La ville renaît de ses cendres, mais à quel prix.... Si le bilan présenté par le wali de Boumerdès, Ali Bedrissi, il y a quelques jours, est globalement positif, c'est parce que beaucoup d'hommes, et de femmes aussi, y ont contribué, dès les premières heures, le soir du 21 mai 2003. Si aussi certaines chevilles ouvrières de l'après- séisme sont toujours en poste, beaucoup ont disparu, se sont effacées ; ou sont réduites à des rôles de moindre importance. Au lendemain du tremblement de terre, les enjeux étaient aussi divers que terribles: politiques, sécuritaires, sociaux et économiques. Nous étions à la veille d'une importante consultation électorale ( les présidentielles d'avril 2004 ), et tous, pour une raison ou une autre, voulaient relever le défi de reconstruire la ville, et vite. Pendant que les premiers secours arrivaient, nous avons assisté à une prolifération des actes de terrorisme et d'insécurité, et il fallait, et vite, parer à ces failles. Le relogement des citoyens dans des tentes puis leur relogement dans des chalets avaient généré crises, tensions et émeutes. Boumerdès vivait réellement une situation d'exception. Des responsables ont «sauté», d'autres ont connu des fortunes diverses, l'APC a connu dissension sur dissension, mettant parfois en péril les intérêts de la commune, mais il était dit que le président Bouteflika réussirait son pari: celui de reloger les gens dans des chalets avant le premier hiver, puis de les reloger en dur aussitôt après. Et c'est bel et bien pour cette raison que le wali Bedrissi a été maintenu en poste afin de mener ses chantiers à leur terme. Un énorme effort de reconstruction Celui-ci dévoilera, il y a quatre jours, lors d´un point de presse organisé sur la gestion de ces opérations à fin 2006 que «l´Etat a débloqué un montant de 75 milliards de dinars pour la gestion de toutes les opérations post-séisme de mai 2003». «L'ampleur de la prise en charge des problèmes, la rapidité de l'action et l'engagement de l'Etat vis-à-vis des sinistrés, ont fait que le défi a été relevé et les citoyens sont confiants et rassurés», a-t-il ajouté. Le chef de l'exécutif de wilaya avait donné en outre le détail des chiffres correspondant au nombre de logements détruits, les aides accordées aux sinistrés, le relogement dans les chalets, dans un premier temps, puis dans les habitations construites en dur ainsi que la reconstruction des logements individuels. «Un fichier informatique a été mis en place depuis une année pour recenser tous les sinistrés du séisme, éviter le double paiement des aides aux sinistrés et permettre un contrôle efficace dans la gestion des chalets, des logements et des aides de l'Etat aux sinistrés», et a précisé que sur les 99 421 dossiers d'aides traités «seuls 3% des dossiers, soit 6 396, comportent des irrégularités dont 2 985 bénéficiaires doivent rendre les aides octroyées». «Malgré les chiffres importants de l'aide, la situation est maîtrisée grâce à la procédure suivie et à l'institution de plusieurs contrôles» mettant en relief que l'Algérie a réalisé en un temps record des prouesses en matière de relogement, d'aides diverses et de reconstruction. Dans le chapitre «irrégularités», le wali est revenu sur la méthode de recensement par informatique qui, selon lui, dévoilera les irrégularités: «Sur les 15.467 familles recensées pour avoir bénéficié d'un chalet, 195 d'entre elles seulement occupent plus d'un». Arrêtés au 30 avril dernier, les chiffres donnés par le wali ont démontré, selon les responsables de la wilaya, une réelle volonté de l'Etat dans le relogement des sinistrés. Sur les 84.377 logements ou bâtisses endommagés 80.379 ont été réhabilités soit un taux de 95% et, à fin juin 2006, le nombre des familles relogées avoisinera les 4500 sur un ensemble global de 8000 familles, alors que d´ici à fin 2006, 7000 familles seront relogées, a promis Bedrissi, les 1000 restantes le seront le premier semestre 2007 et concerneront des cas précis, concluant que la gestion des chalets à restituer reviendra à l'Opgi. Le vice-président de l'APC de Boumerdès, Mohand Sarni, qui avait accompagné toutes les étapes de la reconstruction de la ville, depuis les premières tentes remises jusqu'aux récents relogés, dresse ce bilan: «Objectivement, et en gros, le bilan est positif. On n'a pas l'habitude de gérer des situations extrêmes (séisme). On a géré à notre manière, dans la précipitation, certes, parce qu'il y avait urgence, mais il faut que l'effort de reconstruction et des corrections continue. Il serait puérile de penser que tout est fait». Plus explicite, Sarni dénoue ses idées: «C'est parce que les tensions ont disparu que certaines choses se sont pourries peu à peu. Il y a eu des divergences qui