Chants d'exil, suivi de Lettres à mon fils, de Djamel Benmerad, est le sixième recueil de poésie de ce journaliste algérien qui fut notamment rédacteur en chef d'Alger Républicain et fondateur d'un titre qui reste sans doute le seul créé au Sahara, Reporter. Au chapitre littéraire, on connaissait déjà de lui Champ d'impatience, paru à l'ENAL, ainsi que d'autres recueils publiés clandestinement ou à compte d'auteur. Depuis son exil en Belgique, en 1998, Djamel Benmerad, qui poursuit son métier de journaliste en free-lance, a investi encore plus l'écriture poétique à travers laquelle il exprime son lien intact avec le pays, le souvenir terrible des années noires mais aussi la beauté et l'amour, conçus comme raisons de vivre et de lutter. Il a ainsi déjà publié à Bruxelles trois autres recueils de poésie : Abrasion (Ed. Le Coudrier), Poèmes et autres tracts (Ed. Tétra-Lyre) et Perdre le Nord (Ed. Biliki). Avec Chants d'exil (Ed. Le coudrier, 2007), il confirme sa vision de la poésie, indissociable des engagements politiques. Mais sans doute, va-t-il plus loin puisqu'il ne peut imaginer de poésie qui ne soit rebelle, frondeuse, fondée sur l'indignation et le cri ? Dans l'introduction, intitulée Lettre d'un poète berbère aux poètes du monde entier, Djamel Benmerad affirme en effet : « Etre poète, c'est ne prétendre à rien et vouloir tout. C'est d'abord accompagner et chanter la rébellion. » C'est donc dans la veine séculaire des François Villon, Nazim Hikmet ou Vladimir Maïakovsky qu'il situe ses écrits, réfutant, dans une amusante lettre aux services de renseignements, l'étiquette de communiste pour se déclarer guévariste. Henri Alleg, qui préface le recueil, pose d'ailleurs cette question (sans jeu de mots) : « Faut-il vraiment une préface à ces vers ? », trouvant qu'ils sont si « bouleversants » et expressifs que tout discours devient superflu. C'est d'abord en Algérie que naissent les poèmes de Djamel Benmerad, même s'ils n'hésitent pas à se rendre à Ramallah, Bogota ou Baghdad, partout où le destin des hommes se conjugue avec la souffrance, l'injustice ou la misère. Le poète recherche un effet de vigueur, et son lyrisme contenu se traduit par des vers et des poèmes courts. Le verbe ramassé rappelle la tradition du malhoun algérien où l'économie de mots est compensée par leur tonalité et par la force des visions et des propos. On croirait aussi parfois lire des haïkus, (issu du haïkaï), poème classique japonais de trois vers, peu loquaces mais très diserts, comme dans Labeur qui se résume à trois beaux vers d'une seule phrase : « C'est un dur labeur/ Que de discerner parmi tous tes rires/ Ceux que tu me destines. » Dans cet univers où l'évocation du quartier, Hussein Dey, le souvenir des amantes ou les images ensoleillées de l'existence parsèment leurs émotions, la verve pamphlétaire se taille la plus grande part. Là, la poésie devient coup-de-poing, cri de rage, lame acerbe. De l'instantané qui fuse sans fioritures et se rapproche davantage de l'oralité pour dénoncer les aberrations, la corruption, la confiscation des libertés, l'hypocrisie politique. En cela, Djamel Benmerad s'inscrit dans la poésie moderne, libre en ses vers, capricieuse dans ses constructions et en rupture avec la joliesse attendue de l'héritage classique. Ce type d'écriture poétique, qui recherche la spontanéité de l'oralité quotidienne, correspond parfaitement au désir de l'auteur d'être au diapason des tags, signalant d'ailleurs que les fresques du Tassili ne sont que les tags de ses habitants du passé. Elle correspond aussi aux douleurs qu'il énonce, celle de l'exil mais, plus encore, de l'exil passé à contempler de loin son pays et à le sentir lui aussi douloureux. Mais, comme tout poète, c'est dans cette douleur amère qu'il entretient les graines d'un espoir immense.