Les accords d'Evian auront 60 ans le 19 mars. Ont-ils atteint l'âge de raison pour qu'enfin la question mémorielle entre l'Algérie et la France soit abordée de façon objective? C'est, apparemment, ce climat apaisé tant attendu qui semble vouloir s'installer. De nombreux médias français, de la presse écrite et audio-visuelle, ont consacré à cet événement des dossiers et des documentaires qui se particularisent par une certaine équité dans l'information. Un autre regard. Un éclairage qui tranche avec le parti pris, celui volontairement, ou inconsciemment, entretenu par le mythe de l'Algérie française, qui a fait la part belle à ses nostalgiques. À titre d'exemple, l'Institut national de l'audiovisuel français a publié, le 1er mars, sur sa plateforme, 180 heures d'entretiens réalisés, avec 66 témoins de la guerre d'Algérie, civils et combattants des deux camps. «Civils algériens, Français d'Algérie, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, membres de l'OAS, intellectuels et étudiants ont relaté, face à la caméra leur guerre d'Algérie», avait souligné l'INA. «Ces témoins n'avaient jamais été entendus dans ce type de démarche aussi longue, interviewés par des historiens, sur des entretiens d'environ deux heures», précisera Agnès Chauveau, sa directrice générale déléguée. Le magazine Géo a de son côté consacré un dossier exceptionnel à la guerre d'Algérie, vue pratiquement sous toutes ses coutures, avec des titres évocateurs: France et Algérie, une relation mouvementée, 60 ans après les accords d'Evian, : une «mémoire discrète», 60 ans plus tard... Le documentaire de France 3, intitulé «Nos ombres d'Algérie» a exploré des pans de la guerre d'Algérie, par le biais du dessin. Dessinateurs, dessinatrices de BD, ayant vécu en Algérie ou pas, ont retracé des tranches de vie, toutes représentées sur les lieux de leur histoire familiale. Arte, la chaîne de télévision franco-allemande et France 2 étaient, elles aussi, au rendez-vous. Le 60e anniversaire des accords d'Evian - signés le 18 mars 1962 - est l'occasion d'une production prolifique dont se détachent deux oeuvres, dans le registre du film documentaire: En guerre(s) pour l'Algérie, de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, et C'était la guerre d'Algérie, de Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora, peut-on lire sur le site du quotidien français Le Monde. Le journaliste Georges-Marc Benamou, auteur de cette série-documentaire, diffusée hier et aujourd'hui, sur France 2, a souhaité révéler l'existence de mensonges dans ce conflit. «Il n'y a que des mensonges et des tabous dans cette guerre», explique-t-il. Il ajoute qu'il a fallu attendre 2002 pour que la France reconnaisse qu'il y avait eu une guerre. À travers ce documentaire, il a évoqué une volonté «de faire découvrir les aspects méconnus de la naissance de la conscience algérienne», rapporte la radio publique d'information française Franceinfo. S'ils ont marqué la fin de la guerre d'Algérie et mis fin à plus de 130 années de colonisation française, cela n'aura pas pour autant permis d'apaiser les tensions entre les deux rives de la Méditerranée. De nouveaux pas ont toutefois été franchis, après les propos tenus par le chef de l'Etat français, Emmanuel Macron, qui a remis en cause le statut de nation à l'Algérie, allant jusqu'à faire une lecture escamotée de son histoire. Les archives sur les enquêtes judiciaires de la gendarmerie et de la police, qui ont un rapport avec la guerre d'Algérie, ont été ouvertes par la ministre française de la Culture. «J'ouvre, avec 15 ans d'avance, les archives sur les enquêtes judiciaires de la gendarmerie et de la police, qui ont un rapport avec la guerre d'Algérie», a annoncé, le 10 décembre 2021, Roselyne Bachelot. Il faut souligner que cette annonce est intervenue dans le sillage de la visite, à Alger, du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui avait pour objectif de décrisper les relations entre les deux pays, suite aux déclarations du locataire de l'Elysée. L'histoire qui lie l'Algérie à la France est tragique, dramatique. Elle recèle des blessures toujours béantes, difficiles à cicatriser. Et lorsque les discours portent de surcroît, atteinte à la mémoire, à l'identité du peuple algérien spolié de ses terres, réduit au statut d'indigène que la torture, érigée en système a trouvé refuge dans le déni, alors qu'il fut même question de glorifier la colonisation française en Algérie, les plaies se rouvrent. C'est à nouveau le terrible voyage dans cette longue nuit noire de la colonisation, qui réveille des blessures à vif, un vécu traumatique, des violences, toujours refoulés.