Le conflit en Ukraine est porteur d'un lent mais inexorable bouleversement de la géostratégie mondiale aussi bien sur le plan militaire qu'économique et social. La pluie des sanctions occidentales, censées punir la Russie pour son opération spéciale dans le pays voisin, s'est clairement tarie sans les résultats escomptés. Et pour cause, l'empire russe, tel qu'on l'observe depuis des siècles, n'est pas le premier venu et son action a été mûrement réfléchie. C'est pourquoi ni la frappe Swift qui l'exclut des circuits financiers occidentaux, ni celle des hydrocarbures qui prétendait l'asphyxier en devises américaines (le dollar étalon de l'économie mondiale, depuis les accords de Bretton Woods), ni celle de l'élargissement de l'Otan par qui le scandale semble être arrivé alors que les vrais motifs du bras de fer sont à chercher ailleurs, tous ces soubresauts ont failli, face à la détermination du président russe Vladimir Poutine et de son gouvernement. La nouvelle donne d'une Suède et d'une Ukraine qui se pressent aux portes de l'Alliance ne change strictement rien aux dimensions actuelles du bras de fer occidentalo-russe. Qui plus est, la Turquie, à cheval entre les deux océans géostratégiques, a ses propres intérêts à défendre et, pour cela, Ankara n'est pas disposée à laisser se répéter «le coup de la Grèce». Bref, un monde est en train de s'éteindre, bon gré mal gré, et un autre commence à naître dont l'humanité espère, de tout coeur, qu'il sera plus juste, plus paisible et, surtout, moins tributaire d'une domination hypocrite et d'une exploitation cynique des ressources des peuples opprimés. La grande prédiction de Ronald Reagan qui disait qu'après une Première et une Seconde guerre mondiale en Europe, rien n'empêche d'en engager une troisième sur le Vieux Continent aurait pu se révéler effective mais la technologie a tout changé. Les «armes invincibles» dont Poutine a, plusieurs fois, évoqué l'existence sont capables d'atteindre n'importe quel coin du globe et elles signifient un terrible changement des rapports de force. Les Etats-Unis savent, désormais, que la troisième guerre mondiale ne sera pas «seulement» européenne. La porte-parole du MAE russe, Maria Zakharova, avait dit, récemment, que la riposte russe sera «surprenante». Du coup, les ministres de la Défense américain et russe ont repris langue, voici deux jours à peine, pour cerner les différents enjeux. Dans l'échiquier, seule l'Union européenne va devoir payer le prix de son engagement contraint et forcé. Le rouble, supposé brisé, est plus fort que jamais et le gaz russe hante, désormais, les nuits de certaines capitales. La crise, on le sait, va profiter largement à la Russie, ainsi qu'à la Chine, et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis. L'UE sera le dindon de la farce. Les 12 millions de réfugiés ukrainiens qui se sont jetés dans les bras enthousiastes de la Pologne, de l'Allemagne et de la France, notamment savent, comme l'a déclaré samedi un ministre du nouveau gouvernement français, que l'Ukraine n'entrera pas dans l'UE «avant 20 ou 30 ans»! Quant aux 40 milliards de dollars déversés par Washington et aux centaines de millions d'euros de l'UE, ils vont juste enrichir les mécènes des cartels de l'armement, principalement américains. Dans toute cette reconfiguration des rapports de force entre grandes puissances, les efforts désespérés du président français Emmanuel Macron pour tenter de sauver les meubles européens resteront vains...