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«Yahia Valéry! Valéry Houari!»
Nous reproduisons dans cette page le récit de la visite en Algérie du président Giscard d'Estaing
Publié dans L'Expression le 05 - 12 - 2020

M. Giscard d'Estaing a été reçu ce vendredi à Skikda par plus de cent mille personnes qui l'ont acclamé ainsi que le président Boumediène. À Constantine, les étudiants lui avaient réservé un accueil chaleureux qui confirmait celui fait la veille par la population d'Alger. Jeudi, les deux chefs d'Etat avaient eu un entretien en tête à tête au Palais du peuple, avant de visiter ensemble l'usine de la Sonacome de Rouiba, édifiée avec le concours de Berliet. Dans la soirée, à l'issue du grand dîner qu'il offrait à ses hôtes français, le président Boumediene devait affirmer avec force que leur présence prouvait qu' «une page était
irréversiblement tournée».
M. Giscard d'Estaing, en se félicitant de la «réconciliation» entre Paris et Alger, a souhaité que, dans leur lutte pour leur libération économique, les pays du tiers-monde évitent «tout ce qui ressemblerait à un défi». Le président de la République a rappelé la volonté de son gouvernement de «mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour assurer la dignité et la sécurité des travailleurs algériens en France».
La deuxième journée de la visite officielle de M. Giscard d'Estaing était consacrée vendredi à un déplacement dans l'Est algérien. C'est un accueil triomphal qu'a reçu le président français dans les villes de Constantine et de Skikda. En début de matinée, le président français, accompagné du chef de l'Etat algérien, a visité l'université de Constantine où de nombreux étudiants étaient présents pour acclamer les deux présidents. C'est dans une véritable cohue que s'est déroulée la visite des bâtiments de l'université, construits sur des plans de l'architecte Niemeyer.
Le cortège présidentiel a ensuite gagné Skikda par la route. Il a d'abord traversé Constantine où une foule importante s'était massée sur le parcours. Seuls des drapeaux algériens décoraient la ville, ornée également des banderoles traditionnelles. Les deux présidents sont descendus de voiture pour prendre un «bain de foule», serrant des mains et saluant la population.
Sur la belle route bordée d'oliviers et d'eucalyptus, qui relie Constantine à Annaba, à travers un paysage vallonné et verdoyant, le cortège a ensuite traversé trois villages pavoisés aux seules couleurs algériennes. Des arcs de triomphe en branches de palmier avaient été dressés, et la population nombreuse s'était rassemblée des deux côtés du parcours.
Giscard et Boumediene à pied
Des musiciens accueillaient les deux chefs d'Etat au son de la ghaïta (cornemuse) et du tabla (tambour) traditionnels. Dans chacun de ces trois villages (Hamma, Zirout Youcef et
El Harrouch), les deux chefs d'Etat ont parcouru à pied plusieurs dizaines de mètres. C'est sans doute à Skikda que l'enthousiasme était le plus grand. Plus de cent mille personnes étaient en effet massées sur le passage du cortège. De nombreuses inscriptions, pour la plupart en arabe, parsemaient la rue principale.
MM. Giscard d'Estaing et Boumediene se sont rendus à pied à la mairie par la rue principale, qui porte, ici comme dans de nombreuses villes, le nom de Didouche Mourad. Sur près d'un kilomètre, les deux présidents ont répondu aux acclamations d'une foule vibrante. Partout retentissaient les cris de: «Giscard! Boumediène!», «Yahia Valéry! Yahia Houari!».
Les deux chefs d'Etat ont ensuite déjeuné à l'Hôtel de ville avant de visiter dans l'après-midi l'usine de liquéfaction de gaz de Skikda. Déjà, la première journée du président Giscard d'Estaing en Algérie avait manifestement été un succès. D'abord parce que depuis la visite officielle de M. Fidel Castro à Alger, en 1972, c'est au chef de l'Etat français que les Algérois ont réservé l'accueil le plus chaleureux. Il y avait quelque chose d'émouvant à entendre la foule, et plus particulièrement les enfants des écoles, scander: «Yahia Giscard!», «Giscard! Giscard!», et aussi, pour la première fois, appeler leur président par son prénom, parce que la rime était belle en criant: «Yahia Valéry! Valéry Houari!» Certains avaient même confectionné de petits drapeaux tricolores, et on a entendu lancer à plusieurs reprises des «Vive la France!».
