La France et les nouvelles autorités maliennes ont affiché, hier, à Bamako leur désaccord sur un éventuel dialogue avec les jihadistes, Paris jugeant cette option impossible et le chef du gouvernement malien de transition évoquant une «opportunité». «Disons les choses très clairement: il y a des accords de paix (...) Ces accords de paix ont été validés par un certain nombre de signataires, dont des groupes armés», a déclaré devant la presse le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. «Et puis il y a des groupes terroristes qui n'ont pas signé les accords de paix. Les choses sont simples», a ajouté M. Le Drian, premier haut responsable français à se rendre au Mali depuis le coup d'Etat du 18 août. Présents dans le nord du Mali, les «groupes signataires» sont d'anciens rebelles, principalement touareg, ainsi que des groupes armés pro gouvernementaux, ayant adhéré aux accords de paix de 2015 négociés à Alger. Les groupes islamistes liés à Al-Qaïda et à l'organisation Etat islamique (EI) n'ont pas signé ces accords et poursuivent, voire intensifient leurs actions depuis cinq ans, faisant des centaines de morts. A Bamako, Le Drian a estimé que la position française était celle «des pays du G5 Sahel», dont fait partie le Mali, «de la communauté internationale» et du «Conseil de sécurité» de l'ONU. En réponse, le Premier ministre malien de transition, Moctar Ouane, a immédiatement souligné que le «dialogue national inclusif», vaste concertation nationale tenue fin 2019, avait «très clairement indiqué la nécessité d'une offre de dialogue avec les groupes armés» jihadistes. Il faut voir dans ce dialogue «une opportunité d'engager une vaste discussion avec les communautés afin de définir les contours d'une nouvelle gouvernance», a-t-il expliqué, en prônant une «coordination» avec les partenaires du Mali, «notamment ceux qui interviennent sur le plan militaire», au premier rang desquels figure la France. Chercheur au groupe d'étude International Crisis Group (ICG), Jean-Hervé Jezequel souligne que les jihadistes sont «enracinés dans les communautés, en ont parfois la sympathie» et qu'ils «gèrent une partie des territoires». Raison pour laquelle, après des années de guerre contre les jihadistes, «un nombre grandissant d'acteurs, sans lâcher l'option militaire, essaient aussi d'explorer la voie du dialogue», estime-t-il. Lors du sommet de Pau début 2020, la France avait déclaré intensifier sa présence au Sahel et désigné l'EI, surtout présente dans la zone dite des «trois frontières» (Mali-Burkina-Niger), comme l'«ennemi numéro 1» dans la région. Peu après, le Mali a annoncé être prêt à ouvrir des canaux de discussion avec des groupes affiliés à Al-Qaïda, rivaux de l'EI. Des émissaires ont été envoyés vers Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, deux figures du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), nébuleuse jihadiste liée à Al-Qaïda responsable de nombreux attentats. Très peu d'informations ont filtré sur ces contacts jusqu'au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta. Les militaires, qui ont depuis lors mis en place une transition censée rendre le pouvoir aux civils dans un délai de 18 mois, ont affiché leur volonté de donner un nouveau départ au pays. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a pour sa part récemment estimé un dialogue possible, faisant la distinction entre les différentes factions. «Il y a des groupes avec lesquels on pourra discuter et qui auront intérêt à s'engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques du futur», tandis qu'il y a en d'autres «dont le radicalisme terroriste est tel qu'il n'y aura rien à faire avec eux», a-t-il affirmé. Un haut responsable de l'Union africaine, Smaïl Chergui, a lui aussi appelé à «explorer le dialogue avec les extrémistes», jugeant que le moment était «venu de revisiter et d'adapter les stratégies de stabilisation de la région du Sahel pour les unifier».La France, présente militairement au Mali depuis le début de la crise en 2012, compte plus de 5.000 soldats au Sahel. Ces débats sur la stratégie à suivre interviennent après un récent échange de quelque 200 détenus réclamés par les jihadistes contre quatre otages - un dirigeant malien d'opposition, Soumaïla Cissé, la Française Sophie Pétronin et deux Italiens. Paris a très vite marqué ses distances avec les conditions acceptées par Bamako pour obtenir la libération des otages. Les perspectives d'une accalmie sur le terrain après cette opération se sont rapidement évanouies: mi-octobre, 12 civils, 11 militaires et un Casque bleu ont été tués dans des attaques et explosion attribuées aux jihadistes.