Même en ayant tout prévu, Luis Enrique a été surpris par le destin. Devant les bondissants joueurs marocains qu'il félicite un à un au coup de sifflet final, le sélectionneur de la Roja se prend la réalité en pleine figure: une nouvelle fois, l'Espagne quitte un tournoi majeur lors d'une séance de tirs au but. Comme en 2018 en Russie face au pays hôte, comme à l'Euro 2020 en demies face à l'Italie. Pour ne prendre en compte que la Coupe du monde, l'Espagne a perdu quatre de ces cinq dernières séances de penaltys depuis 1986. Pis encore: elle est devenue la première nation de l'histoire à en perdre autant. Et si l'Angleterre lui avait refilé un variant de sa «?pénaltie?»? Ce n'était pourtant pas faute d'avoir prévenu. À J-1 de leur confrontation avec les Marocains - qui décrochent ainsi une historique qualification pour les quarts de finale d'un Mondial - le twitcheur préféré des Ibériques confiait avoir demandé à tous ses joueurs d'arriver au Qatar en ayant tiré «?au moins 1000 penaltys?» dans leur club respectif à l'entraînement ou en match. «?J'imagine qu'ils ont fait leurs devoirs, assurait-il alors. C'est un moment de tension maximale, un moment où il faut montrer son sang-froid et montrer que l'on peut tirer le penalty de la façon dont on l'a décidé, si on l'a réalisé des milliers de fois. Cela en dit long sur chaque joueur. C'est entraînable, gérable, comment vous gérez la tension. La chance est de moins en moins présente, les gardiens de but ont plus d'influence. Nous avons un très bon gardien, n'importe lequel des trois peut faire très bien dans cette situation. Chaque fois que nous terminons l'entraînement, je vois beaucoup de joueurs qui tirent des penaltys.?» Vingt-quatre heures plus tard, le bilan est sévère: Pablo Sarabia a envoyé sa tentative sur le poteau, tandis que Carlos Soler et Sergio Busquets, qui s'occupait avant la séance de désigner le nom des tireurs avec son petit stylo, ont vu Bono les dégoûter. Depuis la Suisse face à l'Ukraine lors du Mondial allemand de 2006, aucune sélection n'avait claqué une bulle dans l'exercice. Pourtant, après la rencontre, Luis Enrique ne voulait pas dramatiser la situation: «?Je ne pense pas que c'est une loterie, une séance de tirs au but. Vous devez vous montrer, être braves, je rechoisirais les mêmes joueurs si je devais le refaire. Ils ont été bons, je dois les protéger: il n'y a que les joueurs qui tirent qui manquent leurs penaltys.?» Ce qui est surtout révélateur, à travers cette nouvelle grande désillusion pour la Roja, c'est aussi d'une certaine manière les limites de la philosophie. À chaque fois, le tableau est le même: l'Espagne a le ballon, l'Espagne fait courir son adversaire, mais l'Espagne peine réellement à déverser une pluie de flèches sur le portier adverse. Au coup de sifflet final, hormis la tentative qui aurait pu s'avérer gagnante de Pablo Sarabia sur le poteau, le bilan est maigre: 2 tirs cadrés sur 14 tentés, et le sentiment que la Roja jouait réellement sans un homme capable de bonifier les longues minutes de possession. On se souvient notamment de ses 1029 passes face à la Russie en 2018, pour, finalement, un score de parité, 1-1, et une défaite aux tirs au but. Conséquence, depuis son sacre en 2010, l'Espagne n'a gagné que trois rencontres en Coupe du monde: face à l'Australie en 2014, face à l'Iran en 2018 et donc face au Costa Rica lors de cette édition.