A la Grande poste, peu importe le camp qu'on supporte, l'essentiel étant de savourer une bonne rencontre de foot. L'Algérien a cela de particulier : on a beau lui fermer la porte au nez, il entre par la fenêtre. Il finit toujours, d'une manière ou d'une autre, par avoir ce qu'il désire. Et au diable les riches qui prennent ce plaisir maladif de le priver de la Coupe du monde. L'événement est planétaire. Les verbes se télescopent. Falloir et pouvoir se battent. Entre falloir voir les matchs et pouvoir en profiter, le débat s'électrifie. Mais on finit toujours par trouver un terrain d'entente, pour ne pas dire une brèche. A Alger, la parade n'a été que formidable. Comme la vie d'un Algérien est semblable à un match, on a cru bon recourir aux prolongations. La journée, les rues grouillent de monde, et quand vient le soir, on persévère encore à vivre en groupe. Et l'occasion de la Coupe du monde est le meilleur exemple qui prouve qu'on garde encore ce désir de vivre en communauté. En ceci, il faut le dire, et notre avis fera certainement l'unanimité, rien n'égale le plaisir de voir un match collectivement. La saveur n'en sera que meilleure et plus puissante. Vous, passagers nonchalants, qui avez l‘habitude de passer par l'esplanade de la Grande- poste, en plein coeur d'Alger, vous avez certainement remarqué, tout comme nous d'ailleurs, cette foule qui se rassemble devant la bouche du métro qui ne fonctionne pas encore. Tout commence par une voix puissante émanant d'un haut-parleur. Votre ouïe est captivée. Elle est d'autant plus captivée en voyant toute cette masse qui s'entasse. La curiosité nous retient alors. Ça vaut la peine de faire un tour. En remontant la pente, avant d'atteindre l'avenue Pasteur, on tourne à gauche. On essaie de se frayer un chemin parmi la foule. Impossible. Il faut encore marcher pour enfin trouver un petit vide et s'engouffrer. Le champ visuel est dégagé. On regarde droit devant nous. On découvre enfin le secret de cet attroupement : une projection en plein air d'un match de la Coupe du monde. Les regards fixent tous ce même point. L'écran, moins que géant, captive tous les intérêts. Difficile de trouver une place où se mettre. Il faudra emprunter les marches d'escaliers en marbre, pour atteindre enfin une petite cour. On s'installe à même le sol. C'est d'en bas qu'il faut regarder pour avoir une vue panoramique. Cela ressemble à une arène. «Le cheikh Salah Kamel nous oblige à acheter des cartes ART pour voir les matchs. Mais comme nous ne pouvons pas nous en procurer, mieux vaut venir ici» nous dit un jeune rencontré sur les lieux. «L'idée de projeter les rencontres de foot en plein air est excellente d'autant plus qu'elle nous permet de nous rencontrer entre copains et de commenter le match. A défaut de partir en Allemagne, on peut se mentir et se représenter dans un stade» a-t-il ajouté. En voyant cette foule impressionnante, on découvre que notre interlocuteur a bien raison. L'ambiance est pareille à celle qu'on retrouve dans les stades. On sursaute lorsque l'une des équipes tente de marquer. Ici, peu importe le camp qu'on supporte, l'essentiel étant de savourer pendant quatre vingt-dix minutes et quelques poussières, une bonne rencontre de foot digne de ce nom. Pas de hooliganisme et encore moins de violence. Toutefois, les commentaires sont légion. On ne se contente pas de commenter, mais on critique également. Et, quand on est au bout de ses nerfs, on peut appeler le vendeur du thé à la menthe. Il accourt portant dans sa main sa théière échaudée par la braise qui est au-dessous. C'est 15 dinars seulement. On peut aussi avoir des cigarettes et fumer à souhait. «Ce Mondial est vraiment une aubaine. Le soir en priant, je remercie la providence de m'avoir donné cette occasion pour ramasser quelques sous» confie le vendeur de thé qui, entre deux mots, remue la braise qui est sous sa théière. «Vous devez bien gagner pendant ce Mondial, non?» lui-avons-nous demandé. «Oui...»a-t-il balbutié en tergiversant. «Au moins ça m'évite de parcourir des kilomètres. Ici, je n'ai pas besoin de faire de la pub pour mon thé. Tout le monde sait où je suis et ce que je vends. Ce sont les gens qui m'appellent». Notre interlocuteur se lève et nous quitte tout en nous conseillant de faire attention à nos portefeuille et portable. «Il faut avoir l'oeil sur l'écran et l'autre sur sa poche». Le match projeté sur l'écran tire à sa fin. Les spectateurs quittent les tribunes en sifflant et en chantant des «atché way, way, way...» ou encore «Chenaaaaawa!». Les rues d'Alger se remplissent peu à peu. Les klaxons des supporters de l'USMA et du MCA, qui disputeront, aujourd'hui, le match de la finale de la Coupe d'Algérie, remplissent le ciel d'un bruit qui fait mal à l'oreille.