Une proximité appréciable mais pas déterminante: la désignation dans l'administration Biden de plusieurs responsables francophones, comme John Kerry ou Antony Blinken, va faciliter le dialogue franco-américain mais il en faudra plus pour réparer la relation transatlantique. Anthony Blinken, nommé au poste crucial de secrétaire d'Etat, a vécu sa jeunesse en France. John Kerry, l'envoyé spécial pour le climat, passait ses vacances en Bretagne, dans le pays où est née sa mère. Michèle Flournoy, pressentie pour la Défense, a appris le français en Belgique et travaillé en France. L'arrivée de ces hauts responsables a priori bien disposés envers l'Hexagone est accueillie avec plaisir à Paris, où l'on anticipe des communications fluidifiées. «Je me réjouis tout particulièrement de la désignation par le président élu de M. Blinken comme collègue futur (...). J'ai pu travailler avec lui dans une vie antérieure sur un certain nombre de sujets liés aux enjeux de défense», a ainsi commenté le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. «Blinken et Le Drian se tutoient. «Blinken est francophone et francophile, c'est plutôt pas mal. C'est un avantage pour la France», selon une source gouvernementale française. «ça va faciliter les relations» renchérit-t-on à l'Elysée. «Est-ce que la France peut tirer avantage de cette dimension francophile de plusieurs responsables? Oui, mais sous condition», commente Jean-Claude Beaujour, vice-président de l'association France-Amériques. Il faudra que «Berlin et Paris soient dans une synergie très forte vis-à-vis des Etats-Unis» et que «l'UE ne soit pas aussi divisée qu'elle a tendance à l'être». Or, l'Europe apparaît précisément divisée sur sa relation transatlantique. Emmanuel Macron défend une autonomisation stratégique du Vieux continent, quand d'autres, à l'instar de la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, veulent continuer de s'abriter sous le parapluie défensif américain. «Ne nous méprenons pas, ce sont avant tout des responsables politiques américains, ils suivront une politique à l'égard de l'Europe» sans accorder de faveur particulière pour Paris, prévient M. Beaujour. Diagnostic similaire pour Benjamin Haddad, directeur Europe du think tank Atlantic Council. «Ce sont des gens bien disposés vis-à-vis de l'Europe, qui sont d'une génération attachée à la relation transatlantique. Il n'y a aucun doute que ce sont des atlantistes, qui aiment culturellement l'Europe». «Il y aura une volonté de travailler avec l'UE», en rupture avec l'administration Trump, estime-t-il. Mais «cela veut dire plus de pression sur les Européens. Il ne faut pas se faire d'illusion. Sur les questions comme la 5G, les investissements chinois dans les infrastructures, ils vont nous demander de choisir un camp», ajoute-t-il. «Mais ça se fera dans la concertation». Une fermeté souhaitée par David Aaron Miller, ancien conseiller de plusieurs secrétaires d'Etat américains, aujourd'hui à la Fondation Carnegie pour la paix internationale à Washington. «Au cours de la première année, il y aura une tendance dans l'équipe Biden à faire une tournée d'excuses pour les transgressions de Trump. C'est compréhensible. Mais que cela ne les empêche pas de responsabiliser nos alliés. Les Etats-Unis ne peuvent pas tout assumer. Il faut de la réciprocité et ils doivent monter en puissance», a-t-il dit sur Twitter. Il n'y aura donc pas d'inversion tectonique de la diplomatie américaine. Certes, le dialogue sera plus fluide. Le multilatéralisme va probablement regagner un peu de vigueur, les Etats-Unis seront plus concernés par la marche du monde. Mais la priorité reste la rivalité avec la Chine, tout comme la situation intérieure américaine. «Ce sera sans doute moins désagréable, mais pas fondamentalement différent», anticipe un membre du gouvernement français. «L'Europe sera sans doute mieux traitée mais les Etats-Unis ne vont pas nous replacer au centre, leurs préoccupations resteront centrées sur l'Asie». «Même si le président élu Joe Biden réengage les Etats-Unis dans le multilatéralisme et ses alliances, la nouvelle administration va probablement consacrer la majeure partie de son énergie à régler les problèmes domestiques, à commencer par la pandémie», estime Pierre Morcos, du programme Europe du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS) de Washington. Comme le résume une source diplomatique américaine, «je ne pense pas que tout va redevenir comme avant, mais il y aura plus de normalité dans la relation».