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«La langue est une histoire et une mémoire»
Koussaïla Alik, Ecrivain, À L'Expression
Publié dans L'Expression le 04 - 04 - 2022

L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?
Koussaïla Alik: Je suis natif de Tifilkout, commune Illiltene, daïra Iferhounene. J'ai fait mon cursus universitaire au département de langue et culture amazighes, où j'ai obtenu continuellement mes diplômes et mes titres: licence en langue et culture amazighes en septembre 2005, magister spécialité linguistique en janvier 2011, ma thèse de doctorat, toujours dans la même spécialité en mars 2017 et mon Habilitation universitaire à diriger des recherches en juillet 2019.
Qu'en est-il de votre carrière professionnelle?
J'ai travaillé comme enseignant de langue amazighe au collège d'enseignement moyen de Tizi Rached, Metrak-Aomar, de décembre 2007 à janvier 2012. J'ai quitté cet établissement après avoir obtenu mon diplôme de magister pour pouvoir être recruté comme enseignant-chercheur à l'Institut de langue et culture amazighes, université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou depuis janvier 2012.
Comment est né votre amour pour la littérature de manière générale?
C'est comme pour tous les écrivains ou essayistes de ma génération, notamment dans notre région en Kabylie. De prime abord, la littérature et la presse francophones nous ont ouvert les yeux et nous ont donné la chance de nous exprimer et de traiter les choses d'une manière objective. J'ai commencé à lire les textes de Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Tahar Djaout même si je ne saisissais pas toujours le sens des mots à l'époque. Je me souviens, j'avais un ancien dictionnaire de français à l'aide duquel je vérifiais le sens des termes utilisés, afin de mieux comprendre les textes. En plus, ce qui m'a permis de progresser, ce sont les articles de journaux qui ont joué leur rôle pour apprécier cette langue et m'inciter à lire davantage les romans et les essais. Il faut dire que la presse francophone m'a fait aimer la lecture et m'a beaucoup aidé à améliorer mon français, rapidement et efficacement.
Et concernant la langue amazighe?
Dans le domaine amazigh, j'ai lu les premiers romans et textes publiés en kabyle, le roman Asfel (1981) et Faffa (1986) de Rachid Alliche, Saïd Sadi: Askuti (1982), Amar Mezdad Id d wass (1990). Un autre facteur que je voulais citer, qui m'a guidé, éveillé, et encouragé à lire et à aimer ma langue maternelle taqbaylit, c'est la chanson engagée kabyle. Je me suis retrouvé à aimer aussi la poésie et à participer aux différentes activités culturelles. J'ai participé au concours de poésie à la Maison des jeunes de Aïn El Hammam en janvier 1998, un concours en hommage au poète Si Mohand U Mhand. J'ai participé aussi au concours de l'étudiant à Iferhounene où j'ai été classé deuxième, ce concours a été gelé car il avait coïncidé avec les évènements du printemps noir 2001. Dès mon adolescence, j'ai réfléchi à des carrières artistiques et intellectuelles. Il y avait deux éléments de base qui m'ont incité à emprunter le chemin de l'écriture; le premier à avoir avec mon attachement à ma langue natale, le kabyle, grâce à mon entourage familial et mon environnement social, notamment mon village, à travers lequel j'ai découvert cette sensibilité à l'identité, aux verbes et à la poésie en général. De même, les chansons kabyles m'ont inspiré à réciter de la poésie depuis que je suis enfant. J'ai assisté à des festivals et à des rencontres de poésie.
Quels ont été vos premiers écrits littéraires?
J'ai publié quelques poèmes dans des revues. La première nouvelle que j'ai publiée, intitulée «Ugadegh ay imru» dans la revue Tamazi?t tura du HCA (Haut Commissariat à l'amazighité), c'était en 2010.
Parlez-nous un peu de votre recueil de nouvelles qui vient de paraître.
Le titre de mon livre, Ahni d yidwi ou le sang et l'encre, était à l'origine le titre d'une histoire que j'avais écrite au lycée, et la professeure m'a demandé de la lire devant toute la classe. Ce recueil de nouvelles est préfacé par le professeur Saïd Chemakh.
Quels sont les sujets abordés dans votre livre?
Sans hésiter sur le sujet des nouvelles, je voulais écrire avec un regard socialement critique, loin de tout drame vulgaire ou anecdotique, puis faire investir ma langue maternelle de manière académique. J'ai pensé à une riche variété de sujets, à un style d'écriture particulier. La série se compose de six nouvelles: Taddart yedjlen (Le village des martyrs), Imru n unekruf (La plume du prisonnier), Arraw n tefsut (Les enfants du printemps), Acivan, ameddakel n warrac (L'ami de l'enfant), Rrezg n umengur (Malchance) et Kenza.
De quoi parle au juste votre nouvelle Taddart yedjlen?
Dans la première nouvelle Taddart yedjlen, un hommage à un village pilote ciblé au napalm pendant la Guerre d'indépendance, la souffrance des familles et l'incarcération arbitraire des femmes. Elles ont été en prison à cause de leurs maris qui étaient des maquisards. Ces événements tragiques, des témoignages émouvants sur lesquels je me suis basé pour rédiger un livre, qui sera bientôt disponible, mais j'ai tout de même écrit quelques pages sous forme d'une nouvelle pour retracer l'histoire de cette région.
Pouvez-vous nous résumer brièevment les autres nouvelles?
