La littérature tunisienne était à l'honneur, mercredi dernier, au café littéraire de la Bibliothèque nationale d'Alger. «Je ne suis ni arabe, ni musulman, ni tunisien. Et pourtant je suis le seul spécialiste à proposer une synthèse complète sur la littérature contemporaine tunisienne». Dès les premières minutes de la conférence, le personnage est cerné et le contexte est planté : l'entrevue avec l'écrivain Jean Fontaine promet d'être insolite. Ainsi, on apprend que cet homme de lettres, né en France, et de formation scientifique à l'origine, voue une passion démesurée au monde littéraire arabe et plus particulièrement maghrébin. Ses nombreux séjours d'études à travers le Maroc, le Liban, la Palestine, l'Irak, le Koweït...ainsi que son implantation en Algérie ou encore en Tunisie, permettent de confirmer cet intérêt particulier. Il en a même consacré une vingtaine d'ouvrages publiés à travers le monde. Mais le plus impressionnant est, sans doute, lorsque l'homme ponctue son discours de citations d'un arabe excellent. L'auditoire est alors d'abord intrigué puis ne peut s'empêcher de porter une oreille attentive au discours riche et cultivé du conférencier. De manière très pédagogue, c'est toute l'histoire de la littérature tunisienne contemporaine qui est passée en revue. L'exposé s'articule autour de quatre thèmes qui mettent en relief le lien inéluctable entre l'histoire politique de la Tunisie et son développement littéraire. Ainsi, il semblerait que chaque grand changement littéraire ait été influé par des événements politiques cruciaux. Le style avant-gardiste aurait été provoqué par l'indépendance des années 1960, l'essor du théâtre par la libéralisation économique, la poésie cosmique par les événements sanglants de 1978 et enfin l'ère romanesque par le retrait du président Bourguiba. Autant d'éléments mis en perspective pour tenter une exquise définition de la littérature tunisienne. Aujourd'hui, le roman réaliste fleurit abondamment dans les librairies tunisiennes, mais il n'en a pas toujours été le cas ; En effet, la situation économique de ces dernières décennies, les bouleversements politiques sans oublier le culte de la censure marquent une évolution fragile et titubante. De fait, les pressions d'ordre religieux ont aussi tenté de condamner, supposées blasphématoires, toutes ces tentatives d'évasion à des fins culturelles. La littérature expérimentale apparaît alors comme une déviation évidente du message divin. L'écrivain Rezzedine El Mhradani ou encore la poétesse Fadela Chebi font figure de proue dans cette lutte de reconnaissance artistique dans la culture arabo-musulmane. Un combat qui mène à philosopher sur l'utilité ultime d'un écrivain. A cette question, Jean Fontaine résume: «l'écrivain est inutile car il ne produit rien en soi. Néanmoins, il se permet de contester, voire d'affronter le pouvoir. En somme, on peut donc admettre que la littérature, c'est l'écart». C'est sur ce constat ambivalent que s'achève l'entrevue, cette pause culturelle entre Alger et Tunis, entre la poésie et le roman, entre l'oppression et la liberté, entre la religion et la philosophie...entre l'occident et l'orient.