Jeudi dernier, les députés de Qalb Tounes ont organisé une conférence de presse pour dénoncer l'injustice dont est victime le chef du parti, Nabil Karoui, incarcéré depuis le 24 décembre 2020. La veille, le bureau politique avait tenu une réunion extraordinaire pour dénoncer sa détention illégale, dès lors que l'article 85 du code de procédure pénale stipule que la détention préventive est limitée à six mois, soit 180 jours. La loi prévoit une éventuelle prolongation, à condition qu'elle soit formulée dans les délais légaux. Or, tel n'est pas le cas pour Nabil Karoui. Il n'en fallait pas plus au Bureau politique de Qalb Tounes pour clamer son indignation et dénoncer un déni de justice depuis le 4 mai 2021, exigeant la libération immédiate du prévenu qui, disent-ils, «est victime d'une machination politique par excellence, derrière laquelle des parties connues oeuvrent à le maintenir en prison pour l'empêcher d'exercer ses droits légitimes et de s'adonner librement à ses activités politiques». Le BP s'est dit, en outre, prêt à saisir la justice internationale pour contester cet arbitraire. Tel un iceberg surgi dans la tourmente du Printemps arabe, Nabil Karoui a émergé grâce à une campagne caritative aux mille et une caravanes dont les Tunisiens, mais aussi les voisins immédiats de la Tunisie, saluent la dimension humanitaire. Cet acte réfléchi a propulsé son mouvement, Qalb Tounes, au-devant de la scène, récoltant 416.000 voix aux législatives de 2019 et raflant, ainsi, 38 sièges à l'ARP. Quant à Karoui lui-même, il a obtenu 525.000 voix à la présidentielle, devancé par le surprenant Kaïs Saïed dont on dira qu'il était un OVNI politique que les rivaux, comme Youssef Chahed, n'ont pas vu venir. Démonstration faite, sans l'association caritative «Khalil Tounes» et sans sa chaîne de télévision privée Nessma, Nabil Karoui n'aurait jamais pu s'inscrire en tête du quarteron des grands partis tunisiens. C'est pourquoi la réplique ne s'est pas fait attendre. Prenant comme témoin une large frange de l'opinion, certains courants, et pas des moindres, ont jugé, ab absurdo, que Nabil Karoui est un grand coupable. Arrêté en pleine campagne électorale, il est devenu l'homme par qui le scandale doit arriver. Sans prendre le temps de chercher les bons prétextes de sa mise en accusation, on l'a, simplement, déclaré coupable. De quoi, bon sang? Car il n'est nullement poursuivi pour les motifs qui ont contribué à son extraordinaire ascension, à savoir Khallil Tounes et Nessma, devenue la première télévision du pays, voire du Maghreb. Non, on lui reproche un supposé «blanchiment d'argent» et une non moins hypothétique «fraude fiscale» dont aucune preuve n'a été fournie, à ce jour. Incarcéré déjà en 2019, lors de la présidentielle, il le sera de nouveau le 24 décembre 2020, pour les mêmes motifs. La première fois, tout le monde avait compris qu'il y avait un air de règlement de comptes et que Youssef Chahed, chef du gouvernement, tentait de se débarrasser d'un rival dangereux. La seconde fois, il n'y avait rien à dire car le rapport d'expertise, demandé par un juge d'instruction, concluait à une culpabilité «probable» de Nabil Karoui, même si sa famille et ses proches criaient au coup tordu. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls, puisque ses meilleurs ennemis, au sein du Parlement, les islamistes d'Ennahdha et d'al Karama, partagent la conviction de son innocence et pointent, eux aussi, une cabale politique. A cette heure, et tandis que la justice internationale est interpellée par les dirigeants de Qalb Tounes au moment même où le gouvernement Mechichi doit convaincre le FMI de ses bonnes résolutions, force est de constater que Nabil karoui a le droit de son côté. Ainsi, le veulent plusieurs articles de la Constitution tunisienne de 2014, et particulièrement les articles 21, 23 et surtout 29 relatif à «la durée de l'arrestation ou de la détention fixée par la loi». Tunisien par son père et Algérien par sa mère, Nabil Karoui est un trait d'union entre les deux peuples. C'est là une raison suffisante pour dire la vérité qui fâche. Je me devais de la dire car, dans notre région limitrophe, toutes les vieilles dames dont ma propre mère sont des fans inconditionnels du Robin des bois tunisien au point qu'elles s'étranglent d'indignation face à «un complot et un flot d'injustices», et se disent prêtes à venir, armées de leur canne, pour l'extraire d'El Mornaguia! N'ayant pas été jugé, à ce jour, le président de Qalb Tounes est, donc, toujours innocent. C'était à la justice tunisienne d'apporter la preuve de sa culpabilité, dans les délais requis. Cela n'ayant pas été fait, rien n'autorise, désormais, les autorités à le garder au fin fond de leurs geôles, au mépris de leur propre Constitution.