Par Naoufel Brahimi El Mili Valéry Giscard d'Estaing est décédé suite à la Covid-19. La France regrette le troisième président de la Cinquième République. Des hommages appuyés lui ont été rendus par l'ensemble de la classe politique française. La modernisation de la vie sociétale française lui a été attribuée : la loi sur l'avortement, la majorité à dix-huit ans, le statut de la femme dans l'entreprise et dans la politique. C'est connu, les morts n'ont que des qualités. Aussi avais-je été surpris de lire sur internet quelques interpellantes compassions postés par des Algériens. Il est vrai que certains propos de la Toile s'apparentent aux conversations du café du commerce, mais sans avoir l'excuse de l'éthylisme. Je fais des efforts pour tenter de comprendre ces louanges de certains de mes compatriotes au président français récemment disparu. Sans doute étaient-ils alignés sur la route moutonnière agitant le drapeau français pour saluer la première visite d'Etat du président français à l'Algérie indépendante. Une visite historique, certes, mais qui représente un tournant dans la dégradation des relations franco-algériennes. Avant d'être chef de l'Etat , Valéry Giscard d'Estaing était un sympathisant de l'OAS. Ces propos étaient tenus par le colonel Bastien-Thyri, cerveau de l'attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle, lors de son jugement devant la cour de justice militaire, le 28 janvier 1963. L'accusé affirme que M. Giscard d'Estaing était inscrit à un réseau OAS sous le chiffre 12B. Ces propos, notés par le greffier de la justice, figurent encore dans les archives françaises. Giscard n'avait pas porté plainte pour diffamation. Dans ses Mémoires, Valéry Giscard d'Estaing reproduit son refus au général de Gaulle de se joindre à la délégation française pour les négociations d'Evian : «J'étais hors d'état psychologique de participer aux négociations avec le FLN. Les Français qui se battaient contre lui étaient mes camarades ; je ne pouvais pas m'asseoir face à leurs adversaires.» Le même Giscard reconnaît qu'à l'issue des accords d'Evian, il avait trafiqué les statuts de la Maison de l'Amérique latine, sise au boulevard Saint-Germain, pour l'arracher à la Banque d'Algérie et l'affecter d'un trait de plume au patrimoine français, une semaine avant l'indépendance. Dans mon manuscrit France-Algérie 50 ans d'histoires secrètes, tome 1, j'avais reproduit cette information. Le lendemain, je recevais un mail du service juridique de mon éditeur me demandant de supprimer ce paragraphe car une ministre en exercice (de l'Economie et des Finances) ne pouvait pas commettre un faux en écriture et, ajoute-t-il, que je risque un procès en diffamation. Toujours par mail, je lui envoie le témoignage tardif de Giscard où il reconnaissait son méfait. Le passage n'a pas été supprimé. Le 10 avril 1975, Giscard arrive à Alger avec l'intention à peine voilée de donner sa bénédiction au roi Hassan II de marocaniser le Sahara Occidental. Ses entretiens avec Houari Boumediène, malgré les sourires d'usage, étaient presque houleux. Surtout le dernier tête-à-tête. À la résidence de l'ambassadeur de France à Alger, le président français reçoit 4 000 Français, essentiellement des coopérants. Soudain, à 19 h, Boumediène pénètre pour la première et dernière fois l'enceinte française sur les hauteurs d'El-Biar. Les deux présidents ont un aparté d'un quart d'heure. Boumediène écoute son hôte et en un clin d'œil, le sourire s'efface de son visage, il prononce un salut glacial et tourne les talons pour prendre la sortie. Que s'était-il passé ? Plusieurs semaines plus tard, à la Présidence, Boumediène réunit Paul Balta, correspondant du Monde ; Simon Mallet, patron de l'hebdomadaire Afrique-Asie, et mon père, alors directeur général de l'APS. Dans le secret de son bureau, le chef de l'Etat algérien leur dit : «Giscard m'a demandé de faire restituer des terres et quelques demeures qui appartenaient à sa famille mais qui sont passées sous le régime des biens vacants.» Hormis la confusion entre les intérêts privés et publics, le président français revendique la propriété d'une petite partie de l'Algérie. Entre Paris