La contemplation à laquelle se résigne tout esprit intelligent devant des ruines architecturales, est d'un mystère mielleusement inexplicable. Quand on est face aux pyramides, aux temples mayas, à Stonehenge ou encore au milieu du fort de Gouraya, ou devant la tombe de Massinissa (El Khroub, Constantine...), on ne peut pas s'empêcher d'imaginer la main ancestrale qui a taillé chacune des pierres, de ressentir le vif sentiment, suspendu entre le temps et l'imaginaire, des gens ayant peuplé ces monuments antiques. Les vestiges témoignent de l'histoire des hommes. Quand on sait y lire, c'est comme un bon livre. On a les mêmes sentiments, mais plus intenses, envers les ruines linguistiques de sa langue maternelle. Les sentiments sont au plus profond de son être, assaisonnés de quelques grains de tristesse. L'image qu'on a des mots dont on se diffère la prononciation d'une région à une autre, est comme l'une de ces colonnes grecques en ruine ; on connaît l'appartenance mais parfois, pas la fonction architecturale exacte. Quelques mots dont on diffère le sens nous semblent comme des bijoux antiques dont on n'a pas identifié la nature exacte ; est-ce une broche? Une boucle d'oreille? Ou un médaillon? Les expressions populaires sont l'équivalent des merveilles du monde, ou bien des pyramides desquelles plusieurs siècles nous contemplent. Leur beauté et la profondeur de leur sens, leur a permis de perdurer à travers les ères et l'usure du temps. Avec l'arrivée des Romains, l'écriture du berbère a subi au même titre que ses habitants. L'alphabet berbère «Tifinagh» a survécu dans les motifs représentés sur la poterie et la tapisserie. Le parler quant à lui, il a éclaté en quelque milliers d'idiomes, trois à quatre mille aujourd'hui. Le parler authentique de nos ancêtres se trouve, éparpillé entre l'oasis de Siwa (désert occidental égyptien) aux îles Canaris -où le guanche, parlé autrefois peut être identifié au berbère- jusqu'aux massifs du Sahara central. Pour désigner la poussière dans la plupart des régions kabyles, ont dit «aghebar», mais «aghebar» est l'adaptation du mot arabe El Ghobar, qui désigne la poussière aussi. A Aokas, ont dit «thakka», qui est un mot purement berbère. A Aokas pour désigner demain, on dit «ghedwa», un mot extrait du mot arabe «ghadane» ; dans le reste des régions kabyles on dit «azzeka», un mot purement berbère. D'autres mots attendent pour être répertoriés. Les Berbères sont influencés, mais aussi, ont influencé les autres civilisations. On trouve dans l'Egypte ancienne, des noms de dieux, de cités et d'objets pris du berbère. Ainsi, le Nil a pris le nom de sa couleur qui est le reflet du ciel. Peut-on un jour, restaurer, ne serait-ce que pour admirer ce chef-d'oeuvre linguistique du fondement à la toiture, la langue des Berbères. Bon courage, pour nos linguistes!