Cinq pays du Sahel et la France se réunissent en sommet demain au Tchad pour faire le point sur la lutte antijihadiste dans la région, où Paris voudrait voir ses alliés assumer le relais militaire, mais aussi politique, pour réduire un engagement vieux de huit ans. Les présidents du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) sont annoncés présents à N'Djamena tandis que le français Emmanuel Macron participera en visioconférence, comme le président du Conseil européen Charles Michel, à cause du coronavirus. Le sommet de deux jours associant le G5 Sahel, la France et d'autres partenaires internationaux a lieu un an après celui de Pau (Sud-Ouest de la France) qui, devant la menace d'une rupture sous les coups de boutoir jihadistes, avait débouché sur un renforcement militaire dans la zone dites des «trois frontières» (Mali, Niger et Burkina) et l'envoi de 600 soldats français supplémentaires, les faisant passer de 4.500 à 5.100. En dépit des succès tactiques revendiqués, le tableau demeure très sombre. Plus de huit ans après le début dans le Nord du Mali d'une crise sécuritaire qui continue à étendre ses métastases à la sous-région, quasiment pas un jour ne passe dans les trois principaux pays affligés sans une attaque contre ce qui reste de représentation de l'Etat, l'explosion d'une mine artisanale ou des attaques contre les civils. Ceux-ci sont les principales victimes du conflit. La barre des deux millions de déplacés a été franchie en janvier. Un an après Pau et le temps du «sursaut militaire», doit venir à N'Djamena celui du «sursaut diplomatique, politique et du développement», dit le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. L'armée française revendique d'avoir sérieusement affaibli l'organisation Etat islamique (EI) et tué plusieurs chefs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le nombre d'attaques de camps militaires a baissé en 2020. Mais les deux principales nébuleuses jihadistes restent très actives. Et Paris, confronté chez lui aux interrogations croissantes sur un engagement antijihadiste financièrement et humainement coûteux (50 soldats tués depuis 2013), convient que le remède ne peut être seulement militaire et que trop peu a encore été fait par ses partenaires sahéliens sur le front politique, par exemple au Mali pour appliquer un accord de paix signé avec l'ex-rébellion du Nord ou pour faire revenir les instituteurs et les médecins dans les localités qu'ils ont désertées. «Le passé l'a démontré»: si les opérations militaires ont pu «freiner ici et là» l'expansion des groupes jihadistes, le directeur Sahel du think-tank International Crisis Group (ICG) Jean-Hervé Jezequel souligne qu'ils «sont capables de faire le dos rond, contourner le dispositif et continuer» comme avant. La France ne cache pas sa volonté de réduire la voilure. Elle va «ajuster (son) effort», assurait en janvier M. Macron. Mais Paris semble hésiter à couper immédiatement dans ses effectifs. Paris privilégie deux axes pour alléger son empreinte: l'«internationalisation», incarnée par le nouveau groupement de forces spéciales Takuba, auquel participent plusieurs dizaines d'Estoniens, de Tchèques et de Suédois, et la «sahélisation», c'est-à-dire le passage du témoin aux armées nationales qu'elle forme avec l'Union européenne. Celles-ci, sous-entraînées et sous-équipées, restent vulnérables. Au Burkina, les soldats ne sortent plus guère des bases quand ils ne les ont pas quittées. Politiquement, Paris martèle qu'il est temps d'embrayer sur l'espace ouvert par les réussites militaires des derniers mois et de réinstaller l'Etat là où il est aujourd'hui absent. Une gageure qui n'est inscrite ni dans l'ADN de l'intervention française ni dans celle des Etats sahéliens actuels, pense Mamadou Konaté, ancien ministre malien de la Justice, pour qui ce sommet sera «aussi inopportun que les précédents et les suivants» si une «nouvelle doctrine plus claire et plus en lien avec l'environnement réel» n'est pas élaborée. Au Mali, épicentre de la crise, les militaires - qui gardent la mainmise sur les autorités de transition installées après le putsch d'août 2020 - reprennent à leur compte la nécessité d'un dialogue avec les chefs jihadistes maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa. Une hypothèse officiellement exclue par Paris. Au contraire, le sommet de N'Djamena pourrait «acter l'effort ciblé sur la haute hiérarchie» du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda, hiérarchie dont les deux hommes sont les principales têtes, explique l'Elysée.