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«La Constitution prime sur la chari'a»
Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l'Islam de France, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 01 - 11 - 2020

En France, la décapitation par un jeune terroriste tchétchène d'un professeur qui, dans un cours d'instruction civique consacré à la liberté d'expression, avait évoqué les caricatures du prophète Mohamed (Qsssl), affole l'homme de la rue et les partis politiques. On parle de guerre contre les islamistes et on demande au gouvernement des mesures d'exception. Les partis d'opposition de droite clament: «Si nous étions au pouvoir nous n'en serions pas arrivés là» et la religion musulmane devient une affaire politique. Les amalgames se multiplient entre Islam et islamisme et plongent dans l'inquiétude et l'incompréhension beaucoup de musulmans. Deux femmes voilées ont été frappées au pied de la tour Eiffel par des individus qui leur ont enlevé leur foulard et leurs agresseurs ont été arrêtés. Une cinquantaine d'associations présumées islamistes, parmi lesquelles le Ccif (Collectif contre l'islamophobie en France), ont été dissoutes et le gouvernement a fermé la mosquée de Pantin. On parle d'expulser 231 étrangers radicalisés et une nouvelle loi destinée à préciser les conditions d'application de la laïcité, en cours d'élaboration avant l'attentat, sera examinée par le Parlement avant la fin de l'année et durcira sans aucun doute l'arsenal antiterroriste. Dans cette interview, le président de la Fondation de l'Islam de France, Ghaleb Bencheikh se prononce sur nombre de questions brûlantes.
Ali Ghanem: Quel est exactement le rôle de la fondation de l'Islam en France?
Ghaleb Bencheikh: Le rôle de la Fondation de l'Islam en France ou de l'Islam de France - le vocabulaire se stabilisera bientôt - est avant tout un rôle éducatif, culturel, social, humanitaire et philanthropique.
Il s'agit de l'Islam écrit avec une majuscule et l'Islam écrit avec un grand i cela renvoie à la civilisation et aux cultures des Empires musulmans. (N'oublions pas qu'à un moment donné nous avions trois empires concomitants: l'Empire ottoman, l'Empire safavide et l'Empire moghol).
Ramener les aspects culturels, civilisationnels, éducatifs et sociaux à la question islamique en France, c'est aussi une manière de résoudre la question épineuse de l'Islam en France et en Europe.
Qu'est-ce qu'on entend par Islam de France? Y aurait-il plusieurs islams?
C'est un problème de vocabulaire que je vais expliquer.
Le hadith de Jibril, dans lequel selon la tradition l'ange Gabriel vient interroger le Prophète (Qsssl) sur les fondements de la religion, ne définit, bien sûr, qu'un seul islam qui universalise tous les musulmans de par le monde.
Cependant, si je vis en Indonésie, à Zanzibar, au Yémen, au Canada ou en France, je ne pratiquerai pas ma religion de la même façon et je n'aurai pas le même rapport à la religion.
En France, qui est un Etat laïque, on doit pratiquer sa religion et vivre sa foi dans le cadre des lois républicaines, qui assurent le primat de la Constitution, la Loi fondamentale du pays, sur toute loi religieuse (et donc sur ce qu'on appelle la chari'a).
C'est pour cela, entre autres, qu'on dit qu'on vit un Islam de France.
Cependant, face à une minorité qui porte préjudice à la majorité des musulmans, pourquoi ne voit-on pas des musulmans dans la rue pour clamer leur désaccord à propos de la violence et du terrorisme?
L'histoire est faite des minorités actives, en effet.
Il est vrai que cela occasionne beaucoup de dégâts de ne pas voir les musulmans manifester en tant que tels, mais comment les repérer au sein d'une manifestation?
Quand 4 millions de citoyens français sont sortis manifester après les attentats de Charlie, il y avait dans la foule,
400 000 musulmans, soit exactement la même proportion de musulmans que dans la population nationale (10%).
Auraient-ils dû mettre un bandeau «je suis musulman»? Aurait-on dû chercher dans cette foule les femmes voilées et les barbus?
