine, 2) le remdesivir, 3) une combinaison lopinavir + ritonavir (Kaletra) et, 4) une combinaison Kaletra+interféron bêta. Les conclusions de cet essai ne sont pas encore disponibles. - L'essai clinique «Coviplasm» a débuté le 7 avril dans 3 hôpitaux français. Il consiste à injecter le plasma (partie liquide du sang qui contient des anticorps) de patients guéris du Covid-19 à des malades afin de les aider à mieux combattre le virus. Il s'agit d'une sérothérapie passive comme par exemple la sérothérapie contre le tétanos. - L'essai clinique utilisant un immunosuppresseur (Kevzara), qui inhibe l'activité du système immunitaire, déjà utilisé pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, et qui pourrait aider les patients atteints d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë. b) Du côté des vaccins Solution de long terme contre la maladie, la mise au point d'un vaccin nécessite un délai de plusieurs mois entre sa conception et sa mise sur le marché. Les travaux en cours en sont pour le moment au stade préclinique. Une bonne nouvelle néanmoins : la relative stabilité génétique du virus pourrait rendre le futur vaccin efficace sur le long terme. Il s'agit : - Aux Etats-Unis, le premier essai clinique pour tester un vaccin a débuté le 16 mars. Le «mRNA-1273» a été développé par des scientifiques des Instituts nationaux de santé américains (NIH) et d'une entreprise de biotechnologies américaine. La phase 3 de cet essai commencera en fonction des résultats de ces études. - L'Australie et les Pays-Bas ont débuté leurs premiers essais cliniques afin de déterminer si un vaccin déjà existant, le vaccin contre la tuberculose (BCG), serait efficace pour combattre le virus, ou du moins atténuer les symptômes de la maladie. La France devrait prochainement commencer ses propres tests également. A noter que le BCG agirait, tout simplement, comme un immunostimulant de l'immunité globale et non d'une immunité spécifiquement anti-Covid-19. - Un autre vaccin existant, celui contre la rougeole, est également étudié de près par les chercheurs de l'Institut Pasteur pour en élaborer un dérivé. Il serait utilisé comme vecteur de certains antigènes du SARS-CoV-2. - Une société allemande serait en mesure de commencer les premiers tests de son candidat vaccin en juin prochain en Allemagne et en Belgique. c) Du côté des tests diagnostic du Covid-19 La généralisation des tests de dépistage du coronavirus est devenue une priorité pour combattre la pandémie et mettre en place les meilleures mesures de déconfinement. La technique consacrée et validée est bien la réaction d'amplification en chaîne de la polymérase (test PCR). Néanmoins et en test complémentaire, la sérologie pourrait renforcer le dépistage. Elle permettra de dater la contamination, d'une part, et de révéler, d'autre part, l'existence d'une immunité grâce aux anticorps fabriqués par le système immunitaire en réaction à une telle infection. Le test sérologique pourra, aussi, être utilisé comme un argument technique de déconfinement. Ce test n'est pas encore validé car il souffre de quelques imperfections techniques. Aussi, une firme française va pouvoir lancer rapidement un kit de dépistage sanguin, capable de détecter en 15 minutes la présence d'anticorps spécifiques au virus dans une goutte de sang. A noter que les tests rapides ne sont pas toujours les plus performants en matière de précision et de quantification biologique. Une autre entreprise française a présenté, récemment, une application sur mobile qui serait capable d'interpréter les résultats d'un test sanguin grâce à l'intelligence artificielle et donc de confirmer à son propriétaire s'il est ou non atteint du Covid-19. En résumé et pour l'essentiel, on retiendra : - ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas encore sur le coronavirus : a) en moins de 4 mois, on connaît la structure du virus, son génome, les récepteurs cellulaires, la description clinique des symptômes, la chronologie de la maladie et les différentes étapes de la réponse immunitaire ; b) on ne connaît pas encore les causes des inégalités sexuelles (les hommes sont plus touchés que les femmes), les déterminants des formes graves, les causes du faible impact sur les enfants et des disparités régionales et surtout : «Est-ce que la maladie est immunisante ?» En d'autres termes, est-ce que le fait d'avoir été atteint confère une protection évitant une nouvelle contamination ? Sur ce dernier point, la stratégie de déconfinement basée sur l'acquisition d'une immunité de groupe pourrait être remise en cause. - Première étape de la recherche : tester des médicaments existants contre le coronavirus, en particulier l'essai clinique de grande ampleur, Discovery, lancé le 22 mars et vise à tester quatre traitements potentiels, dont la controversée hydroxychloroquine, sur 3 200 patients en Europe. Il s'agit uniquement de patients hospitalisés et plus ou moins gravement atteints. - Seconde étape : disposer de médicaments ciblant les récepteurs cellulaires du virus, des médicaments qui pourraient, demain, s'attaquer spécifiquement au coronavirus. Aussi, la mise au point d'un vaccin reste le principal espoir pour arriver à bout du virus. En effet, on compte dans le monde 150 projets visant à développer un vaccin contre le coronavirus. K. S. * Professeur des universités. Directeur du Centre de recherche en sciences pharmaceutiques, Constantine.