et Alger, rien ne va plus. Les services secrets de Giscard avaient orchestré une opération de déstabilisation de l'Algérie quelques mois plus tard. Une bombe a explosé devant le siège du quotidien El-Moudjahid. Un terrorisme d'Etat qui ne dit pas son nom. De son côté, Boumediène avait financé le programme commun du Parti socialiste et du Parti communiste qu, selon les sondages, pouvaient remporter les législatives de mars 1978. Ambiance. Voilà quelques anecdotes mais révélatrices sur les positions à l'égard de l'Algérie du «regretté» Valéry Giscard d'Estaing. Avec l'élection de François Mitterrand, Alger pouvait espérer une normalisation de ses relations avec Paris. Erreur. Le président socialiste savait gérer le temps et flatter son homologue algérien. Lors des événements moyennement spontanés d'Octobre 1988, l'Elysée reprend la balle au rebond et s'implante dans le champ politique algérien afin de le façonner en conformité avec les intérêts français. Sauf que cette insidieuse ingérence porte le nom de réformes. Appellation chic, moderne et novatrice, la pilule est vite avalée et plus efficace qu'un suppositoire. En privé, le président français avait même qualifié son homologue algérien de «Gorbatchev d'Afrique du Nord». On connaît la suite de la Russie, ex-URSS. Alors que celle de l'Algérie demeure quelque part encore idéalisée. L'exécution de la feuille de route française par Chadli Bendjedid et son équipe ne pouvait être qu'applaudie. Multipartisme, liberté de la presse, réformes économiques... Officiellement, l'Algérie vue par François Mitterrand pouvait devenir un pays de lait et de miel mais produits «made in France». Pour le chef de l'Etat français alors ministre de l'Intérieur le 1er novembre 1954, il lui importait de décapiter le FLN. Pendant ces glorieuses réformes, le gouvernement algérien au plus haut niveau avait inventé des ministres DHL. Ils se déplaçaient dans le plus grand secret le vendredi, jour férié, pour faire un aller-retour Alger-Paris, afin de se faire livrer les instructions du moment après un débriefing réservé aux agents d'influence. Ainsi, la loi et la carte électorales des législatives algériennes étaient en grande partie rédigées place Beauvau, siège du ministère de l'intérieur, à un jet de pierre de l'Elysée. Le multipartisme s'est très vite mû en multiplicité de partis uniques. Les réformes économiques se caractérisent essentiellement par l'import-import. Et sans oublier l'émergence du FIS soutenu à bout de bras aussi bien par l'Internationale Socialiste, inventeur du «qui-tue-qui ?» et l'Arabie Saoudite connue pour son humanisme et son attachement aux droits de l'Homme. Ma préférence pour les ennemis déclarés et décomplexés me pousse parfois à regretter un Giscard d'Estaing qui s'assumait par rapport aux faux amis socialistes qui, non seulement, admettent, contre toute logique du droit international, la marocanité du Sahara Occidental, mais ils ont aussi posé des bombes à retardement dans la vie politique et économique de notre pays. Les explosions à fragmentation se sont fait sentir tout au long de quatre mandats présidentiels successifs. Pour le cinquième mandat, l'Elysée avait dégoupillé la grenade, le Hirak a fait pare-feu. Que reste-t-il de l'influence française aujourd'hui ? Les temps ont changé, mais, surtout, ses relais en Algérie étaient essentiellement les oligarques. Ils sont presque tous hors d'état de nuire. Cependant, certaines mœurs ne peuvent disparaître du jour au lendemain. Depuis plus d'un an, l'Algérie a un nouveau président avec une feuille de route algérienne. Seulement, la pandémie a beaucoup affecté son exécution. Seul le référendum sur la Constitution a vu le jour. Le taux de participation a été faible, comme celui réalisé en France en 2000 pour la réforme du quinquennat alors que les deux principaux partis en pleine cohabitation étaient d'accord. La maladie du Président Tebboune freine le rythme des réformes promises. Pour l'Algérie comme pour tous les pays, 2020 est une année blanche, il ne s'est presque rien passé, sauf la pandémie planétaire. En 2021, le gouvernement n'aura droit à aucune erreur, à défaut d'excuses. N. B. E. M.