L'Expression: Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Zohra Aoudia: Mes débuts dans l'écriture littéraire étaient avec deux textes «Jida Hemmu» et «Abrid?er l?erba» publiés en avril 2020 dans la revue «Aselmad N°07». Je suis auteure de deux romans, le premier intitulé «Tiziri» paru aux Editions Achab la même année et le deuxième «Grossesse Maudite» qui sera publié bientôt par la même maison d'édition. Je me suis engagée dans l'écriture dans ma langue maternelle qu'est le kabyle. Je suis née en 1982 à Aïn El Hammam (Tizi Ouzou), titulaire d'un master en langue et culture amazighes délivré par l'université «Mouloud Mammeri». Je suis enseignante de langue amazighe au lycée Abane-Ramdane de Tizi Ouzou. Vous avez fait le choix d'écrire sur des sujets très peu abordés généralement, surtout dans le roman amazigh, pouvez-vous nous en parler? Effectivement, j'ai choisi d'écrire sur des sujets tabous, comme l'inceste, le viol, la pédophilie, les enfants nés hors mariage et les grossesses non désirées. Peut-on savoir comment s'est produit le déclic qui vous a poussée à la décision de prendre votre plume pour entamer l'écriture de ce roman? Depuis mon enfance j'écris, je prends note, sur du papier ou tout autre support. Au fil du temps, la plume m'a choisie pour me permettre d'exprimer et exposer mon attitude à l'égard de notre société. Concernant mon modeste parcours littéraire et ma venue au monde littéraire, c'est grâce à l'encouragement de MM. Saïd Chemakh et Lyès Belaïdi. Ces deux hommes, que je ne remercierai jamais assez, m'ont balancée dans les magnifiques vagues de l'écriture. Ils ont cru en moi et à mon style littéraire «style poétique». Pouvez-vous nous dire quels sont les sujets principaux que vous abordez dans «Tiziri»? C'est un roman qui raconte toutes les difficultés d'une femme en Algérie et plus particulièrement en Kabylie, comme la naissance non désirée d'une fille dans une famille qui préfère la descendance masculine. Une histoire d'amour toxique qui va bouleverser la vie de l'adolescente «Tiziri» qui est le personnage principal du roman. La trahison des amies proches, l'abandon, l'humiliation, la discrimination, le suicide les causes et les conséquences de cet acte de désespoir. Les agressions sexuelles dans le travail, l'état psychologique et physique de Ces femmes après l'agression. La jalousie maladive entre les femmes. L'escroquerie professionnelle. Le chagrin et la déchirure d'une famille lors du décès d'une mère. À la fin, la force et la volonté de Tiziri qui a décidé de prendre sa vie en main. Peut-on savoir quelle a été votre principale source d'inspiration en écrivant ce roman? Comme indiqué dans la réponse précédente, tout ce que la femme algérienne, et particulièrement kabyle, endure m'inspire. Dans mon premier roman «Tiziri» je me suis penché sur certains sujets qui me préoccupent en tant que femme. Ma première inspiration est le vécu de milliers de femmes qui subissent en silence des atrocités au quotidien. La violence, le mépris, la trahison, le manque de considération, la marginalisation,... dont la femme de ma société est victime m'ont poussée à écrire mon premier roman. Je ne peux rester indifférente face à tout ce qui se passe dans notre société comme injustice à l'égard de la femme Certains passages de votre roman sont très émouvants, certains lecteurs ont même pleuré en les lisant, en écrivant, avez-vous pensé à l'effet que votre texte allait produire sur le lecteur? J'avoue que «Tiziri» est un roman très déchirant qui a fait pleurer la plupart de mes lecteurs et lectrices. Beaucoup m'ont fait part de la sensibilité de certains passages, et certains d'entre eux ont même lu le livre plusieurs fois tellement l'histoire de Tiziri les a profondément touchés. En le finalisant, je savais bien que cela allait avoir cet effet sur les lecteurs. D'ailleurs, c'est à travers leur réaction, et ce point en