Les talibans devaient s'attacher, hier, à convaincre de leurs bonnes intentions les Afghans, qui manifestent dans les grandes villes, après avoir présenté un gouvernement intérimaire composé exclusivement de membres du mouvement islamiste et sans femmes, tranchant avec leurs promesses d'ouverture. Comme ces derniers jours, de nouvelles manifestations contre le régime ont eu lieu hier, après la mort la veille de deux personnes à Hérat (Ouest). Un petit rassemblement a rapidement été dispersé par les talibans à Kaboul. La même chose s'est passée à Faizabad (Nord-Est), selon les médias locaux. De retour au pouvoir depuis la mi-août, deux décennies après avoir imposé un régime fondamentaliste et brutal à l'Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans ont annoncé mardi la composition d'un gouvernement qui n'a rien d'«inclusif», contrairement à leurs engagements. Tous les membres de ce gouvernement qui sera dirigé par Mohammad Hassan Akhund, un ancien proche collaborateur du fondateur du mouvement, le mollah Omar, décédé en 2013, sont des talibans. Et presque tous appartiennent à l'ethnie pachtoune. Plusieurs des nouveaux ministres, dont certains étaient déjà très influents sous le précédent régime taliban, figurent sur des listes de sanction de l'ONU. Quatre sont passés par la prison américaine de Guantanamo. Le Premier ministre, Mohammad Hassan Akhund, est connu pour avoir approuvé la destruction en 2001 des bouddhas géants de Bamiyan (centre), selon Bill Roggio, rédacteur en chef du Long War Journal (LWJ). Abdul Ghani Baradar, co-fondateur du mouvement, devient vice-Premier ministre et le mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, ministre de la Défense. Le portefeuille de l'Intérieur revient à Sirajuddin Haqqani, dirigeant du réseau éponyme, qualifié de terroriste par Washington et historiquement proche d'Al-Qaïda. En annonçant ce gouvernement, le porte-parole taliban, Zabihullah Mujahid, a affirmé qu'il n'était «pas complet» et que le mouvement essaierait d'inclure par la suite «des gens venant d'autres régions du pays». Même si cela s'avère finalement le cas, «clairement, le pouvoir et la prise de décision appartiendront aux dirigeants talibans», observe Michael Kugelman, du cercle de réflexion américain Wilson Center. Les Etats-Unis ont relevé l'absence de femmes et se sont dits «préoccupés» par «les affiliations et les antécédents de certains de ces individus», même s'ils jugeront «sur (les) actes». Dans une interview exclusive enregistrée lundi, la vice-ministre qatarie aux Affaires étrangères, Lolwah al-Khater, a aussi estimé que les talibans devaient être jugés sur leurs actions, tout en soulignant qu'ils avaient fait preuve jusqu'ici de «pragmatisme». Lors de leur premier passage au pouvoir, les islamistes avaient bafoué les droits des femmes, qui étaient quasiment exclues de l'espace public. Nombre d'Afghanes et la communauté internationale craignent qu'il en soit une nouvelle fois de même. Pramila Patten, responsable d'ONU Femmes, l'agence créée pour promouvoir la parité et l'autonomisation des femmes, a ainsi estimé que leur absence de ce gouvernement «faisait douter du récent engagement à protéger et à respecter les droits» des Afghanes. Depuis leur prise du pouvoir, les talibans n'ont cessé d'affirmer qu'ils avaient changé. Mais leurs promesses peinent à convaincre. Le retour du ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice, qui faisait régner la terreur dans les années 1990, devrait ainsi susciter bien des inquiétudes dans la population. «Tous les Afghans, sans distinction ni exception, auront le droit de vivre dans la dignité et la paix dans leur propre pays», a affirmé mardi le chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, resté silencieux jusque-là, sans toutefois jamais mentionner le mot femmes. Il a invité le nouveau gouvernement à «faire respecter la charia» et à tout faire pour «éradiquer la pauvreté et le chômage». Ravagée par des décennies de conflit, l'économie afghane est en lambeaux, privée d'une aide internationale dont elle dépend et qui a été largement gelée. Habitués dans les années 1990 à gouverner sans être contestés, les talibans sont confrontés depuis quelques jours à un défi nouveau pour eux avec ces manifestations qui montrent combien la société afghane s'est libéralisée en 20 ans. Pour la première fois mardi, elles ont pris un tour mortel à Hérat où deux personnes ont été tuées et huit blessées par balle, selon un médecin local. Zabihullah Mujahid a qualifié ces manifestations d'«illégales» tant que «les lois ne sont pas proclamées», et demandé aux médias de «ne pas (les) couvrir». Des coups de feu ont aussi été tirés en l'air mardi à Kaboul pour disperser des manifestants qui dénonçaient la répression des talibans dans le Panchir, où un mouvement de résistance s'est dressé contre eux, et l'ingérence supposée du Pakistan dans les affaires afghanes. D'après l'Association afghane des journalistes indépendants (AIJA), 14 journalistes, afghans et étrangers, ont brièvement été détenus durant ces défilés, qui rassemblaient une majorité de femmes, puis relâchés par les talibans.