Pour Washington, il s'agit d'éléments qui projetaient de faire exploser l'ambassade américaine à Sarajevo. Le Pentagone vient de rendre publics de nouveaux documents sur les prisonniers de la base militaire de Guantanamo Bay, réalisant de la sorte la plus grande partie de sa promesse de publier la liste entière des détenus et des chefs d'inculpation - s'il y a lieu - dont ils sont accusés. La nouveauté, cette fois-ci, réside dans la publication d'un mémorandum sur les six Algériens arrêtés par les autorités bosniaques en 2002 et remis aux forces américaines. Selon un document américain datant de l'époque, les six Algériens étaient accusés de planifier des attentats ciblant l'ambassade américaine de Sarajevo. Après une détention de plusieurs jours, les «six» furent acheminés par un avion spécial à la base militaire américaine située à l'extrême nord de l'île cubaine de Guantanamo. Depuis, peu, très peu de nouvelles avaient circulé à leur sujet, et leurs familles en Bosnie - les six Algériens avaient pris épouses en Bosnie - avaient réussi à mobiliser l'opinion publique locale, mettant en grande difficulté politique le gouvernement bosniaque, qui avait consenti à remettre ses ressortissants aux Etats-Unis. Une source algérienne aux Affaires étrangères, interrogée en 2003 sur les initiatives entreprises par l'Algérie pour récupérer ses ressortissants, avait répondu que les six Algériens, qui se trouvaient entre les mains de Washington, avaient pris la nationalité bosniaque après s'être mariés à Sarajevo, et que, de ce fait, «il appartient aux autorités de Bosnie de faire les démarches nécessaires pour les récupérer de nouveau». Le document mis à jour, il y a deux jours, par le Pentagone sur son site Internet, se compose de 2600 pages, dont une partie a trait aux six Algériens. Le document se constitue notamment des PV d'audition faits par des officiers du renseignement chargés de mener les enquêtes sur les détenus et de voir si les accusés étaient «libérables» ou non. Les six Algériens: Belkhadem Bessayah, Saber Lahmar, Mohamed Nechla, Mustapha Aït Idir, Beddoula El Hadj et Boumediène Lakhdar ont réfuté toute accusation malveillante à leur sujet et ont affirmé être étonnés et offensés par de tels propos, qu'ils n'avaient aucune intention de planifier quoi que ce soit contre l'ambassade américaine et que celle-ci n'avait aucune place dans leurs soucis. Cependant, les officiers du Pentagone pensent qu'au moins un des six a eu des relations étroites avec des chefs d'Al Qaîda. Le document américain précise que le dénommé Belkhadem Bensayah était un proche de «Abou Zoubeïda», et que le numéro de téléphone cellulaire de celui-ci figurait bel et bien dans ses numéros d'appels. Le même document ajoute que Bensayah avait composé au moins soixante-dix appels à partir de l'Afghanistan entre septembre et octobre 2001, date de son interpellation par la police bosniaque. Le document ajoute que les cinq autres détenus ont fait partie du Groupe islamique armé (GIA) et qu'ils étaient, eux-mêmes , en relation «directe» avec le sixième du groupe, Bensayah. En fait, les six Algériens avaient été arrêtés la première fois par les autorités bosniaques, en octobre 2001, chacun de son côté, et en l'espace de 72 heures, sous le chef d'accusation de préparation en vue d'un attentat contre l'ambassade américaine de Bosnie. Devant le tollé général que ces interpellations ont soulevé, la Cour suprême de Sarajevo prononça aussitôt après, leur acquittement le 16 janvier 2002. Quelques jours plus tard, les services de renseignements de Sarajevo les arrêtèrent et les livrèrent aussitôt aux forces américaines qui avaient demandé que les suspects leur soient remis. Outre ces six, on parle encore de quelque 20 à 30 Algériens qui seraient détenus par Washington à la base militaire de Guantanamo, sans qu'il leur soit possible de se défendre, d'avoir accès aux charges retenues contre eux, de voir leurs familles ou d'avoir un avocat. Considérée comme un univers de «no man's land sécuritaire», un monde de non-droit, presque «déshumanisé», la prison de haute sécurité de Guantanamo est devenue la cible des ONG et des juristes qui réclament sa fermeture. La publication des noms des détenus et les mémoires des PV d'audition constituent déjà un pas fait vers le retour à la légalité. Un pas, car beaucoup de violations du droit pénal international persistent encore dans cette prison, qui est, en fait, une plaie dans le visage de la démocratie américaine moderne.