Mettre des mots sur les maux. Une nécessité. À l'heure où nous vivons un moment de recrudescence de la pensée raciste et de sa capacité de propagande, le football s'habille, lui aussi, de cette régularité consternante. Aux chants enflammés s'ajoutent désormais le cri des révoltés. À la passion se greffe la déraison. Aux clameurs s'invitent l'horreur. Un mariage aussi déchirant que préoccupant où la division prend progressivement le pas sur l'union. Des cris de singe aux jets de bananes en passant par les insultes envers les joueurs de couleur et les diverses polémiques mêlant joueurs, entraîneurs et supporters, le théâtre du ballon rond - symbole de ce délit systémique - voit ainsi trop souvent sa représentation bafouée. Sujet de préoccupation pour certains, dérive intolérable pour d'autres, le racisme ne cesse de croître. Au grand dam des défenseurs de l'humanité. Le monde du football gangréné par le racisme «C'est le moment pour tous les athlètes de commencer à se connecter entre eux pour que l'on puisse gérer cette maladie de la bonne manière. Une fois que nous nous rassemblerons, nous pourrons vraiment changer les choses», lançait, à ce titre, Memphis Depay, déterminé à l'idée de faire changer les mentalités. «2023 et toujours les mêmes problèmes mais on ne va pas vous laisser faire. Tous contre le racisme. On est en 2023. Au bout d'un moment, il ne suffit plus de dénoncer. Il faut agir», confiait, de son côté, Kylian Mbappé. Pourtant, si de nombreux footballeurs sortent, aujourd'hui, du silence pour dénoncer les actes récurrents de racisme, ces derniers se multiplient à travers le monde. Outre l'affaire Galtier, qui a décidé de porter plainte contre Julien Fournier, Daniel Riolo et Romain Molina pour diffamation, Vinicius Junior, Romelu Lukaku, Dayot Upamecano, Jeremy Ebobisse ou encore Sadio Mané ont ainsi récemment subi les foudres de ce cancer effrayant. Fléau dépassant les frontières, le racisme frappe, week-end après week-end, l'ensemble des pelouses mondiales. En Liga, Vinicius Jr vit dans cette optique un véritable cauchemar, à l'instar de cette poupée à son effigie, retrouvée pendue à un pont avant le derby face à l'Atletico de Madrid. Régulièrement visé en raison de sa couleur de peau, l'attaquant brésilien du Real Madrid, victime de cantiques souhaitant sa mort et insulté, ravive alors une problématique de longue date. Si les deux frères Williams, joueurs de l'Athletic Bilbao, ont notamment été victimes d'insultes racistes ces dernières saisons, cette plaie béante ensanglante le football espagnol depuis plusieurs décennies. «Je recevais des insultes comme 'va ramasser des bananes', 'tu es venu dans une barque de clandestin', 'enfoiré de noir, va ramasser le coton' ou imiter le cri du singe. Ce sont des choses très dures mais habituelles et avec lesquelles il fallait vivre», avouait Alberto Edjogo-Owono, ancien joueur professionnel espagnol des années 2000. Un fléau systémique Un panorama tout aussi déplorable sur le reste du globe. Lynché sur les réseaux sociaux après la lourde défaite (0-3) du Bayern Munich face à Manchester City lors des quarts de finale aller de la Ligue des Champions, Dayot Upamecano, le défenseur du Bayern originaire de Guinée-Bissau, a également essuyé une vague de haine, illustrée par de nombreux commentaires racistes. Et que dire de Jeremy Ebobisse, attaquant de San Jose Earthquakes en MLS. Victime de propos racistes, l'international américain (1 sélection) a finalement vu son bourreau sanctionné. Arrivé cet hiver en provenance de l'Union Saint-Gilloise, Dante Vanzeir, le buteur belge des New York Red Bulls, a en effet reconnu les faits. «J'ai fait une erreur, je vais suivre toutes les étapes qui me permettront de grandir», déclarait celui qui a écopé d'une amende en plus d'être suspendu pour six rencontres. Contraint de suivre des sessions de formation et d'éducation ou encore participer à des «programmes de pratiques réparatrices», le Diable rouge (1 cap) avait pourtant bénéficié d'un large soutien au pays...«Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais à l'Union, nous savons que Dante est un bon garçon, gentil et bien élevé», assurait, à ce titre, le Maltais Teddy Teuma, capitaine de l'USG. Un éternel refrain également présent en Allemagne... Suspendu à titre temporaire par la direction du Bayern Munich pour avoir frappé Leroy Sané après le fiasco face aux Skyblues, Sadio Mané - qui devra également s'acquitter d'une amende - aurait lui aussi essuyé des propos racistes. Ce jeudi, la presse sénégalaise et notamment le média Taggat révélait ainsi que l'international allemand aurait déclaré: «Scheisse Schwarzer (noir de merde, ndlr)» à son coéquipier. Une insulte provoquant alors la colère de la star des Lions de la Teranga, avant de voir l'ancien joueur du FC Schalke 04 s'excuser, conscient de la gravité de ses mots. Véritable fléau du football moderne, le racisme s'invite, par ailleurs, au milieu des tifosis... Victime de racisme lors du match (1-1) contre la Juventus en coupe d'Italie, le 4 avril dernier, Romelu Lukaku a (une nouvelle fois) été la cible de cris de singes et d'insultes. Des institutions critiquées! Frustré et blessé par de tels propos, l'attaquant intériste choisissait finalement de célébrer son but face à la tribune des supporters turinois, le doigt sur la bouche... avant d'être expulsé pour un deuxième carton jaune et donc suspendu pour la demi-finale retour. Une décision jugée comme scandaleuse pour de nombreux acteurs, dénonçant le manque de sanctions prises à l'encontre des véritables agresseurs. «C'est partout, ça l'a toujours été et ça le sera toujours. Avant, c'était isolé. Maintenant, c'est dans le stade entier, on peut le voir. Je reviens sur le bon sens encore. Là, ça ne peut pas être du bon sens quand tu vois ce que le gars (Lukaku, ndlr) entend et qu'il demande juste au public de se taire. Il prend un carton jaune, vraiment? À cause de ça? Pourquoi le bon sens ne vient pas jouer ici si tu as un peu d'empathie? Si tu ne sais pas ce que veut dire empathie, regarde dans un dictionnaire pour savoir ce que ça veut dire. J'aurais fait pire que lui si j'avais été ciblé sur un terrain. J'en appelle encore au bon sens. La fédération italienne maintient le carton jaune et on parle de sens commun? Sérieusement? Mais ça arrive partout et à chaque fois, c'est la réaction qui est punie même si cette fois une section de la tribune a été sanctionnée», pestait notamment Thierry Henry. «Je suis fatigué de voir des badges 'Non au racisme' sur les maillots. Pouvons-nous nous concentrer sur d'autres endroits et voir ce que nous pouvons bien faire à ce sujet?» critiquait par ailleurs l'ancien attaquant du Barça, lassé des timides initiatives prises par l'UEFA. Une indignation également perceptible au niveau associatif. «SOS Racisme et Sportitude-France témoignent à Romelu Lukaku de leur totale solidarité et saluent les nombreuses réactions de condamnations, dont celle de Kylian Mbappé, conclue par «ALL AGAINST RACISM». En effet, il est plus que temps de sonner la mobilisation générale contre le racisme et l'impunité croissante dont les expressions de haine font l'objet. Une fois de plus, les deux associations déplorent l'absence de politique et d'actions fortes des instances sportives italiennes face à un problème pourtant récurrent. Elles appellent donc désormais aux instances internationales à prendre des mesures de contrainte pour que les instances italiennes prennent enfin au sérieux cette situation et agissent contre le racisme, l'antisémitisme et les expressions de haine, devenus banals dans ses stades». Des solutions envisageables? Dans cette optique, un récent rapport proposé par l'Unesco sur la lutte contre le racisme et la discrimination prônait la pédagogie. Et pour cause, ce sont bien les jeunes joueurs sensibilisés qui seront aussi les spectateurs plus sensibles dans les stades de demain. L'occasion également pour l'organisation fondée sur le partage des savoirs et de la connaissance d'égratigner l'impact de sanctions collectives, jugées contraires à l'éthique, controversées et souvent contre-productives. Dès lors, le rapport défend l'idée d'instaurer, de façon systématique, des sanctions individuelles avant d'appeler à la responsabilité des clubs professionnels, locomotives du football et théâtre des incidents les plus regrettables. Dans ce rapport, l'Unesco préconisait, par ailleurs, le développement d'un label de qualité «club citoyen», octroyé au terme d'un processus d'audit indépendant et renouvelé périodiquement. Des propositions s'inscrivant dans le prolongement des questions liées au développement durable où la dimension éthique demeure tout autant primordiale que l'aspect environnemental et social. Les maux frappent. Les mots partent. Les actes marquent.