L'entretien que nous a accordé Ahlem Mostaghanemi au sujet de l'autre écrivain, Assia Djebar, a suscité des réactions. Nous vous livrons celle d'une consoeur. De son vrai nom Fatima-Zohra Imalayène, Assia Djebar est née à Cherchell le 4 août 1936. Fillette, elle a fréquenté l'école coranique puis l'école française à Mouzaïa où son père était instituteur. Ancienne élève de la fac d'Alger 1953-54. En 1955, elle est admise à l'ENS de Sèvres. Elle poursuit ses études jusqu'à ce qu'elle participe à la grève des étudiants en 1956. Elle arrête ses études et se marie en 1958. En 1959, elle est assistante à l'université de Rabat, en 1962 à l'université d'Alger. Actuellement elle occupe le cinquième fauteuil au sein de la prestigieuse Académie française, succédant ainsi à la place de Georges Vedel, mort en février 2002. Elle fait partie depuis le 16 juin 2005, des 40 «Immortels» de la vénérable institution. Ecrivaine des deux rives, pionnière de la cause des femmes en Algérie, la femme a constitué le thème central de ses oeuvres. Depuis son premier roman La soif, Assia Djebar s'est engagée dans un combat de conquête de l'espace de l'homme, d'émancipation de la femme et de la libération du corps. Espaces justement interdits par la société et par l'homme. L'auteur est l'une des premières femmes à écrire à la première personne du singulier «Je» dans la littérature maghrébine. Le «je» permet de se déclarer, mieux encore, il permet de s'affirmer en tant que personne et en tant que corps qui occupe une position dans un espace et dans un temps donné, donc d'exister. Cette écriture devient d'autant plus complexe lorsqu'elle décide de s'exprimer en français, la langue de l'autre, celle-là même survenue avec la colonisation. En parlant de ses aïeules, elle dit qu'elles sont « mortes bien avant le tombeau » car l'espace dans lequel la société a voulu maintenir la femme est celui de la mort. Dans L'amour, la fantasia, elle raconte comment elle accède à la connaissance du monde, et comment elle tente alors l'écriture de la parole identitaire. Elle dénonce les pratiques d'une société qui se réclame de la religion musulmane, alors que dans son comportement social, elle n'applique de cette religion que ce qui l'arrange. Alors que l'Islam est la religion qui recommande d'aller jusqu'en Chine pour quêter le savoir, la société se mobilise contre l'enseignement des filles. Le premier mot que l'ange Gabriel ordonna au Prophète était de lire «Lis»! De là, le savoir se présente comme liberté première, c'est presque une liberté «divine» dont la femme est privée au nom même de cette religion qui pourtant la recommande. Et, bien que dans le Coran il soit dit: «Chacun, homme ou femme, sera tenu pour responsable de soi-même» (1) La société n'a jamais accepté que la femme soit responsable d'elle-même, car elle l'a toujours maintenue sous tutelle, refusant même de la nommer en tant qu'individu avec sa propre identité. L'écriture d'Assia Djebar est chargée de cette passion de transcrire la parole identitaire. C'est une écriture du désir, ce désir d'aller au-delà de tous les interdits, d'aller ailleurs, vers cet espace tant convoité, celui de l'homme. Permettre enfin au corps de se dévoiler et d'investir le dehors, dire «je» en tant que sujet capable de s'exprimer, de manifester ses propres opinions, de se séparer du groupe, du «nous» société. Historienne, Assia Djebar fait appel aux témoignages des femmes, qui assurent la survie de la parole des ancêtres et ainsi des histoires orales qui se transmettent de génération en génération. Elle parcourt le temps à la recherche de la mémoire de ses aïeules pour faire surgir du passé la vérité historique. Témoins oubliés, voix ensevelies vont tenter une douloureuse percée à travers les couches sédimentaires de la mémoire, cris, voix, murmures, voix à la recherche d'un corps, voix prenant corps dans l'espace. L'auteur met en scène dans son roman L'amour, la fantasia un nouveau type de discours historique émanant d'instances exclusivement féminines. Discours se fondant sur la transmission orale. Tentant de réécrire cette histoire occultée par les hommes et rendant ainsi hommage aux aïeules qui ont su garder intact l'héritage du passé. Traduite dans une quinzaine de langues, elle a été primée à plusieurs reprises. Elle a notamment reçu en 2000, le Prix de la paix attribué par les éditeurs et libraires allemands pour une oeuvre littéraire qui plaide en faveur des femmes des sociétés musulmanes. Outre les romans, la Soif en 1957 (son premier roman), Les Impatients, 1962, Les enfants du nouveau monde, Les alouettes naïves en 1967, L'amour, la fantasia, en 1985, suivi d'Ombre sultane en 1987 (et qui vient d'être réédité en février 2006), Loin de Médine, en 1991, Vaste est la prison, en 1995, Le Blanc de l'Algérie en 1996. Assia Djebar a écrit également pour le théâtre et a réalisé plusieurs films. Son dernier roman, La Femme sans sépulture, est un hommage à une héroïne de la guerre d'Algérie dont les enfants n'ont jamais pu enterrer le corps... Assia Djebar est l'une des figures emblématiques de la cause des femmes. Les femmes qui souffrent de claustration, ces femmes dont l'homme et la société ont nié l'existence jusqu'à les maintenir dans une position de non-sujet permanent. (1)Le Coran, sourate Les femmes.