La deuxième nouvelle Imru n unekruf, raconte la vie d'un orphelin, qui s'est trouvé dans une prison à ciel ouvert à cause de son père, il finira par quitter son village natal et s'exiler, une histoire à lire d'une manière approfondie. La troisième nouvelle Arraw n tefsut, nous ramène aux évènements tragiques qu'a traversés notre pays; une histoire d'un journaliste, un jeune intellectuel par où j'ai mis le point sur le chagrin d'amour de la famille qui avance. La symbolique de Hanan, la résistance, la sensibilité, l'espoir et l'amour de la patrie. Une femme qui a tout sacrifié pour qu'elle reste toujours attachée à son compagnon, le jeune Meziane qui s'est battu face à l'autoritarisme et au fondamentalisme. S'agissant des autres textes, je laisserai les lecteurs donner leurs interprétations sur les questions qui touchent l'exil, l'immigration, les conflits de générations, la phallocratie et les inégalités.
Pourquoi avoir opté pour les nouvelles alors que d'autres auteurs optent pour la poésie et le roman?
J'ai toujours gardé cette inspiration à déclamer ou à rédiger mes poèmes. J'ai participé à des rencontres poétiques, notamment sur Berbère télévision (30 octobre 2015) et j'ai publié quelques poèmes dans desdifférentes revues (Tamaziãt tura: HCA). Mon recueil de poésie est déjà disponible et sera bientôt publié. J'ai contribué à aider des poètes et j'ai préfacé leurs recueils de poésies: Ahcène Mariche et Mohand Nait Abdellah. J'ai préfacé aussi son dernier roman, intitulé: Targit yiwwas ad teffegh».
Que signifie, pour vous, le fait d'écrire et surtout le fait de le faire en langue amazighe?
C'est une nécessité et un devoir. Je ressens l'impétueuse nécessité d'agir pour défendre cette langue autochtone, afin de préserver la diversité linguistique dans notre pays. Notre langue a besoin de nous tous pour assurer sa survie et la transmettre aux générations futures. Pour ce faire, l'accent doit être mis sur son enseignement, mais aussi sur la nécessité de la parler et de la pratiquer quotidiennement. Mais ces efforts de promotion et notre engagement en faveur de la langue et de la culture amazighes ne seraient pas complets sans une riche production littéraire, artistique et même scientifique.
Quant à l'écriture en langue amazighe, c'est pour moi une nécessité fondamentale pour que soit assurée sa pérennité. Mouloud Mammeri disait: «Win yevghan tamazi?t, ad yissin tira-s». Celui qui veut tamazight, se doit d'apprendre son écriture. Vous savez, c'est terrible quand une langue disparaît, car elle emporte avec elle tout un monde. Comme nous l'explique le linguiste Claude Hagège: «Les langues sont un peu comme les espèces animales: elles vivent, meurent, cèdent aux assauts des prédateurs. Ce ne sont pas seulement des mots qui s'envolent avec chacune d'elles. C'est une histoire, une mémoire, une manière de penser. Un peu de notre humanité.».
Ces dernières années, on assiste à l'édition de beaucoup de romans et de recueils de nouvelles en langue amazighe. À quoi est dû cela selon vous?
C'est un long chemin pour réussir et concrétiser le passage de notre langue à l'écrit, voire un grand signe de réussite pour cette littérature écrite, amazighe,contemporaine avec toutes ses variétés régionales. Citons le cas des recueils de nouvelles parus dans les revues du HCA (Tamazi?t tura), les romans et les nouvelles publiés par les auteurs kabyles dans les maisons d'édition. Toutes mes félicitations à ces nouveaux écrivains qui ont marqué le point durant ces dernières années, en particulier Aoudia Zohra, Belaïdi Lyas, Dalila Keddache, Mohand Mechouaour,...et tous ceux qui ont investi dans cette logique de la production littéraire amazighe.
Les départements de langue et culture amazighes jouent sans doute un rôle dans cette éclosion du livre amazigh, n'est-ce pas?
Effectivement, ils seront toujours à l'avant-garde de cette langue amazighe pour assurer son développement, son aménagement linguistique, voire son enseignement dans les différents paliers (élémentaire, moyen et secondaire). La recherche universitaire est indispensable pour garantir la promotion de tamazight et l'introduire dans les différents domaines (éducation, administration, journalisme).
Quels sont les deux ou trois romans ou recueils de nouvelles en tamazight que vous avez lus et qui vous ont marqué?
Les romans qui m'ont marqué au lycée, je les ai déjà cités, entre autres: Asfel (1981), Askuti (1982), Faffa (1986), Id d wass (1990). J'ai lu à l'université les Cahiers de Belaid Ait Ali ou la Kabylie d'Antan: FDB, Fort National (Algérie) de 1963. C'est un recueil de textes qui a marqué le point nodal pour la littérature écrite. D'autres anciennement ou récemment publiés, je les ai lus, j'apprécie leur style et leur engagement pour l'écriture et la production littéraire. Je citerai notamment, les nouvelles publiées par: Kamal Bouamara (Nekkni d wiyi?), Amar Mezdad (Tughalin), Saïd Chemakh (Gar zik d tura), Dalila Keddache (Tawenza) ainsi que pour les nouveaux romans: Salem Zenia (Tafrara), Belaidi Lyas (Yezger asaka), Mohand Mechaouar (Abrid n tefsut), Aoudia Zohra (Tiziri).
Quels sont vos projets dans le domaine littéraire et universitaire?
Je continue à finaliser mes travaux pour les publier, mes recueils de poésies, mes publications de recherche dans le domaine amazigh (gammaire, orthographe, textes et manuels d'enseignement).


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