particulier que je prends comme indice pour savoir vraiment si mon roman est lu ou non. Vous avez cassé des tabous en écrivant ce livre, n'aviez pas eu peur de la réaction de la société? La peur est l'ennemi de toute réussite. Donc si on veut le luxe il faut qu'on retrousse les manches, pour cela. Dans mes écrits, je cherche toujours des situations affreuses, critiques, diaboliques, des sujets tabous et osés pour que j'en parle. Il faut explorer de nouveaux thèmes, traiter des sujets, qui nous concernent directement, sans détour et sans langue de bois. Pour le moment, la meilleure réaction est celle de mon public qui réclame mon roman et qui cherche après moi pour se le procurer. D'ailleurs, il ne reste pas beaucoup d'exemplaires, ce qui m'encourage à continuer dans cette lancée et ne pas trop se soucier de la réaction de la société. En écrivant ce roman, vous pensiez à quoi le plus souvent? Aux pauvres femmes et enfants qui sont maltraités, abandonnés, et qui ont perdu l'espoir en la vie. Je pense toujours aux personnes qui n'ont plus la confiance en soi et aux familles déchirées dont elles cherchent l'amour depuis leurs naissances. À travers mon roman «Tiziri», j'espère pouvoir apporter à tous ces gens-là ce dont ils ont besoin pour surmonter les dures épreuves. Qu'ils trouvent en ma plume le soutien moral et physique, la force et l'espoir pour avancer et aller de l'avant. En écrivant un roman en langue amazighe, quelles sont les difficultés sur lesquelles l'écrivain peut se heurter? Notre langue amazighe est une langue comme toutes les autres. Donc je ne vois pas pourquoi l'auteur va trouver des difficultés en écrivant un roman avec sa langue maternelle. Personnellement, je m'amuse avec ma plume pour prendre plaisir en surfant les vagues de la littérature kabyle lors de la rédaction. D'ailleurs, je profite de cette occasion pour remercier tout le personnel qui travaille à la maison d'édition Achab, une édition professionnelle et sérieuse dans son travail depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui. Pourquoi, selon vous, il y a de plus en plus de femmes qui écrivent des romans en tamazight ces dernières années? Si la femme a investi le champ littéraire, c'est pour faire entendre sa voix avec la langue qu'elle choisit pour s'exprimer. Ceci est vital pour elle d'autant plus que l'homme ne peut jamais la remplacer ou parler à sa place. La profondeur de la douleur, du chagrin, de l'infidélité, du sentiment de l'abondons, de la trahison, de la discrimination, du viol physique et moral poussent beaucoup de femmes à dire et à dénoncer ce qu'elles subissent jour après jour dans notre société. Le faire en sa langue maternelle en est le meilleur moyen pour mettre les mots qu'il faut, chargés de sens, sur des atrocités restées longtemps enfouies. Aussi, parce que la femme d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. Dans notre société, les femmes veulent devenir un véritable phénomène culturel et social. Elles ont étudié, elles se sont cultivées, et sont devenues des femmes indépendantes qui veulent construire leurs vies sur de bonnes bases, selon leur propre vision et conception des choses. Pouvez-vous nous parler de votre prochain roman, en cours d'édition? Mon deuxième roman «Tadist yettwane?len» (ou «Grossesse maudite») est chez mon éditeur. Il sera publié dans les prochaines semaines, chez les éditions Achab. Toujours fidèle à ma ligne, mon prochain livre s'inscrit dans les mêmes thématiques traitées dans «Tiziri». Avec ma plume et mon audace, j'ai levé le voile sur d'autres sujets tabous et osés. Ce que je peux vous dire sur «Tadist yettwane?len» c'est qu'il est aussi déchirant et émouvant que le premier. C'est un roman qui contient de nouveaux thèmes non encore traités, cachés, dans notre société, que je voudrais bien dépoussiérer pour en parler. J'estime qu'il est temps que notre société avance, mais dans le bon sens.