Ce jour-là, les musulmans sont allés manifester comme citoyens et non en tant que tels.
Si l'on veut une manifestation où les musulmans sont sortis dans la rue en tant que tels, on peut citer le cas de Mantes-la-Jolie où 6000 musulmans ont manifesté au lendemain de l'attaque qui avait pris pour cible un couple de policiers à Magnanville, mais les médias n'en ont pas parlé.
Les Français que j'ai interrogés disent aussi qu'à la différence des musulmans, les Asiatiques et les juifs pratiquent leur religion en toute discrétion sans poser de problème.
Distinguons deux choses: s'il s'agit des citoyens juifs, ils sont peu nombreux, ils sont éduqués et ils sont bien organisés et cette structuration s'est faite sur deux siècles puisque c'est Napoléon qui a convoqué une assemblée rabbinique (le Grand Sanhédrin) pour définir l'organisation des juifs dans son empire. Leur ancrage dans la nation française a donc eu le temps de s'affirmer.
Difficile d'attendre la même chose d'une communauté dix fois plus nombreuse, d'implantation récente et qui souffre d'indigence intellectuelle, de déscolarisation et de déshérence culturelle.
En ce qui concerne les Asiatiques, on met sur le même pied d'égalité une ethnie, les Asiatiques et une religion, les musulmans, or parmi les Asiatiques il y a aussi des musulmans.
Pour la cohérence du propos, dès qu'on parle des Asiatiques, il faudrait parler des Maghrébins et des Subsahariens. Mais laissons de côté cette question de concept:
oui les Asiatiques sont discrets, oui ils ne font pas trop de vagues, oui ils règlent leurs problèmes entre eux alors que les Maghrébins et les Subsahariens manquent souvent de finesse, d'éducation et de sagesse.
Raison de plus pour que la fondation les aide à adopter une manière de vivre faite de calme et de sérénité.
À propos de visibilité de l'Islam dans la rue, beaucoup lient l'Islam au voile, mais le voile a des origines bien plus anciennes et l'imam Kahina Bahloul ne porte pas le voile, qu'en pensez-vous?
La première fois où la question du voile a fait son apparition dans l'histoire, c'est dans la tablette A 40 des lois assyriennes. C'est en effet le roi Teglath-Palasar 1er (1115-1077 avant
J.-C), qui a pris sur lui de couvrir les cheveux de l'hiérodule - c'était une femme attachée au service d'un temple, mais aussi une sorte de courtisane dédiée à une divinité particulière et réservée au grand prêtre-.
Par la suite, l'obligation faite aux femmes d'avoir une coiffe qui cache leur chevelure ne concernait que les femmes de haut rang, les autres, au contraire, ne devaient pas être voilées. Cette pratique s'est étendue au-delà du mont Taurus en Asie mineure et on la retrouve au Moyen-Orient. Dans une approche religieuse, le voile est mentionné dans le judaïsme antique et dans le christianisme.
L'imam Kahina Bahloul ne porte pas le voile car, me semble-t-il, elle en a une compréhension large et symbolique, celle de la pudeur et de l'honneur qui n'ont pas à être médiatisées par un tissu. Elle sait sûrement que très tôt à Médine, hommes et femmes faisaient ensemble leurs ablutions, avant la prière, dans un même bassin. Tout comme elle sait que le calife Omar a battu une femme de basse extraction parce qu'elle avait osé se voiler...
Cette affaire semblait réglée une bonne fois pour toutes dans les contrées islamiques dans les années soixante. Aucune élève et aucune étudiante n'allait au lycée ou à l'université voilée de Djakarta à Zanzibar, de Casablanca à Peshawar et de Tanta à Dakar.
En Algérie, sous férule coloniale, Abdelhamid Ben Badis a fondé des instituts mixtes dans un temps où l'école communale séparait les garçons des filles. Les institutrices qui y enseignaient n'étaient pas voilées. Et lui-même, comme guide spirituel du mouvement scout islamique, voyait bien que les garçons étaient en bermudas et les filles en jupe. Si elles devaient avoir un quelconque foulard, il n'était qu'autour du cou!
