Ce qui se passe en Somalie est tout aussi révélateur. Il y a trois jours, la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera consacrait un dossier aux récents développements sécuritaires au Sahel, et ceux, précisément, concernant les déclarations du groupe islamiste armé Gspc visant Washington. D'un côté, le groupe se plaint d'une présence accrue de militaires américains dans la région, rendant de plus en plus difficile toute action d'envergure concertée de la part des jihadistes locaux, et, de l'autre, le groupe terroriste algérien menace de s'attaquer à des objectifs américains dans la région. Les interrogations qui pointent à longueur de lignes concernent ces menaces incessantes de groupes islamistes qui, en fait, ne font que le jeu des stratégies de puissances. L'exemple le plus manifeste est sans aucun doute les menaces proférées par le Gspc contre la France, il y a plusieurs mois, et qui ont servi de motif pour verrouiller l'entrée dans l'Hexagone, sans qu'aucun attentat, ou tentative d'attentat, ne viennent perturber le sommeil des Français. Le chef de l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) estimait alors que la menace terroriste contre la France est élevée. Se basant sur le communiqué diffusé par le Gspc sur Internet et faisant de la France «l'ennemi n°1», Christophe Chaboud, ancien responsable opérationnel de la DST, aujourd'hui chef de l'Uclat, estimait que la France se trouve aujourd'hui «dans une logique d'affrontement global». Alors que beaucoup de connaisseurs du dossier Gspc en France pensent qu'il y a là une amplification exagérée et délibérée de la menace terroriste, les responsables de la DST prennent trop au sérieux cette attitude de défense. Le 29 septembre 2005, le quotidien Libération affirmait que le métro, Orly et la DST sont les trois cibles privilégiées du Gspc en France. Le 30 septembre, Reuters, citant des sources françaises officielles, annonçait la prochaine mise en examen de quatre islamistes soupçonnés de projeter des attentats à l'aéroport d'Orly, dans le métro de Paris et au siège de la DST, alors que cinq autres personnes arrêtées à Evreux et Trappes, ont été remises en liberté après leur garde à vue. Aucune charge n'ayant été retenue contre elles. La suite avait été, non pas un affrontement global avec les islamistes, mais bel et bien un «verrouillage global» de la part du ministère de l'Intérieur français. Aujourd'hui, on assiste au même topo avec Washington au sud de l'Algérie et dans la vaste bande frontalière. Les Etats-Unis avaient en fait commencé à s'intéresser à cette région au lendemain de la «guerre totale» engagée par Etats-Unis et la dispersion des cadres d'Al Qaîda et de ses sympathisants un peu partout dans le monde. On avait vite fait de croire que les salafistes pouvaient avoir des incursions à partir de l'Algérie vers le Mali, le Niger, la Mauritanie ( qui avait accusé, il y a un an, le Gspc d'être l'instigateur de l'attentat de Lemgheity, thèse qui sera perturbée quelques semaines plus tard), et toutes ces bribes d'idées avaient fini par conforter les experts militaires américains que cette bande du Sahel, longue de plusieurs milliers de kilomètres et qui va de la Mauritanie au Tchad et à la Somalie en passant par le Mali et le Niger, finira par constituer une «rampe de lancement» pour les futurs groupes armés. La capture des islamistes africains menés par Amari Saïfi dans la zone de guerre du Tibesti a fini par faire croire définitivement que la bande du Sahel, déjà infestée de groupes rebelles, d'opposants armés, de Touaregs sécessionnistes et de contrebandiers constitués en bandes mafieuses, risque de se voir encore encombrée d'islamistes qui se retrouveraient aux portes de l'Europe dès qu'ils passeraient les frontières nord. Le plan américain Pan-Sahel Initiative (PSI), élaboré par Washington vers cette date, est un vaste programme dont l'objectif est d'endiguer toute menace terroriste venant du Sahel. D'où tout l'intérêt porté aujourd'hui à l'Algérie qui possède déjà sur place hommes et logistique militaire. D'aucuns affirment que les Etats-Unis avec leurs drones et leurs satellites ne sont jamais loin. Outre les satellites espions, les Etats-Unis utilisent des avions de reconnaissance Orion P3. Ce qui se passe en Somalie est tout aussi révélateur. La guerre civile est déjà loin, et les motifs sont liés à la lutte contre les islamistes radicaux, alors que les meilleurs spécialistes affirment qu'Al Qaîda n'a aucune existence en Somalie. Des combats à l'arme lourde opposent depuis le 7 mai les milices des tribunaux islamiques de la capitale somalienne à celle de l'Alliance pour la restauration de la paix et contre le terrorisme (Arpct), coalition de chefs de guerre soutenue par les Etats-Unis. Ces deux groupes se battent pour le contrôle de Mogadiscio. Ils se sont déjà affrontés en février et mars, mais les hostilités de cette semaine sont de loin les plus meurtrières.