La torture et les séquelles sont remises sur le tapis grâce au film de Costa Gavras Mon colonel. La ville des Roses a abrité les 22 et 23 de ce mois le tournage de quelques scènes du film Mon colonel du réalisateur français Costa Gavras en partenariat avec une boîte algérienne de production, et ce, au niveau de la place Ettout, ex-place d'Armes durant l'occupation française. Le film en question retrace le parcours d'un tortionnaire français qui avait semé la terreur durant la Révolution, ainsi que les souffrances et les traumatismes endurés par le peuple algérien à cause de cette torture qui avait pris une ampleur alarmante à cette époque-là. Selon M.Beldjoudi Mustapha, directeur de la culture de la wilaya de Blida, ce court métrage, dont la durée de tournage est de 81 jours, et qui a en tête d'affiche Charles Aznavour, se déroule essentiellement dans les villes de Sétif et d'El Eulma. Selon lui, le recours à la ville des Roses n'est qu'une nécessité passagère. «Le réalisateur de ce film a trouvé en la place Ettout toute l'originalité qui existait auparavant puisque la placette et les immeubles qui l'entourent demeurent les mêmes que ce qui prévalait durant la période coloniale». Pour les besoins du tournage, des affiches de casting d'acteurs et de figurants, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, ont été partout placardées dans plusieurs endroits où le tout-Blida en parle. A ce sujet, des citoyens rencontrés, nous ont fait état de leur appréhension sur la manière de présenter les faits. «L'idée du court métrage semble une bonne chose, mais tant qu'on n'a pas encore vu le film, nous tenons à ce que la vérité ne soit pas déformée et que les faits historiques soient respectés loin de toute manipulation.» La torture a été un véritable mode d'emploi de la France lors de son occupation. Dans la Mitidja par exemple, des témoignages d'anciens moudjahidine nous font état de véritables exactions de toutes sortes commises à l'encontre d'une population innocente qui réclamait son droit le plus absolu. Le combattant Zouaoui Abdelkader, dit Ben Aïcha, ancien membre de l'ALN durant la guerre de Libération nationale, nous a relaté quelques faits qui s'étaient produits, notamment dans la région ouest de la Mitidja. «Il y avait une ferme près d'El Affroun appelée dans le temps Foutry et qui abritait un camp militaire où l'on torturait les prisonniers. Ces derniers étaient jetés également dans la cave de cette ferme comme des bêtes, laissés sans nourriture, et surtout sans eau ni lumière». Il enchaînera en ajoutant ceci: «A la Chiffa par exemple, la main rouge des colons avait jeté, après torture, notamment en 1956, un nombre considérable de moudjahidine de la manière la plus effroyable, dans des puits. Personnellement, j'en connais sept qui ont été victimes de cet acte ignoble.» Un autre témoignage émanant d'une autre figure emblématique de la Révolution dans la Mitidja, à savoir le moudjahid Kanoun Boualem, est aussi révélateur. Ce dernier nous rapporta que, durant la décennie 1954/1962, le commissariat central de la ville des Roses contenait son lot important de cas de tortures. «Au niveau de ce lieu, on subissait la torture la plus atroce de la part de l'armée française. Cette dernière n'avait pas trouvé mieux pour mener sa sale besogne que de nous mouiller la tête dans des bassins d'eau en nous faisant subir la torture de l'électricité et en nous lançant de violents coups de poing à l'endroit du crâne et du visage, car l'armée française qui avait un savoir-faire avéré dans la torture, était bien consciente que cette méthode était la plus douloureuse. D'ailleurs, j'en garde des séquelles à ce jour dans la mesure où je ressens d'atroces douleurs accompagnées par de réguliers bourdonnements d'oreille qui me rendent la vie désagréable. A ce sujet, et juste après l'indépendance, et vu la complication de mon cas, j'ai eu recours à des médecins installés en Suisse pour mon traitement.» Le moudjahid Kanoun Boualem est allé plus loin dans son témoignage. Un témoignage qui démontre le