ont mené à des retards considérables, et dans certains cas, à une situation de pourrissement. Nous aurons prochainement à reloger en dur 230 familles. Nous attendons le jour J pour cela, et il y a à craindre un pic de tension sur ce sujet. Par ailleurs, il faut passer d'une situation de pourrissement à une situation d'assainissement total. Je parle en ayant en vue l'APC de Boumerdès et ses dissensions internes.»BR Côté cour...BR «J'invite les membres de l'APC à s'unir pour assainir, car la situation actuelle l'exige. Il faut tout revoir, tout remettre en cause. Il se peut qu'on ait fait des fautes dans la précipitation, mais le temps est venu de revoir tous les dossiers. Il y a aujourd'hui des décisions d'attribution de chalets falsifiées, de faux PV de CTC, des indus occupants de chalets et qui se préparent à l'acquisition de logements. il faut aller au four. Les bonnes décisions, c'est bien, ça fait plaisir de les prendre, mais dans une gestion, il y a aussi les mauvaises, celles qui ne plaisent pas, mais qui sont nécessaires, car justes et obligatoires, celles-là, personne ne veut les prendre. Le trafic des décisions existe, les fausses décisions faites au scanner, plus vraies que nature, existent aussi. Et c'est pour cela que je dis encore qu'il faut, et vite, aller au charbon. Je suis prêt à assainir ce dossier très sensible, et en un mois, je pourrais récupérer l'équivalent de 700 chalets lesquels seront octroyés pour les cas sociaux. Avec l'aide de la justice, ce challenge est possible, il requiert un travail de proximité, a refait avec les comités de quartier. J'ai tous les dossiers, toutes les donnes, et on peut avancer cite là-dessus.» «Monsieur Tentes» semble aigri par l'incurie qui a régné à tous les niveaux. Tout comme Monsieur..., élu lui aussi à l'APC de Boumerdès, et qui veut parler sous couvert de l'anonymat «non parce que je manque d'audace, mais par respect à ceux qui doivent parler en priorité avant moi et que je me dois de respecter». Celui-là n'y va pas par trente-six chemins et résume la situation de mai 2003-mai 2006 en trois mots: «Premièrement, et il faut le dire, l'Etat a tout mis en oeuvre pour gérer le séisme. Mais tout simplement, ces moyens n'ont pas été utilisés convenablement. Deuxièmement, je dirais que les élus n'ont pas géré, mais c'est l'administration qui a pris en main la gestion de cette situation de crise. Troisièmement, il y a un fait sur lequel je voudrais beaucoup insister: ceux qui ont beaucoup travaillé et géré pendant les heures noires de la crise n'ont plus droit de cité aujourd'hui». Voilà les trois points sur lesquels il a tenu à insister, mais il tient aussi à faire une projection dans l'avenir: Boumerdès a consommé pratiquement son foncier, si bien que les projets actuels de construction seront construits à Corso ou ailleurs. Dans quelques années, nos enfants se déplaceront à El Kerma, à Seghiret pour suivre leurs études primaires: il n'y aura pas un nouveau site de construction d'école ici avant longtemps. Sur 2400 chalets que j'ai ici à Boumerdès, environ 1000 seront relogés d'ici à la fin de l'année en cours. Ainsi, il y aura encore 1400 chalets en l'état. Est-ce que je vais faire de Boumerdès une ville de chalets? Sachant bien évidemment que je ne peux même pas reloger immédiatement tous les classés «rouge»... Les enfants de la ville, vénérables pères de famille, aigris ou désabusés par la tournure des choses depuis trois ans, pointent du doigt un problème tout autre: l'opportunisme des nouveaux parvenus, des Rastignac de la région: «Le tremblement de terre a fait l'effet d'appauvrir les riches et d'enrichir les opportunistes. Nous assistons à l'émergence de nouveaux riches, de nouveaux monstres, qui ont fait main basse sur les marchés par connivence ou par complaisance avec ceux qui ont pouvoir de donner les marchés. C'est ainsi que de simples employés d'administration, des entrepreneurs anonymes et sans aptitudes ont constitué des richesses énormes en sautant sur les occasions, en usant de pots-de-vin et autres subterfuges classiques». Ces gens-là donnent des exemples concrets, des noms, ils citent l'un après l'autre les cas de ceux qui, sous couvert de coopérative immobilière, ont racheté à bas prix et détourné le lit d'oued pour tracer des carrés de maisons jamais entamées, de ceux qui achètent à 17 ou 20 millions des terrains avançant la construction d'un commerce d'utilité publique, mais qu'ils revendent à 1,2 milliard deux mois plus tard... Mais tout cela appartient à une autre histoire, à une autre enquête. Pour l'heure, le bilan de la reconstruction de la ville reste positif. On se rapproche de la fin de tous les chantiers engagés. Mais il est des fins difficiles, très difficiles...