L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs? Lounès Ghezali: Je suis né en 1965 à Tigzirt (Tizi Ouzou). Je suis actuellement représentant commercial d'une entreprise à l'Ouest du pays. Mais ma passion c'est évidemment la littérature puisque j'ai publié deux romans et un troisième est actuellement chez l'éditeur. J'attends sa sortie pour très bientôt. Comment êtes-vous venu à l'écriture? Très jeune, j'étais fasciné par les contes. L'univers de mon enfance était celui de la pauvreté, de contraintes matérielles diverses, mais l'affection des parents et des proches était toujours là pour combler les manques. Pour moi, enfant, le conte était déjà un monde qui me donnait un refuge inviolable pour échapper aux difficultés quotidiennes. Plus tard, quand j'étais en âge de découvrir la littérature, j'avais déjà un petit avant-goût des choses romanesques ou ornées d'images et de métaphores. Comment est né votre amour pour la lecture? J'ai commencé à explorer d'abord la littérature classique française. C'est là où, tout seul, j'ai commencé à poser au fond de moi, les sédiments de connaissances non seulement dans le registre de la magie et de l'émotion, mais également en pénétrant un peu les secrets de la linguistique et de la critique littéraire. Ma rencontre avec les écrivains russes et sud-américains m'a beaucoup marqué et transformé aussi. Je signe en 1995 une convention avec le journal Le pays pour publier des nouvelles littéraires. Mais l'horreur de la décennie noire (15 ans) a arrêté cette entrée qui n'était pas pourtant, pour moi, un jeu, mais une sorte de besoin profond. Mon premier roman, Le rocher de l'hécatombe a, je pense, une relation avec le côté fabuleux de mon enfance et évidemment l'enrichissement qui est venu après. De tous les écrivains algériens et étrangers que vous avez lus, quels sont les deux ou trois auteurs qui vous ont le plus marqué? L'écriture d'Assia Djebar me fascine. Savoureuse surtout pour son souci permanent de tenir compte des multiples nuances et subtilités de son écriture. L'élégance de l'écriture de Mammeri attire aussi les coeurs et les esprits. Pour les étrangers, je plaiderai incontestablement pour les Russes. Tolstoï, Dostoïevski dont les personnages se régénèrent dans les épreuves. Ils sont surtout porteurs d'un langage sublime, celui de l'âme humaine. Des héros comme Raskolnikov survivent aux érosions de la mémoire, même pour celui qui lit une seule fois. Etes-vous influencé par des écrivains en rédigeant vos romans? Très certainement. Car faire du roman c'est d'abord, certes, faire entendre les voix vives qui crient à l'intérieur, mais notre fond de vérité est fait avant tout de ces sédiments posés à travers nos lectures. Les choses qui nous animent sont peut-être intrinsèques, mais les questions, les réponses pour la création par l'imagination appartiennent aux écrivains lus. Je ne pense pas qu'un artiste puisse mouvoir dans un univers qui n'appartient qu'à lui seul. Parlez-nous de vos deux romans édités... Le rocher de l'hécatombe est un récit romancé d'une expédition punitive turque contre un village en Kabylie, en 1825. Les faits sont portés par la littérature orale, le plus souvent en lambeaux de contes et de légendes. Un certain Josef Robin, ethnographe français a mentionné dans la Revue africaine ces faits. Ce récit est construit sur la base des contes oraux et de l'écrit de cet ethnographe un peu pour baliser le tout et ne pas succomber à l'irréalité de la littérature orale. Aujourd'hui, j'ai pris du plaisir à réécrire certaines phrases par souci d'esthétique et j'attends pour une autre édition. Le deuxième est intitulé L'appel de la montagne. C'est un roman qui parle de la guerre de libération. Le personnage Ali Hendi, que j'ai voulu banal, évoque les péripéties qui l'ont conduit à rentrer dans la révolution. Isolé dans son village, cerné par des ennemis, il constate au départ sans réagir, ce monde d'injustice qui devient insupportable pour lui. Un jour, sans le chercher vraiment, ou alors un appel intérieur profond, le propulse pour se retrouver parmi ceux qui ont fait Novembre 54. À travers sa propre narration, ce personnage traverse son enfance et une partie de l'histoire de l'Algérie. Vous avez déposé un nouveau roman chez un éditeur, n'est-ce pas? J'attends la sortie de mon troisième roman pour les prochains jours. C'est l'histoire d'une femme qui, dans la solitude de ses derniers jours, rêve et songe. Un fait, un voyage dans le temps passé à travers ses souvenirs, mais aussi, il se pose des questions comme celle de ramener la mort aux choses banales de la vie. Elle accepte sa réalité qui est celle de mourir, mais elle nourrit l'idée d'un temps éternel à travers, notamment sa mémoire comme seul paravent face à la mort. Quel regard portez-vous, en tant qu'écrivain et lecteur, sur la littérature algérienne des dix dernières années? Mon regard sur la littérature algérienne des dix dernières années est celui plutôt de la satisfaction. Il y a un foisonnement d'auteurs et d'écrits sous forme littéraire variée. Dans des langues différentes aussi puisque tamazight, à côté de l'arabe et du français, voit les choses se décrisper autour d'elle. Evidemment, c'est une très bonne chose même si, certains iront d'un point de vue qualité ou perfection pour dire le contraire. Mais peut-être sommes-nous aujourd'hui dans cette phrase de Gérard de Nerval qui disait d'en appeler à l'art pour réussir là où la vie nous refuse? En tout cas, c'est un très bel horizon qui s'ouvre quand il y a beaucoup de créations artistiques. L'art ouvre des perspectives pour le pays, il le transforme pour le mettre à l'abri des tragédies et des malheurs. Pourquoi vous écrivez? Est-ce une thérapie ou bien écrire représente-t-il un plaisir pour vous? Ecrire, c'est retrouver sa vraie voix. Surtout quand on est saturé des images de nos lectures et de notre vécu. Ecrire, c'est rassembler des éléments éparpillés en nous pour retrouver justement la limpidité de nos images intérieures. C'est se ramasser soi-même. Bien sûr que chacun est conditionné par ses propres circonstances de sa vie mais, pour moi, c'est une nécessité de rendre le partage possible grâce à la littérature. Si vous ne deviez prendre qu'un seul roman sur une île déserte, lequel choisiriez-vous sans aucune hésitation? Si je devais prendre un seul livre, ça serait Anna Karenine de Léon Tolstoï. Non seulement je prendrais connaissance des réalités historiques de la Russie du XIXe siècle mais aussi je serais pris dans le voyage eschatologique des personnages de ce roman. L'expérience de ces personnages est suffisante pour vivre le monde dans toute sa complexité. Tout un univers dans ses composantes célestes et terrestres.