En 1954, le ministre de l'Intérieur, le jeune François Mitterrand, avait déclaré «l'Algérie, c'est la France ». Il se trompait totalement car l'Algérie n'a jamais été que la terre d'hommes rebelles qui n'ont jamais cessé de combattre pour vivre librement dans leur pays. Dès l'occupation française en 1830, la guerre déclenchée contre les colonisateurs ne s'est jamais arrêtée. Désarmés, affamés et martyrisés, les Algériens ont continué à résister malgré les génocides, les déportations et les enfumades. Les crânes de résistants comme Boubeghla, le cheikh Bouziane et Moussa Al-Darkaoui, sont la preuve de cette cruauté. Prélevés sur les corps de résistants, ces crânes ont été rapatriés en France après avoir été promenés en Algérie et exposés afin que tous les «Arabes» connaissent bien le châtiment réservé aux «fauteurs de l'insurrection». Fanfaronne à cette époque, la France coloniale a voulu faire de ces crânes des trophées de guerre. C'est là aujourd'hui, l'une des pages sombres de l'Histoire de la France qu'elle ne peut cacher car les restes des martyrs d'Algérie qui vont enfin être enterrés dans le sol de leur patrie après avoir été stockés plus d'un siècle au Musée de l'Homme à Paris, sont là pour témoigner de sa barbarie. Ils sont là pour rappeler aussi que l'Algérie toute entière a été le théâtre de plusieurs batailles héroïques menées par ses enfants contre le colonialisme. L'héroïque Boubaghla À deux jours des célébrations de l'anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, 24 crânes de résistants, arrivés hier à Alger, ont été hautement honorés par les autorités. Une cérémonie qui replonge tout un chacun dans la glorieuse Histoire de résistance du peuple algérien. Parmi les restes rapatriés, il y a ceux de Mohammed Lamjad ben Abdelmalek, dit Chérif Boubeghla, et Ahmed Bouziane. Deux icônes de la résistance populaire contre l'occupation française. Leurs têtes ont été prises comme des trophées de guerre avant d'atterrir dans les réserves du musée de l'Homme à Paris où elles étaient «conservées» depuis un siècle et demi. Né en 1820 à l'Ouest de l'Algérie, Chérif Boubeghla a été l'initiateur d'une révolte populaire, qui porte son surnom, contre la colonisation française dans la région du Djurdjura, en Kabylie. Une révolte qu'il dirigea, jusqu'à sa mort, le 26 décembre 1854. À son jeune âge, il exerça le métier d'enseignant dans une école coranique, qui, au même moment, soignait les malades et les incitait à rejoindre la résistance contre le colonisateur. En 1851, les Français se rendirent compte des activités instigatrices de Chérif Boubaghla et ordonna son arrestation, l'accusant de subversion et d'incitation à la rébellion , il réussit à s'évader pour se réfugier à la Kalaâ des Beni Abbas ensuite rejoignit la tribu des Melikeuch le 24 février 1851 où il l'érigea comme base arrière de sa révolte contre l'occupation française. Il remporta sa première victoire militaire contre les forces françaises commandées par l'officier Beauprêtre gouverneur de Béni Mansour le 2 mars 1851. Du 24 mars au 4 avril 1851, il multiplia ses attaques contre l'ennemi avec réussite, il essaya en outre d'étendre sa révolte dans les différentes régions du pays par le biais d'un groupe de messagers qu'il chargea de faire la propagande à Médéa, El-Asnam, Miliana …etc. En Août 1851, il lança la révolte de la Kabylie. Chérif Boubeghla a réussi à défaire un détachement de l'armée française dans un affrontement près de Boghni (en Kabylie), le 18 août 1851. A la suite de cette défaite, une expédition française a opéré pendant un mois sous les ordres du général Pélissier, pour tenter de réduire les insurgés. Après son retour à Ath Melikeuch, il a étendu son action vers la Kabylie côtière si bien que le 25 janvier 1852, une colonne française de trois mille fantassins fut nécessaire pour rouvrir la route