Est-il un doux chemin d'exil qui puisse conduire une existence à la poursuite du bonheur? En publiant Les Exilés du matin, poèmes suivis de Lettres d'absence, Hamid Skif joue avec le bonheur en le taquinant discrètement. Mais le bonheur est-il un amusement? «du moins, ne consiste-t-il pas à être libre?» Si oui, l'exil est-il un vrai refuge pour acquérir du bonheur et jouir de sa liberté s'il ne permet pas de se construire et de grandir, puis de retourner d'où on était parti? Sans quoi l'exilé ne vivra qu'en exilé ; il cheminera seul partout dans le monde qui n'est pas le sien, qui ne sera jamais le sien. Tant il est vrai, comme dit le grand poète français Victor Hugo qui sait de quoi il parle: «Oh! l'exil est impie.» Plus près de nous, Ben el Qoubâbti s'est plaint des morsures de son éloignement d'Alger, mais, lui, a fui la répression coloniale. Après la Première Guerre mondiale, après la Seconde Guerre mondiale, pendant la longue misère économique qui s'est abattue sur les Algériens, des centaines de milliers d'entre eux ont quitté leur région, leur pays pour aller chercher leur pain ailleurs pour eux-mêmes et pour leurs familles laissées en arrière, «ceux à côté desquels [leur] vie aura coulé». Eh bien, oui! ces exilés savent, «combien est amer le pain de l'étranger»: ils en ont mangé des tonnes! Et de boire et de boire l'amertume de leur déception dans la coupe d'or censée figurer le vrai bonheur, ils se sont dégoûtés de la petite mesure d'argent et du mythe vulgaire du bonheur qui fait injure à leur dignité, jusqu'à en mourir et, la maladie impardonnable ou la vieillesse venue, à désirer être enterrés coûte que coûte chez eux, sous le palmier nourricier ou l'olivier ancestral. Le grand et populaire Dahmane el Harrâchî, et bien d'autres chanteurs avant lui, qui étaient tous pourtant très écoutés par les gens de l'exil, se sont hélas! épuisés, sans convaincre vraiment personne. Hamid Skif, qui vit en Allemagne depuis 1997, a publié ses premières oeuvres en Algérie, à l'ENAL: Poèmes d'El Asnam et d'autres lieux et Nouvelles de la maison du silence. À l'étranger, il s'est fait connaître en publiant, à Marseille, Poèmes de l'adieu, à Paris, Citrouille fêlée, La princesse et le clown, La rouille sur les paupières, Monsieur le Président, La Géographie du danger et, à Saint-Marcellin, Le Serment du scorpion. On peut lire aussi de lui un extrait intitulé Retour à Alger (voir Dzayer, Alger, de Zohra Bouchentouf-Siagh, Casbah éditions, pp.25-31). Mais quand notre poète retournera-t-il à Alger? Les poèmes qui nous sont proposés sont tout entiers prioritairement dédiés À Ursula ; et peut-être est-ce d'elle qu'il nous parle, la désignant d'emblée par «Cette lumière qui fait ma joie». Confusément les poèmes, Les Exilés du matin, portent alors un bonheur abstrait, pavillon flottant bien haut au mat d'un vaisseau chargé d'allusions, de symboles, de mots brûlants des amours audacieuses d'un capitaine trop fier, trop sérieux, trop perturbé par l'amertume de l'exil et qui, cependant, se préserve de toute formule qui ne soit pas algérienne. Le poète écrit: «Je suis un révolutionnaire, si vous voyez ce que je veux dire, mais n'ayez pas peur/ Il n'y a que moi qui frissonne à l'énoncé de ce mot-là.» Le poète écrit aussi de la prose tout en restant poète dans ses Lettres d'absence. L'amertume semble bruire dans chaque mot de sorte que tous les mots accumulés n'élèvent aucune espérance. «Pourquoi suis-je parti? Je ne le sais pas moi-même.» Nulle réponse intelligente, non plus, ne jaillit pour mettre ou remettre de l'ordre dans la ville rêvée, maintenant décomposée. Hamid Skif a écrit «Oui, il m'arrive de regarder en moi... [...] Je veux que l'on se souvienne du halètement de ma voix brisée, de mes forces perdues, de mes éclats de rire, de mes larmes et de mes rages.» Mais ne faudrait-il pas, ici même, sur notre terre maternelle, «être héroïque» et «vouloir rester soi-même» pour construire le bonheur de l'homme libre et juste, le bonheur fait de nos seules mains d'ouvriers fraternels et heureux