La télévision retransmet le toast
Le soir, le journal télévisé de 20 heures en langue arabe a consacré vingt minutes à la visite. Vint ensuite une séquence de deux minutes sur l'attentat contre le consulat d'Algérie, descriptif et sobre. On ne pouvait manquer d'être frappé par le contraste entre la chaleur de l'accueil et ces images de destruction. Le présentateur a posé deux questions, qui furent son seul commentaire: «Les auteurs de ces actes criminels seront-ils découverts, les coupables seront-ils châtiés? La visite du président Giscard d'Estaing permettra-t-elle d'apporter une réponse à ces questions, que l'on se pose une nouvelle fois?» Aussitôt après, la télévision a retransmis intégralement en direct et en couleurs (procédé Secam) les toasts prononcés au début du dîner au Palais du peuple par le président et Mme Boumediene en l'honneur de M. et Mme Giscard d'Estaing et de leur suite. Au chef de l'Etat algérien, qui avait prononcé un véritable discours-programme d'une haute tenue, le président de la République a répondu en employant pour le première fois le mot de « réconciliation». «Il ne s'agit pas d'effacer le passé, a-t-il précisé, il s'agit de reconnaître le présent et de préparer l'avenir.»
Dans l'après-midi, les deux chefs d'Etat s'étaient rencontrés en tête à tête pendant une heure trois quarts. Après cet entretien, ils s'étaient rendus à Rouiba, une localité située à vingt-sept kilomètres à l'est de la capitale, dans la zone industrielle. Ils ont visité là l'usine de fabrication de véhicules industriels de la Société nationale de construction mécanique (Sonacome), qui est considérée de part et d'autre comme un modèle de coopération. Pendant soixante-quinze minutes, MM. Giscard d'Estaing et Boumediene, qui étaient guidés par M. Daoud Akrouf, le président-directeur général de la Sonacome, ont parcouru les différents ateliers au milieu du ronronnement des moteurs, du vacarme des presses, du grincement des tôles: centre de formation, bâtiment de mécanique, forge, services généraux, bâtiment d'emboutissage et de montage, aucun des aspects de la fabrication n'a été négligé. Le président français, posant question sur question, s'est montré curieux de tout, se faisant préciser de nombreux détails. À ses côtés, le président Boumediene, absorbé dans ses pensées, fumait cigare sur cigare. M. Giscard d'Estaing a surtout été intéressé et impressionné par le travail spectaculaire des forges à vapeur et par la puissance de la presse de 3.000 tonnes, l'une des plus puissantes du monde. Il est sorti à plusieurs reprises du groupe des officiels pour aller à la rencontre des ouvriers en serrant de nombreuses mains.
Le cadeau de Sonacome à Giscard
Alors qu'il allait quitter l'usine, le président français a reçu un cadeau: les élèves du centre de formation de la Sonacome lui ont offert, dans un coffret, une pièce en acier qu'ils avaient confectionnée.» Un joli coup de théâtre a marqué, samedi matin 12 avril, la dernière journée du séjour algérien de M. Valéry Giscard d'Estaing. Le président français devait en effet, après son ultime tête-à-tête avec M. Boumediene, se rendre à la villa Olivier, résidence de l'ambassadeur de France, pour y rencon-trer la communauté française. Les quatre mille invités attendaient patiemment le chef de l'Etat dans une joyeuse atmosphère de 14 juillet: des tentes avaient été dressées, les oliviers sauvages (dont la présence n'a rien à voir avec le nom de la villa ainsi baptisée pour avoir appartenu à la famille Olivier) étaient reliés entre eux par des guirlandes tricolores que balançait un vent léger, un soleil printanier faisant chatoyer les teintes vives des fleurs et les couleurs claires des robes. Le président tardait un peu à venir.
Enfin, il arrive. On entend les sifflets des policiers. Soudain de la foule un «Oh!» de stupeur s'élève: «Je rêve!», s'écrie un des invités. M. Giscard d'Estaing fait son entrée en compagnie de M. Boumediene. M. Jean-Paul Angles, chef du protocole, dont la surprise est visible, se précipite vers la villa pour prévenir l'ambassadeur, qui n'était pas au courant. Le président algérien dans une ambassade étrangère d'Alger, cela ne s'est jamais produit. Dans l'ambassade française («en territoire français», souligne un officiel), c'est un geste d'une portée exceptionnelle. Le public, qui avait formé une haie d'honneur autour du jardin, se rue vers l'entrée.
