L'Expression: Monsieur le Premier ministre, cela fait trente ans que le peuple sahraoui lutte pour son autodétermination et son indépendance, pouvez-vous nous résumer les étapes de cette marche vers la reconnaissance des droits de votre peuple? Abdelkader Taleb Omar: La première phase consistait en la lutte armée contre l'occupant, avant de passer ensuite aux accords de paix de 1978 entre la Rasd et la Mauritanie. Avec le Maroc, le cessez-le-feu n'est signé qu'en 1991. Cela a ouvert la voie pour de nouvelles négociations aux fins de l'application du plan de paix de l'ONU que devait conclure l'achèvement de la liste électorale sahraouie. Cependant, la publication en 2000, de cette liste a donné un coup d'arrêt au processus onusien en cours, par le fait que le Maroc remettant en cause la liste du corps électoral opta pour le rejet de tout compromis et de ses engagements. Ces faits ont marqué les étapes suivantes caractérisées par le refus catégorique de Rabat du référendum d'autodétermination et la tentative d'imposer une solution unilatérale qu'est l'autonomie. Lors de toutes ces étapes de lutte, les Sahraouis ont pu construire une importante expérience qui a conduit à l'édification de la Rasd. Le peuple sahraoui a su aussi arracher la reconnaissance de la République sahraouie et le Polisario par la communauté internationale ainsi que plusieurs pays et organisations continentales à l'instar de l'Union africaine, dont la RASD est membre fondateur. Demeurent toutefois en suspens certaines questions, à savoir la non-application par l'ONU de ses résolutions et avec comme résultat l'aggravation de la souffrance du peuple sahraoui. Mais c'est là, le prix à payer. Le Front Polisario demeure attaché aux accords d'Houston de 1997 et au plan Baker, pouvez-vous revenir sur ce processus et le pourquoi de son échec? A partir du moment où le Maroc a prévu son échec au référendum d'autodétermination, il a commencé à faire des obstacles et semer la confusion, prétextant que le corps électoral n'est pas encore complet et que l'identification des électeurs n'est toujours pas possible. C'était une manière d'éviter le référendum à tout prix. L'autre maillon faible de ce processus est que l'ONU et le Conseil de sécurité n'ont pas exercé les pressions nécessaires pour obliger le Maroc à respecter les résolutions et ses engagements. La responsabilité incombe aussi à la France qui a mis en avant tout son poids pour faire pression sur le Conseil de sécurité mettant notamment, en exergue l'article 6 de la charte des Nations unies, lequel stipule une solution négociée entre l'occupant et le pays colonisé. Tous ces facteurs ont conduit à l'échec des accords d'Houston et la non-application des résolutions onusiennes. Y a-t-il une volonté franco-espagnole d'isoler la Rasd sur le terrain diplomatique? Depuis l'arrivée des socialistes à la tête du gouvernement, les Espagnols ont changé de politique en s'alignant sur la position française connue pour être pro-marocaine. Ce duo franco-espagnol a toujours tenté de bloquer les résolutions onusiennes et de geler ainsi la reconnaissance de la Rasd au niveau de toutes les organisations internationales. Le pire aussi est qu'ils font aussi pression sur les organisations d'aides humanitaires, à l'instar du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) et le Programme d'alimentation mondial (Pam), afin de contraindre les Sahraouis à l'acceptation de la solution d'autonomie. Les mêmes pressions ont été aussi exercées sur Van Valsum, l'envoyé personnel de Kofi Annan, pour qu'il accrédite ce que le Maroc appelle une «large autonomie». C'est ce qui explique le dernier revirement du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, rejeté heureusement par le Conseil de sécurité, qui a réaffirmé le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Au stade où sont les choses, faut-il négocier aujourd'hui avec ces deux pays ou continuer le forcing diplomatique auprès de l'ONU? La France et l'Espagne ne défendent pas l'indépendance du peuple sahraoui, ou, du moins, la solution référendaire. Au contraire, ils se sont alignés sur la politique du Maroc, chose qu'il l'a d'ailleurs poussé à s'enliser dans son intransigeance. Ce que nous demandons aux pays du monde c'est de prendre position et de reconnaître la Rasd. Car il n'est plus question d'attendre le référendum et ses résultats pour prendre position. Il est plutôt important politiquement de passer à cette reconnaissance comme cela a été fait par l'Afrique du Sud, le Kenya, l'Uruguay et l'Equateur qui ont reconnu récemment la Rasd. L'indifférence des autres pays encourage, d'une manière ou d'une autre, la politique de colonialisme marocaine. L'arrivée des socialistes à la tête du gouvernement en Espagne a été une conjoncture défavorable pour faire avancer la question sahraouie. L'émergence aussi d'autres dossiers et conflits sur la scène politique internationale accapare toutes les attentions. Face à ces facteurs, le plus important c'est que la question sahraouie n'a pas quitté le cadre de l'ONU et que la référence pour toute solution demeure les résolutions onusiennes. Actuellement le Maroc fait le forcing pour essayer d'imposer à la communauté internationale ce qu'il appelle la «large autonomie», quel est votre sentiment M.le Premier ministre? Le Maroc n'est pas habilité à prendre une telle initiative parce qu'il n'a pas de souveraineté sur le Sahara occidental. Ce sont en revanche les Sahraouis qui doivent décider du sort de ce territoire qui est leur pays. Toutefois, l'autonomie figure parmi les autres solutions, à savoir l'annexion ou l'indépendance, qui sont suggérées par le plan Baker. Dans tous les cas de figure, seuls les Sahraouis sont habilités à se prononcer sur ces trois solutions. Aussi, «l'autonomie» proposée par Rabat est une nouvelle manoeuvre marocaine contre le droit du peuple sahraoui, mais qui n'a aucune chance de réussir. C'est très possible qu'il y ait même une concertation entre le Maroc, l'Espagne et la France sur les lignes d'orientation politique. Car, depuis toujours, ces trois pays ont partagé le gâteau. Mais, grâce au combat et à la résistance des Sahraouis ainsi qu'au soutien des pays amis à commencer par l'Algérie, l'ONU maintient toujours sa mission au Sahara (Minurso) qui devra conduire à l'organisation d'un référendum d'autodétermination. La non-application de cette disposition est due à mon avis, aux rapports de force qui entourent le conflit. Il faut que la légalité internationale soit respectée dans tous les conflits du monde car un échec est celui de la communauté internationale toute entière. Celle-ci doit prendre acte de toutes les violations commises par le Maroc et qui peuvent conduire à la déstabilisation de toute la région. Une partie du Sahara occidental est gérée par la Rasd, comment sont administrés ces territoires libérés? Il n'existait auparavant dans ces zones que des régions militaires, mais nous avons procédé, il n'y a pas longtemps, à la construction d'infrastructures, des écoles, des hôpitaux et des administrations. C'est une nouvelle étape de la construction de la Rasd pour dire qu'elle n'existe pas seulement en exil mais aussi dans ses propres territoires. Pour ce qui est des territoires occupés par le Maroc, l'ONU maintient sa présence à travers la Minurso (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental) qui doit sauvegarder la sécurité et faire appliquer les résolutions. Si la Minurso se retire, dans ce cas-là les Sahraouis prendront leurs responsabilités et le retour à la guerre deviendra inévitable. Pensez-vous que l'actuel gouvernement mauritanien pourrait être favorable à l'autodétermination du peuple sahraoui? C'est un gouvernement qui veut démocratiser la vie politique en Mauritanie, et je crois qu'avec ces régimes démocratiques, il est toujours possible qu'ils s'alignent sur la légalité internationale et le respect des droits de l'homme et des droits du peuple sahraoui.