courage de nos combattants et la lâcheté de l'armée française. «Nos tortionnaires qui avaient vite compris que la douleur physique qu'on subissait nous a été quand même supportable, ont eu recours à une autre méthode de torture. Je ne peux pas tout dire. C'est insupportable pour un être humain digne de ce nom. Bref, les sévices sexuels et les actes immoraux étaient légion malgré tout. Ils ont tout fait pour que notre secret de polichinelle ne soit pas révélé». Le moment est venu pour que la France reconnaisse avec courage et regret son crime institionnalisé en Algérie durant son occupation. Par ailleurs, et dans le but de constater de visu les endroits où la torture faisait fureur au niveau de l'ancien commissariat principal de Blida, situé en plein centre-ville, notre visite sur les lieux n'a pas été fructueuse puisque, selon un responsable rencontré sur place, plusieurs aménagements y ont été apportés pour le bon fonctionnement de l'administration. Des aménagements qui semblent, aujourd'hui, fatals au détriment de notre mémoire, une mémoire qui ne cesse de chercher son «concret» pour qu'elle soit perpétuée à travers le temps qui court. Toujours d'après la même source, l'édifice en question abritait le siège de la Sûreté de wilaya dans les années 70 et 80 et dans les années 90. C'est l'inspection régionale de police regroupant la capitale et autres wilayas du centre du pays qui y avait élu domicile et cela a vraiment nécessité des travaux d'aménagement et de réfection. Toutefois, la partie la plus visible de la torture à Blida est sans doute les nombreux malades mentaux qui avaient contracté leur «folie» à cause des exactions et des violences physiques et morales et qui, aujourd'hui, sillonnent encore les rues de la ville des Roses en prononçant toujours des mots qui ont un rapport direct ou indirect avec l'occupation française. França, El moudjahidine, Tahya El Djazaïr, sont des termes révélateurs souvent utilisés et lancés par cette frange de la société dès qu'il y a un élément déclencheur comme les bruits forts, les sirènes, etc. Pour le professeur Ridouh, professeur en psychiatrie au niveau du CHU de Blida depuis plusieurs années, un nombre important de victimes de torture sont passés par ses services et ce, quelques années après l'indépendance du pays. «J'ai suivi plusieurs cas relatifs, entre autres, à des pathologies dépressives et des fragilités psychiques accompagnées par de fréquents cauchemars ainsi que des phobies délirantes, tous engendrés par la torture durant la guerre de Libération. Certains d'entre eux représentant des cas plus graves, ont carrément nécessité une hospitalisation et un suivi rigoureux à vie, mais restent marqués durant toute leur vie», a-t-il dit, ajoutant qu'en dehors de ces séquelles psychiques et des sévices qui demeurent difficiles à supporter, des maladies chroniques se sont déclenchées suite aux actes de torture, à l'instar de l'hypertension artérielle, du diabète et des affections dermatologiques qui ont touché plusieurs victimes. Comme quoi, les séquelles de la torture sont toujours là. Interrogé sur le fait que si la France d'aujourd'hui indemnise les personnes victimes de sa «barbarie» soit, d'une manière ou d'une autre, un remède pour eux, le Pr Ridouh nous dira à ce sujet: «Heureusement que l'Algérie s'est très bien occupée de ses moudjahidine au lendemain de l'indépendance en leur offrant des pensions conséquentes et un accès privilégié aux soins. De même, les enfants et les familles de chouhada ont été de tout temps bien pris en charge du côté matériel». Une manière de dire que les conséquences dues aux opérations de torture durant l'époque coloniale n'est pas une affaire de matériel et d'argent ; cela semble être dépassé grâce à la volonté des pouvoirs publics quant à la prise en charge des acteurs de la Révolution et leurs familles au lendemain de l'indépendance. Que justice soit rendue pour ces victimes ainsi que pour tous les enfants de l'Algérie et que les autorités françaises reconnaissent leurs crimes à l'encontre des Algériens.