entre El Kseur et Béjaïa. En juin de la même année, il a été blessé à la tête, pendant un combat qui a eu lieu au village Tighilt Mahmoud (près de Souk El Tenine). En 1853, il a réussi à relancer le mouvement de résistance. Mais, le gouverneur de la région d'Azaga, en Kabylie, le général Randon, monte une expédition à la mi-1854, pour mater la tribu des Ath Djennad, soutien de Boubaghla. À la suite de la prise du village d'Azib, l'assaut est donné aux Ath Yahia. Après quarante jours d'escarmouches, l'opération coûte au général Randon, 94 soldats tués et 593 blessés. Cherif Boubaghla, blessé, quitte alors la région pour retourner à Ath Melikeuch, où il reprend son travail d'organisation. Il parvient entre autres à s'allier à Lalla Fatma N'Soumer. En 1854, après avoir été dénoncé, il est poursuivi par les frères Mokrani qui s'étaient alliés aux Français. Sa tête fut tranchée alors qu'il était encore en vie. La révolte des Zaâtchas Quant à Cheikh Bouziane, celui-ci fut le chef de la révolte de l'oasis des Zaâtchas, qui a tenu en échec deux mois durant l'armée française dans ce qui fut l'un des combats les plus meurtriers de la conquête de l'Algérie. Dans l'Annuaire de l'Afrique du Nord, le docteur Settar Ouatmani révèle dans le détail l'épisode de l'insurrection des Zibans. C'était en 1849 : Bouzian, habitant de l'oasis de Zaâtcha, située à 35 km au sud-ouest de Biskra, souleva la population de sa région et son mouvement se développa par la suite, englobant le Sud-Constantinois. En dépit de tous les moyens mis en œuvre, au cours des mois de mai et juin 1849, par l'autorité française, le mouvement de Bouzian ne cessa de s'intensifier. Au début du mois de juillet 1849, une expédition militaire, commandée par le colonel Carbuccia, gagna les Zibans, dans le but de mettre fin à l'insurrection. L'échec de cette expédition permit à Bouzian de concentrer ses efforts sur l'Aurès afin de le faire basculer dans le mouvement, ce qui fut le cas. La défaite à Sériana (17 septembre 1849) sapa la dynamique du mouvement. Dans ce contexte, une nouvelle expédition militaire, commandée par le général Herbillon, arriva à Zaâtcha, le 7 octobre 1849. Après un long siège épuisant au cours duquel l'armée française a subi beaucoup de pertes, et après l'échec d'un premier assaut, elle décida, le 26 novembre 1849, de lancer un nouvel assaut pour s'emparer de Zaâtcha. Plus de 3 000 soldats sous le commandement du général Herbillon ont lancé l'attaque contre le village. Les défenseurs de Zaâtcha, voyant l'impossibilité de refouler les Français, se réfugièrent à l'intérieur de leurs maisons pour continuer la lutte. Dans son écrit historique, le docteur en histoire Settar Ouatmani a cité plusieurs rapports sur les opérations de la colonne expéditionnaire des Zibans ou encore des témoignages de soldats français. «On reconnaît alors l'utilité des pétards (écrit le sergent-major Ribes). De tous les côtés alors, les détonations de pétards se succèdent, l'on ne voit plus que des maisons qui sautent, des pans de murs qui s'écroulent en livrant de larges ouvertures dans les sombres demeures des indigènes, d'où sort encore un feu soutenu, et où nos intrépides soldats se jettent résolument, passant tout ce qui se présente à la baïonnette.» «Mais le meilleur témoignage de ces exactions est rapporté par Charles Baudiour qui écrit en 1851 : ‘‘Les zouaves, dans l'enivrement de leur victoire, se précipitaient avec fureur sur les malheureuses créatures qui n'avaient pu fuir. Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d'une pauvre femme qui demandait comme une grâce d'être achevée, et expirait quelques instants après dans des souffrances atroces; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille; ailleurs, c'était d'autres scènes qu'un être dégradé peut seul comprendre et qu'une bouche honnête ne peut raconter ...» (Baudicour, p. 507). C'est par le biais d'une dénonciation que Bouzian qui combattait aux côtés d'une centaine de ses partisans dans l'une des maisons, a été découvert avant de tomber sous les balles des zouaves. Son fils, âgé à peine de 17 ans, connut le même sort tout comme les survivants de l'assaut. Le général Herbillon ne se contenta pas de la mort de Bouzian : sa tête fut fixée à la baïonnette d'un fusil; à la baguette fut pointée celle de son fils et sur la capucine fut placée celle de Al-Darkaoui. Ces têtes furent exposées dans le camp pour, dit-il, «convaincre les incrédules de leurs morts et servir d'exemple à ceux qui essayeraient de les imiter». Ces têtes furent exhibées ensuite au marché de Biskra. La tête de Bouzian fut enfin conservée à Constantine avant d'être emmenée plus tard au muséum de Paris. 536 crânes et ossements recensés Les crânes d'autres héros de l'Algérie ont également été rapatriés et l'histoire de leurs sacrifices marque tout autant les esprits, donnant ce sentiment de fierté que d'être un descendant de ces aïeux valeureux et glorieux. À l'exemple de Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui, Aïssa El-Hamadi ou encore Cherif Bou Amar Ben Kedida, et d'autres de leurs frères, dont un jeune résistant d'à peine 18 ans de la tribu de Beni Menasser, nommé Mohamed Ben Hadj. Ils seront exposés, aujourd'hui, au public dans le hall du Palais de la culture pour un dernier hommage, avant d'être enterrés demain au carré des Martyrs du cimetière d'El-Alia. Il est à rappeler que le nombre de crânes d'Algériens conservés au Muséum national d'histoire naturelle de Paris s'élève à 536 venant de toutes les régions d'Algérie, comme l'a indiqué le chercheur algérien en histoire et anthropologie Ali Farid Belkadi. «Le dernier recensement, au 18 avril 2018, s'élève à 536 crânes. Ils viennent de toutes les régions d'Algérie, de Khenchela, d'Oran, de Batna, de Skikda, d'el-Kala, d'Alger. Parmi ces 536 crânes et ossements figurent ceux d'hommes préhistoriques, très peu nombreux. Tous n'ont rien à faire en France », avait affirmé le chercheur qui avait découvert, dans le cadre d'un travail de recherche en mars 2011, les crânes d'Algériens qui avaient combattu à Zaâtcha (Biskra) l'armée française en 1849. Liste des résistants algériens Les ossements de 24 résistants algériens à l'occupation française, conservés depuis un siècle et demi au Musée national d'histoire naturelle de Paris, ont été rapatriés hier, en Algérie. Il s'agit, notamment, des restes mortuaires de six chefs de la résistance populaire contre l'occupation française dont: -La tête momifiée de Aissa Al-Hamadi, compagnon de Chérif Boubaghla -Le crâne de Chérif Boubaghla dit le Borgne -Le crâne de Bouziane, chef de la révolte de l'oasis des Zaâtchas -Le crâne de Si Moussa, compagnon de Bouziane -Le crâne de Cherif Boukdida dit Bouamar Ben Kdida -Le crâne de Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui Onze autres crânes de résistants algériens à la colonisation française ont été identifiés par le comité scientifique mis en place. Il s'agit du: -crâne de Saïd, un marabout décapité en 1841 à Bab Elloum, Alger-Centre -crâne non identifié d'une personne décapitée en 1841 -crâne de Amar Bensliman, Alger-Centre -crâne de Mohamed Ben El Hadj, âgé entre 17 et 18 ans, de la grande tribu de Beni Menacer -crâne de Belkacem Ben Mohamed El-Djenadi -crâne de Ali Khelifa Ben Mohamed, 26 ans, décédé à Alger le 31 décembre 1838 - crâne de Keddour Ben Yettou - crâne de Essaid Ben Delhis de Beni Slimane -crâne de Saâdi ben Saâd de la région de Collo -tête non identifiée -crâne de Lahbib ould...( nom incomplet), né en 1844 dans la région d'Oran. Neuf autres crânes n'ont pas pu être identifiés, à l'heure actuelle, par le comité scientifique qui poursuit, néanmoins, son travail en vue de leur identification.