Les forces de sécurité ont arrêté hier le chef de bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Khartoum, renforçant la pression sur les médias au lendemain de l'une des journées les plus sanglantes depuis le putsch militaire avec six manifestants tués. Après la détention de centaines de militants, opposants et manifestants hostiles au coup d'Etat mené le 25 octobre par le général Abdel Fattah al-Burhane, les autorités «ont perquisitionné la maison du chef de bureau d'Al-Jazeera, Al-Moussalami al-Kabbachi», un Soudanais, et l'ont arrêté», selon la chaîne satellitaire. Le Soudan est entré dans une période de turbulence le 25 octobre quand le général al-Burhane, le chef de l'armée auteur du coup d'Etat, a fait arrêter la plupart des civils avec lesquels il partageait le pouvoir, dissous les institutions du pays -y compris la plus importante -le Conseil de souveraineté- et décrété l'état d'urgence. Depuis, Al-Jazeera a couvert les manifestations hostiles au putsch, notamment en les diffusant en direct. La chaîne a également interviewé il y a moins d'une semaine le général al-Burhane qui n'a accordé que deux entretiens depuis son coup de force. Avant l'arrestation de M. Kabbachi, dont les causes n'ont pas été précisées, de nombreux journalistes des médias d'Etat ont, dans le sillage du coup d'Etat, été remplacés et interdits de revenir à leur poste à l'agence officielle Suna et à la radio-télévision d'Etat. Samedi, les partisans d'un pouvoir civil sont parvenus à rassembler à travers le pays des dizaines de milliers de personnes contre le putsch, et ce malgré un déploiement militaire impressionnant et la coupure d'Internet qui les obligent à s'organiser par SMS ou via des graffitis sur les murs. Selon un dernier bilan du syndicat de médecins pro démocratie, six manifestants ont été tués lors de ces protestations à Khartoum, dont un adolescent de 15 ans. Depuis le 25 octobre, 21 manifestants ont été tués et des centaines blessés dans la répression, d'après cette source. La police a nié avoir ouvert le feu sur les manifestants et fait état de «39 blessés graves» dans ses rangs. L'ambassade des Etats-Unis a condamné un usage «excessif de la force», après que l'ONU et des ambassadeurs occidentaux ont appelé les forces de sécurité à éviter une effusion de sang dans un pays où plus de 250 manifestants ont été tués lors de la révolte populaire qui poussa l'armée à écarter en avril 2019 le dictateur Omar el-Béchir. Mais la répression sanglante n'entame pas la détermination du front anti-putsch. Les Forces de la liberté et du changement (FLC), bloc civil né de la révolte anti-Béchir, a appelé à une nouvelle démonstration de force dans la rue mercredi. «Notre route vers un Etat civil et démocratique ne s'arrête pas là», a affirmé dans un communiqué le bloc, dont plusieurs dirigeants ont été arrêtés depuis le coup d'Etat. L'un des leaders des FLC, Hamza Baloul, ministre de l'Information arrêté le 25 octobre puis relâché, a manifesté samedi.»Pas de négociation avec les putschistes, c'est le peuple qui décide», a-t-il lancé au milieu des manifestants, selon une vidéo mise en ligne par son bureau. A l'étranger, des Soudanais ont également manifesté contre le coup d'Etat dans des capitales européennes. Faisant fi des condamnations internationales, le général al-Burhane, qui dirigeait le Conseil de souveraineté, a décidé d'entériner le nouvel état de fait créé par le putsch. Il s'est renommé à la tête du Conseil formé désormais de militaires et de civils apolitiques en remplacement de ceux qu'il avait déposés ou arrêtés. Le général al-Burhane et son second, le général Mohammed Hamdane Daglo, chef des RSF accusé d'exactions, ont promis «des élections libres et transparentes» à l'été 2023. Des promesses loin d'avoir apaisé l'opposition.»Maintenant que le coup d'Etat a eu lieu, les militaires veulent consolider leur mainmise sur le pouvoir», décrypte Jonas Horner, chercheur à l'International Crisis Group. L'armée n'a libéré que quatre ministres arrêtés lors du putsch, et le Premier ministre renversé, Abdallah Hamdok, demeure en résidence surveillée. Et face aux appels à un retour au gouvernement civil, le général al-Burhane promet depuis plusieurs jours la formation «imminente» d'un gouvernement, qui se fait toujours attendre.