Les quittances d'eau, d'électricité et de gaz ont plus que doublé. Comme à son habitude, le chef du gouvernement était à l'aise devant le parterre de journalistes qui l'ont pressé de questions à la résidence Djenane el Mithaq. Il l'était d'autant plus qu'aucun organisme algérien n'est en mesure à l'heure actuelle de contredire les chiffres qu'il avance. Ni l'ONS ni aucune autre institution ne connaît vraiment la réalité des statistiques. L'autre avantage de Ahmed Ouyahia, c'est qu'au contraire des autres hommes politiques algériens, à l'exception peut-être du président de la République lui-même, il ne verse pas dans le discours démagogique et populiste facile, préférant s'adonner à l'exercice froid des statistiques et des arguments chiffrés. En cela, il se veut d'abord un pragmatique. Un peu à la manière américaine. Il inaugure un nouveau style de gouvernance qui se veut moderne et qui est censé être basé sur le parler vrai. A ce jeu, bien sûr, il ne pourrait être battu que par un rival qui se plaît au même exercice pragmatique et «moderne». En revenant donc sur sa conférence de presse, on pourra dire que M.Ouyahia a asséné quelques vérités dont lui seul a le secret. Des chiffres qui semblent lui donner raison pour ce qui est des grands équilibres macroéconomiques: 5,1% pour ce qui est du taux de croissance à la fin 2005. baisse de la dette extérieure à 15,5 milliards de dollars, le taux de chômage qui est tombé à 15,3%, l'Etat qui injecte près de 100 milliards de dollars pour le plan de consolidation de la croissance. On pourrait dire à la bonne heure, si par ailleurs des réalités plus amères ne venaient pas rappeler aux princes qui nous gouvernent que le chômage est une réalité de tous les jours vécu par une bonne partie de la population, que, malgré ce qui est si magistralement affirmé, l'inflation n'est pas vraiment vaincue dans un pays où la pomme de terre coûte 30 dinars et où le prix du kilo de l'oignon tourne autour de 70 dinars. Ou bien alors de quelle inflation parlez-vous? Si nous ne parlons pas le même langage, dites-le nous? D'autres chiffres peuvent très bien contrebalancer ceux avancés par le chef du gouvernement. N'importe quelle ménagère vous indiquera que la viande est un luxe en Algérie: le prix de la viande rouge (avec os) avoisine les 800 dinars le kilo. Cela veut dire quoi? sinon que la viande est un luxe en Algérie. Des familles moyennes ne peuvent se permettre qu'une demi-livre de viande congelée - et pas tous les jours monsieur - surtout pour donner une saveur à la sauce. Revenons à l'inflation: les quittances d'eau, d'électricité et de gaz ont plus que doublé en quelques années, dans le même temps où il est si magnifiquement annoncé que les prix sont maîtrisés. A moins que nous ne parlions pas de la même réalité. Il faut croire. Le fait nouveau dans tout cela, c'est qu'il y a quelques années à peine, M.Ahmed Ouyahia rencontrait des contradicteurs dans la salle, dans les travées du Parlement, voire dans les colonnes des journaux, mais qu'aujourd'hui il joue sur du velours. La chose est entendue d'avance. Il suffit pourtant de regarder autour de soi pour voir que mis à part la question de la violence terroriste, qui a été ramenée à sa portion congrue, tous les indicateurs ne sont pas vraiment au vert. Le chômage est là, réel, palpable, visible, adossé au mur ou courant les rues, avec son lot de misère sociale. Il est toujours aussi difficile à un Algérien de mettre sur pied une entreprise. Les banques travaillent toujours comme au temps de Mathusalem. La crise du logement est aussi dramatique qu'il y dix ou quinze ans. La situation est d'autant plus alarmante que la situation financière du pays s'est nettement améliorée. Augmentation des rentrées en devises du pays, diminution de la dette extérieure, un matelas en dollars que beaucoup de pays nous envient, mais l'économie de l'Algérie continue à dépendre de l'exportation des hydrocarbures: le secteur des services est au point mort, ce qu'on appelle le développement durable est toujours le parent pauvre de l'activité économique nationale, tout simplement parce que les pouvoirs publics n'arrêtent pas de mettre des bâtons dans les roues à la création d'emplois dans ce secteur. Lorsqu'on ferme l'audiovisuel, lorsqu'on brime le tourisme et l'agriculture, lorsqu'on ferme la publicité et la communication; on peut être sûr qu'on va continuer à vivoter et à rester à la traîne. Pour cesser de ronronner, il n'y a qu'un remède: celui qui consiste à regarder ce que font nos voisins. Or, en la matière, la Tunisie, le Maroc et l'Egypte nous ont largement dépassés. Que pourrait-on ajouter de plus à cela?