Avec sa personnalité cassante et des résultats décevants, Luis Enrique divisait il y a encore quelques jours l'Espagne du football, mais tout a changé : le sélectionneur a réussi à fédérer ses joueurs autour d'un projet et un pays autour d'une «Roja», qualifiée pour les demi-finales de l'Euro, en reconquête. «Cette sélection a réussi l'impossible : redonner espoir à toute l'Espagne et la faire rêver d'atteindre ce qui paraissait inatteignable. Pourquoi ne pourrions-nous pas gagner cet Euro ? ça y est, Luis Enrique nous a tous emmenés dans son bateau», résume Emilio Contreras, directeur adjoint du quotidien sportif Marca, dans son éditorial hier. «Arriver en demies, c'est récupérer le temps perdu, c'est oublier la néfaste période qui avait débuté au Mondial-2014 au Brésil et qui s'est terminé au Mondial-2018 en Russie. Cette fois, ça y est, on est de retour parmi les meilleurs. Et le mérite, que cela plaise ou non, revient à Luis Enrique et à un groupe de footballeurs jeunes et sans noms clinquants qui ont réussi ce que personne n'osait imaginer», s'enthousiasme Contreras. «Incroyable...», renchérit en Une le quotidien sportif catalan L'Esportiu, avec une photo du sélectionneur tout sourire, les bras levés aux cieux, après la qualification face à la Suisse (1-1 ap, 3 tirs à but à 1). «Luis Enrique continue de fermer des bouches et se qualifie pour les demi-finales», souligne le journal. L'Espagne, privée de titres depuis son triplé historique Euro-Mondial-Euro de 2008 à 2012, et son sélectionneur reviennent de loin. Après deux nuls inauguraux contre la Suède (0-0) et la Pologne (1-1), on se demandait si la «Roja» allait parvenir à sortir de la poule E. Puis avant le 8e de finale contre la Croatie, rares étaient ceux qui voyaient cette équipe remaniée prendre le meilleur face aux expérimentés vice-champions du monde 2018... Psychodrame Raté. Alors que les favoris ont tour à tour déchanté (Pays-Bas, Portugal, Croatie, France, Allemagne en 8e, Belgique en quarts vendredi...), cette Espagne sans grandes stars mais avec un sens remarquable du collectif, a surpris les bookmakers, et même ses propres supporters. Même pour l'entraîneur galicien passé sous les couleurs du Real Madrid et du FC Barcelone comme joueur, puis sur les bancs de la Roma, du Celta Vigo et du Barça comme entraîneur, rassembler l'Espagne a été un chemin de croix. Nommé sélectionneur en juillet 2018, il abandonne momentanément son poste fin mars 2019 pour rester au chevet de sa fille Xana, qui souffre d'un cancer des os et qui décèdera durant l'été, à neuf ans. Luis Enrique trouve la force de revenir à son poste en novembre 2019, pour relever son éternel bras droit Robert Moreno, qui avait assuré l'intérim... mais le passage de relais tourne au psychodrame : Moreno refuse de céder sa place après avoir qualifié l'Espagne pour l'Euro, la fédération intervient pour l'y forcer, ce qui mènera au divorce avec son ami de toujours, Luis Enrique. Puis, il y a la pandémie, et les blessures (celle de Sergio Ramos, notamment), qui ont considérablement compliqué la tâche du «Lucho». Jusqu'en mars, le technicien espagnol a fait des essais, lançant des jeunes dans le grand bain. Pari gagnant. Pendant l'Euro, il a aussi fait des choix forts. Il a défendu Alvaro Morata malgré les critiques sur son absence de but en phase de poules et l'avant-centre s'est mué en sauveur contre la Croatie en 8e. Il a également maintenu sa confiance à son gardien Unai Simon, auteur d'une bourde face aux Croates, avant de sortir plusieurs arrêts décisifs et de bloquer deux tirs au but contre la Suisse. Luis Enrique a déjà réussi sa mission. Le sacre à l'Euro, désormais envisagé, ne sera pas accessoire. Mais sa victoire est ailleurs : il a réinjecté du sang neuf à cette «Roja», qui fait à nouveau vibrer toute l'Espagne.