Ecrire une nouvelle page
Les deux présidents gagnent directement la résidence où, assis sur un canapé, ils accueillent, dans le vaste salon moderne, installé jadis par l'ambassadeur Georges Gorse, les représentants de la communauté française. Parmi eux, Mgr Duval, archevêque d'Alger; MM. Joseph Montiel, président de l'Amicale des Français d'Algérie; Jacques Bernard, président de la Chambre de commerce française; René Altairac, président du comité français de bienfaisance; Charles de Cuttoli, sénateur, représentant les Français de l'étranger. Ces personnalités exposent aux deux chefs d'Etat leurs revendications. M. Montiel insiste sur la questions des transferts de fonds. Le président Boumediène lui donne à ce sujet quelques apaisements. Atmosphère chaleureuse et détendue, diront les témoins. Au
bout d'un quart d'heure, M. Boumediene regagnait sa voiture, sous les applaudissements nourris de la foule. M. Giscard d'Estaing, suivi de son épouse, se dirige ensuite vers le fauteuil d'où il s'adresse à ses «chers compatriotes». «Je suis très sensible, dit-il, au geste que vient de faire le président Boumediene en venant pour la première fois à l'ambassade de France accompagner le président de la République française, et en soulignant par cela la conscience qu'il a que l'histoire et les rapports de nos deux pays sont en effet exceptionnels.» M. Giscard d'Estaing note qu'entre la France et l'Algérie se sont établies des relations non seulement d'Etat à Etat, mais aussi de personnes à personnes. Il souhaite que se crée «un climat de confiance réciproque entre les deux communautés sur le sol de France et sur le sol d'Algérie.» Il est vivement applaudi lorsqu'il annonce le doublement de l'allocation aux personnes âgées vivant en Algérie, puis lorsqu'il déclare, à l'adresse des rapatriés: «Tous les engagements pris il y a un an ont été tenus... Je mets qui que ce soit au défi de vous dire le contraire. «M. Giscard d'Estaing conclut qu'il ne s'agit pas seulement de «tourner une page» mais de «commencer à en écrire une nouvelle».
Chantons la Marseillaise...
Le président de la République invite alors le public à chanter avec lui la Marseillaise, dont la musique est diffusée en même temps. Mais sa suggestion rencontre peu d'échos. Les Français sont visiblement émus, certains ont les larmes aux yeux, et c'est vers la fin seulement que l'hymne est repris d'une voix un peu plus ferme par une partie de l'assistance. C'est ensuite le bain de foule dans l'inévitable cohue.
M. Giscard d'Estaing va de groupe en groupe, signe des autographes, serre des mains, répond à des questions, interroge: «Depuis combien de temps habitez-vous l'Algérie?», demande-t-il à un opticien de Constantine venu tout exprès de sa ville avec son épouse algérienne pour saluer le chef de l'Etat. À un coopérant qui lui parle de la condition des travailleurs immigrés en France, il rappelle sa visite à Marseille. «Beaucoup de coopérants, lui dit son interlocuteur, sont prêts à aider, en France même, à la formation des travailleurs algériens.» «C'est en effet une solution possible», répond
M. Giscard d'Estaing. Un ingénieur français de l'usine de Rouiba (visitée deux jours auparavant), lui demande ses impressions. «C'était très bien», indique le président de la République.
Dans l'après-midi, à l'issue de sa conférence de presse.
M. Giscard d'Estaing retrouve
M. Boumediene, venu le chercher au Palais du peuple pour le reconduire à l'aéroport; un officier lui remet alors le cadeau de l'Algérie: un cheval arabe tout caparaçonné d'or: «Une bonne bête, mais un peu nerveuse», souligne l'officier, qui précise: «Il s'appelle Assul, ce qui veut dire «le messager», et il a trois ans.»
Un peu effrayé par tout ce monde, le cheval commence à se cabrer lorsque M. Giscard d'Estaing en saisit les rênes. Le président français, qui a mis sur ses épaules, le burnous offert également par l'Algérie, se tourne vers le président Boumediene: «Si je comprends bien, dit-il, vous voulez que je monte sur le cheval?» Le président algérien, amusé, répond d'un geste de dénégation. La même atmosphère, détendue et amicale, devait régner jusqu'au départ de M. Giscard d'Estaing à l'aéroport de Dar-El-Beida. Après l'exécution des hymnes nationaux, les deux présidents échangent, au pied de la passerelle, une longue poignée de main, tandis que retentissent des coups de canon. M. Giscard d'Estaing se tourne une dernière fois avant de pénétrer dans l'avion et adresse à son hôte des signes d'amitié, auxquels M. Boumediene répond. Une fois l'appareil envolé, le président algérien se tourne vers ceux qui l'entourent et conclut d'une phrase «»Vous voyez, tout s'est bien passé.»

In Le Monde du 12 avril 1975
Paul BALTA et Thomas FERENCZI


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