Le phénomène du voilement n'a surgi qu'avec la révolution de Khomeiny auquel a répondu la déferlante wahabo-salafiste dans sa version la plus rigoriste.
Il est question de légiférer sur l'islam en France et dans un premier temps on a parlé d'une loi sur le séparatisme, maintenant on parle d'une loi de laïcité. S'agit-il de substituer une nouvelle loi à la loi de 1905?
Non au contraire, il s'agit de la compléter et de renforcer pour passer de la loi de 1901 à la loi de 1905 en ce qui concerne la gestion des lieux de culte musulmans parce que certaines mosquées sont gérées par des associations de la loi de 1901 qui laissent une grande liberté dans l'organisation et le fonctionnement des associations alors qu'il faudrait davantage de rigueur dans ce domaine.
Laurent Nunez, spécialiste du terrorisme et conseiller d'Emmanuel Macron recense 8000 musulmans radicalisés et surveillés par la police. D'où vient cette radicalisation?
Malheureusement, quand on analyse la radicalisation, on a trop souvent recours à des explications sociologisantes de la question du terrorisme, du djihadisme, de la violence, qui recherchent des excuses.
Or qui dit analyser, ne dit pas excuser- (on a eu un ancien Premier ministre qui a dit qu'essayer de comprendre c'est déjà excuser, mais il se trompait).
Comprendre ne veut en aucun cas dire admettre.
Les explications qu'on a voulu donner sont des explications complexes, enchevêtrées, composites, dont la grille de lecture est stratifiée.
Il y a une analyse sociologique, une explication politique, une lecture économique, une présentation psychanalytique, une compréhension nihiliste et bien sûr une dernière approche théologique.
Moi je retiens deux explications. La première est d'ordre social. Beaucoup de jeunes gens, davantage des garçons que des filles, ont épuisé la question de l'identité uniquement dans le discours religieux. Cela leur a donné une forme de fierté et aussi une sorte de référence qui les a fait passer de la délinquance à la militance.
Marginalisés, déscolarisés, précarisés, déshumanisés, ils ont trouvé dans le discours djihadiste et dans l'idéologie mortifère de la violence de quoi structurer leur psyché qui était totalement déstructurée.
Sont venus s'y ajouter le manque de repères, l'absence du père, les carences affectives et la crise du monde islamique, car il y a malheureusement une crise du monde islamique qui se traduit par l'obsession de la norme religieuse, un discours de pensée magique, une hantise du non-permis (ceci est licite, ceci ne l'est pas).
Tout cela a contribué à donner un peu de rigueur et structurer le comportement de ces jeunes gens, qui théâtralisent la violence, esthétisent la barbarie, et ont été aimantés par le discours de Daesh.
À propos du communautarisme, certains assurent que tous les problèmes de terrorisme, d'islamisme et de racisme viennent des gouvernements français successifs qui ont relégué les immigrés en banlieue dans des ghettos.
Oui, à ceci près qu'il faut dissocier la question de l'Islam de la question de l'immigration, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de recoupement.
D'un côté on a une religion et une civilisation et d'un autre côté on a l'affaire de l'immigration.
L'Islam a une longue histoire aussi en Europe, c'est méconnu, mais cela existe. À un moment de son histoire, la France a, elle aussi, connu l'Islam et est devenue une puissance musulmane (au moins sur le plan démographique) avec son empire colonial.
Ce qui est nouveau, c'est la présence sur le sol métropolitain - qualifiée de massive par certains - d'immigrés qui se trouvent être de confession islamique et qui ne comprennent même pas leur propre religion.
Et c'est vrai, la difficulté provient du fait qu'il n'y a pas eu de politique de la ville, intelligente, respectueuse de la dignité des personnes. On les a parqués dans des ghettos où on les a laissés se recroqueviller sur eux-mêmes avec une compréhension erronée de leur propre religion et devenir la cible de la déferlante wahabo-salafiste.


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