Des milliers de civils fuient Khartoum, sous les bombes hier encore, alors que les combats entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) et l'armée régulière ont fait près de 200 morts au Soudan en quatre jours. À pied ou en voiture, sur des routes jonchées de cadavres et de blindés calcinés, des milliers de Soudanais tentent de passer sous les tirs croisés des FSR du général Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», et de l'armée que dirige le général Abdel Fattah al-Burhane, aux commandes depuis leur putsch conjoint de 2021. Depuis samedi, la communauté internationale appelle au dialogue. Mais les deux hommes, lancés dans une lutte désormais «existentielle» selon les experts, restent sourds aux appels au cessez-le-feu ou au moins à une trêve temporaire pour évacuer les civils des quartiers les plus dangereux. Malgré tout, alors que les combats connaissent parfois de brèves accalmies -le plus souvent le temps de recharger des munitions ou de se déplacer de quelques rues, chaque jour des grappes de familles sont parvenues à sortir de la capitale. Car la vie n'y est plus tenable depuis samedi: l'électricité et l'eau courante ont disparu et les balles perdues transpercent régulièrement un mur ou une fenêtre. Pire, parfois un missile venu du ciel réduit un immeuble ou un hôpital à un tas de gravats. Déjà lundi soir, l'ONU recensait près de 200 morts, plus de 1.800 blessés, et les combats ont déjà fait fermer sept hôpitaux à Khartoum. Dans un pays de 45 millions d'habitants où la faim touche plus d'un tiers de la population, humanitaires et diplomates disent ne plus pouvoir travailler: trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour (ouest) et l'ONU dénonce des pillages dans ses stocks et ses établissements. Alors hier, ce sont par milliers que des femmes et des enfants ont pris la route vers les provinces hors de Khartoum, progressant au milieu de cadavres.. Pour les experts, les puissances agissantes, voisins et autres bailleurs de fonds tentent de ménager les deux généraux en guerre. Car ils ne veulent pas insulter l'avenir. De nombreux acteurs sont impliqués, car les deux camps ont tissé un réseau d'alliés -et d'ennemis- politiques, économiques et diplomatiques. Le Soudan a de longue date été courtisé pour ses ressources et son emplacement stratégique sur la mer Rouge comme le sous-sol gorgé d'or, largement tenu, par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Lors du putsch en 2021, les deux rivaux avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir, mais depuis des décennies ils ont chacun leurs propres alliés et sources de revenus. Côté Hemedti, l'or -le Soudan est le 3e producteur d'Afrique- en est une. ne. Hemedti a su se rendre indispensable auprès de nombreuses capitales. La sienne, d'abord: il est parvenu à intégrer le premier cercle à Khartoum en menant pour l'ancien président déchu Omar el-Béchir la sanglante guerre du Darfour avec ses milliers d'hommes. Puis, il les a envoyés combattre au Yémen en 2015. Certains de ses mercenaires seraient aussi en Libye. Car son bastion, le Darfour, est aux confins du Soudan et de la Libye. Dans ce désert, «Hemedti va utiliser ses contacts pour sécuriser un canal d'approvisionnement» car le Sahel est «inondé d'armes et de munitions», affirme Eric Reeves, chercheur au Rift Valley Institute. En face, le général Burhane est également le grand artisan de la normalisation avec l'entité sioniste. Et, surtout, passé par l'académie militaire égyptienne, il peut compter sur un ex-maréchal sorti de la même école, le président Abdel Fattah al-Sissi. L'Egypte partage «1 200 km de frontière, les eaux du Nil et des questions de sécurité» avec le Soudan. Elle accueille aussi sur son sol «entre trois et six millions de Soudanais». Surtout, Le Caire subit déjà les «ramifications» des combats au Soudan. Plusieurs de ses soldats -des «formateurs» selon al-Sissi- ont été «capturés par les FSR» et «elle négocie leur retour». ««Hemedti s'est senti menacé par l'Egypte», alors que des semaines plus tôt, Le Caire accueillait un dialogue politique entre les forces soudanaises alors qu'à Khartoum, ONU, Union africaine et capitales occidentales et du Golfe tentaient d'obtenir la signature d'un accord pour faire revenir les civils au pouvoir. Aujourd'hui, la communauté internationale qui a déjà coupé son aide lors du putsch ne semble plus à la manoeuvre, dépassée par les poids lourds africains et arabes. En amont du Nil, là où se construit le Grand barrage de la Renaissance, on préfère se laisser le temps. Déjà à couteaux tirés avec les Egyptiens, «la dernière chose que les Ethiopiens veulent serait de se mettre à dos les généraux qui participeront aux négociations finales sur le barrage», affirme M. Reeves. Car Addis -Abeda, comme «beaucoup d'acteurs régionaux et mondiaux ont tissé des liens avec toutes les parties au Soudan», assure le think-tank Soufan Center. Au cas où.