Des Libanais en colère manifestaient, hier, dans le centre de Beyrouth pour demander des comptes à la classe politique qu'ils jugent responsable de la terrible explosion ayant dévasté une partie de la capitale, faisant plus de 150 morts tandis qu'une soixantaine de personnes sont toujours portées disparues. Deux jours après une visite du président français, Emmanuel Macron, l'activité diplomatique s'intensifie à Beyrouth pour organiser le soutien international au pays sinistré, à la veille d'une conférence de donateurs. Beyrouth s'est réveillée pour le quatrième jour consécutif au son du verre brisé ramassé dans les rues par les habitants et une armée de volontaires, équipés de balais, mobilisés dès la première heure. L'explosion au port mardi, dont les circonstances ne sont toujours pas élucidées, aurait été provoquée par un incendie qui a touché un énorme dépôt de nitrate d'ammonium, une substance chimique dangereuse. La catastrophe a fait au moins 154 morts et plus de 5.000 blessés dont au moins 120 sont dans un état critique, selon le ministère libanais de la Santé, ainsi que près de 300.000 sans-abri. L'ambassade de Syrie a annoncé samedi que 43 de ses ressortissants figuraient parmi les victimes. De leur côté, les Pays-Bas ont annoncé que l'épouse de l'ambassadeur néerlandais au Liban Jan Waltmans était décédée des suites de ses blessures. Plus de 60 personnes sont toujours portées disparues, alors que les espoirs de retrouver des survivants s'amenuisent. Toujours sous le choc après cette explosion d'une violence inégalée dans l'histoire du pays, nombre de Libanais demandent des comptes à une classe politique dont ils dénoncent l'incurie et la corruption. Sur la place des Martyrs, épicentre de la contestation populaire depuis octobre dernier, où les manifestants commençaient à converger pour manifester sur le thème «Le Jour du jugement», des potences ont été installées. «Après trois jours passés à déblayer les décombres et panser nos plaies, il est temps de laisser exploser notre colère et de les sanctionner pour avoir tué des gens», affirme Farès al-Hablabi, 28 ans. «Nous devons nous dresser contre tout le système (...) le changement doit être à la mesure de l'ampleur de la catastrophe», ajoute ce militant descendu dans la rue dès le déclenchement du soulèvement populaire le 17 octobre 2019. Si le mouvement s'est essoufflé au cours des derniers mois, notamment en raison de la pandémie de coronavirus - qui continue de s'aggraver au Liban -, le drame pourrait le relancer de plus belle. «Nous n'avons plus rien à perdre. Tout le monde doit descendre dans la rue», affirme Hayat Nazer, une militante à l'origine de nombreuses initiatives de solidarité.. Le président Michel Aoun, de plus en plus décrié, a dit clairement vendredi qu'il s'opposait à une enquête internationale, affirmant que l'explosion pourrait avoir été causée par la négligence ou par un missile. Après des accusations à son encontre, dans les médias et sur les réseaux sociaux, le mouvement Hezbollah a «nié catégoriquement» posséder un «entrepôt d'armes» dans le port de Beyrouth. «Ni entrepôt d'armes, ni entrepôt de missiles (...) ni une bombe, ni une balle, ni nitrate» a martelé le chef de l'organisation chiite, Hassan Nasrallah. Une vingtaine de fonctionnaires du port et des douanes ont été interpellés, selon des sources judiciaire et sécuritaire. Pour leur part, trois députés du parti Kataëb (opposition), un parti historique chrétien, ont démissionné hier, à la suite de l'explosion dans laquelle le secrétaire général de cette formation historique chrétienne a été tué, affirmant que le temps était venu de bâtir un «nouveau Liban». Ils viennent s'ajouter à deux autres parlementaires qui avaient déjà démissionné après l'explosion. Le Liban est en plein naufrage économique, après avoir fait défaut sur sa dette, et ses dirigeants ont été incapables de s'entendre sur un plan de sauvetage économique avec le Fonds monétaire international (FMI). Le président du Conseil européen, Charles Michel, venu à Beyrouth, pour témoigner de la «solidarité» des Européens «choqués et attristés», a assuré aux Libanais qu'ils n'étaient «pas seuls». L'UE, qui a déjà débloqué 33 millions d'euros, «veut être à vos côtés, pas simplement avec des déclarations, pas simplement avec des mots, avec des actes», a-t-il dit après un entretien avec le président Aoun. Le chef de la Ligue arabe, Ahmad Aboul Gheit, ainsi que le vice-président turc, Fuat Oktay, et le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, se sont également rendus, hier, à Beyrouth pour assurer les responsables libanais de leur soutien. Sans attendre, plusieurs pays ont dépêché du matériel médical et sanitaire ainsi que des hôpitaux de campagne.