La nouvelle est tombée, hier, prévisible mais tout de même assourdissante : la justice tunisienne a rejeté, mardi, en appel une demande de libération du candidat à l'élection présidentielle du 15 septembre prochain Nabil Karoui. Celui-ci a été incarcéré voici douze jours exactement et la campagne électorale a commencé lundi dernier sans lui, poussant ses avocats à réclamer sa mise en liberté afin qu'il puisse s'exprimer à l'instar des autres candidats. Les juges en ont décidé autrement, estimant que les membres du staff de Nabil Karoui peuvent battre la campagne en lieu et place du candidat lui-même, et ils ont sans douté été conforté en ce sens par le fait que la cote de popularité de l'homme d'affaires, propriétaire de la chaîne de télévision Nessma, n'a cessé de croître au point d'inquiéter les principaux rivaux. Sous le coup d'une enquête pour blanchiment d'argent lancée il y a de cela trois ans, Nabil Karoui a été inculpé le 8 juillet dernier et arrêté et conduit à la prison d'El Mornaguia, le 23 août. En réaction au rejet de la demande de libération, l'un de ses avocats, Me Mohamed Zaanouni, a tenu à rappeler que le pourvoi en cassation introduit le jour même de l'incarcération de leur client est en cours d'examen. « Nous espérons avoir une audience rapidement, afin que les droits de M. Karoui en tant que candidat soient respectés », a indiqué à ce titre M. Zaanouni, qui n'a pas hésité à qualifier son client de « prisonnier politique ». C'est d'ailleurs l'argument et le grief agités, depuis plusieurs jours, par les partisans de Nabil Karoui, aussi bien sur la scène politique que médiatique et humanitaire, ressassant que la démarche à son encontre est entachée de plusieurs irrégularités et accusant ouvertement le candidat de Tahya Tounes, Youssef Chahed, alors encore chef du gouvernement, d'en être l'unique instigateur. Il est vrai que samedi dernier, lors de sa présence à Lyon pour un meeting d'ouverture de la campagne électorale tenu avec les membres de la communauté tunisienne en France, Youssef Chahed a axé l'essentiel de son intervention autour des axes de son programme électorale, non sans promettre que sa principale ambition est de « débarrasser la Tunisie des mafias médiatiques et politiques. »C'est ce qui pousse également bon nombre d'observateurs, à la fois en Tunisie et à l'étranger, à estimer que la justice a bel et bien été instrumentalisée dans cette affaire. Le gouvernement avait, on s'en souvient, présenté une loi qui visait à écarter Nabil Karoui de la course (une des dispositions interdisant aux activistes de l'humanitaire de prétendre au scrutin présidentiel), mais feu le président Béji Caïd Essebsi avait refusé de la valider au motif qu'elle lui paraissait anti constitutionnelle. Ladite loi, pourtant adoptée par l'assemblée des représentants du peuple, n'a pu dès lors être promulguée, devenant caduque par la force des choses. Ainsi, l'instance supérieure indépendante chargée des élections (ISIE) a purement et simplement confirmé la candidature de Nabil Karoui malgré le fait qu'il ait été incarcéré, ce qui donne lieu aujourd'hui à un débat passionné et à des incertitudes quant à la réaction des électeurs le jour du scrutin. Lundi, à l'occasion du premier meeting du parti Qalb Tounes («Le coeur de la Tunisie» créé par Nabil Karoui), dans la ville minière de Gafsa d'où il est originaire, une responsable de sa formation a lu une lettre qu'il a transmise depuis Al Mornaguia, et dans laquelle il appelle les électeurs à voter pour «faire la révolution des urnes» et «rendre la Tunisie au peuple». Tout un programme…