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«L'émigration algérienne est exemplaire»
Abdelhafid Hammouche, sociologue, à L'Expression
Publié dans L'Expression le 23 - 05 - 2023

:Comment votre appartenance algérienne vous a-t-elle aidé à mieux appréhender le phénomène migratoire algérien?
Abdelhafid Hammouche: Mon appartenance algérienne s'ancre dès mon enfance dans la migration. C'est d'abord «Rahla», en français comment traduire «Rahla» mot lourd de sens pour évoquer ou rappeler l'expulsion de nos maisons opérée par l'armée française. Le déménagement pour traduire ce terme est ce que Bourdieu et Sayad ont analysé de manière plus large avec le déracinement. Ce départ sous contrainte armée a été pendant très longtemps la grande affaire des miens et de mon village. Une migration forcée, que j'ai connue à l'âge de six ans, une migration qui consistait à quitter notre terre sans savoir où nous devions aller. C'était à la fin des années 1950, quand on nous a expulsés de nos habitations, mis sur la route (une piste à l'époque) pour nous réunir probablement dans un camp. Nous avons eu la chance d'être hébergés dans un autre village quelque temps avant de partir en France. Je ne savais pas le nom des camps auxquels j'ai pu échapper grâce à l'hospitalité de ceux qui nous ont hébergés avant une autre migration, plus lointaine.
Auparavant, mes premiers souvenirs d'enfance au village sont ceux de matinées encadrées par les militaires qui nous réveillaient avec des rafales de mitraillette tirées en l'air, avant de venir nous chasser de nos maisons. Ils nous obligeaient à sortir pour nous regrouper vers la mosquée ou le cimetière de mon village (dans ce qui est devenu la wilaya de Bordj-Bou-Arréridj). C'est donc à l'âge de six ans que j'ai émigré avec mes parents et une partie de ma famille, d'abord après «Rahla» pour une sorte de transition dans un autre village sans perspectives claires, puis en quittant l'Algérie.
Parlez-nous de votre expérience migratoire...
Mon expérience migratoire naît avec notre arrivée à Saint-Etienne en 1959. Le contexte n'a cessé de changer bien sûr mais avec, pour moi et ma famille, une relation constante à l'Algérie. Il y eut une première période dans les années 1960 lourdement marquée par l'après-guerre, les tensions, un racisme décomplexé, avant une autre phase dès les années 1970, où l'immigration a pris une place plus centrale dans le débat public, et enfin celles des décennies suivantes où les formes d'engagement associatifs et politiques sont plus affirmées de la part des migrants et de leurs enfants.
La différence culturelle qui caractérise les situations migratoires était présente déjà entre enfants, puis entre adultes par la suite. Elle n'était pas toujours discutée en tant que telle. Les fêtes, les nourritures, les mariages, les enterrements, les rapports aux parents, entre filles et garçons et bien d'autres éléments semblaient relever de mondes différents. Du moins c'est ce qui s'entendait dans les cours d'école ou, plus tard, dans l'enceinte des entreprises où j'ai travaillé. Mais ces différences ne se limitaient pas à la vie en France. Il y en avait d'autres que vivaient les primo-migrants et sans doute encore plus leurs enfants lors des rares retours, lors de vacances qui se sont multipliées mais qui ont aussi changé de fonction. Les joies des retrouvailles ou des découvertes se combinaient pour certaines et pour certains par la crainte de devoir se marier, de ne plus pouvoir repartir en France.
Comment avez-vous ressenti le phénomène migratoire?
Au fil de ces années, j'ai vécu, ressenti, le phénomène migratoire sans toujours avoir les mots pour le signifier, pour questionner ou expliciter les différences ou plus largement les processus engendrés par de telles conjonctures. Par la suite dans mon travail d'universitaire, certaines de mes expériences m'ont beaucoup aidé, par exemple pour esquisser une cartographie des mariages qui semblent, pour les étrangers au monde des migrants, parfois uniformes. Je connaissais les angoisses, les craintes d'un mariage ou d'un retour au pays. C'est sans doute ce qui m'a amené à parler d'interculturalité domestique pour conceptualiser les conflits ou les incompréhensions culturelles entre parents et enfants. La crainte de rompre avec les parents, comme celle de trahir l'héritage symbolique pour reprendre des termes employés par certains enfants d'immigrés, expliquent aussi partiellement que j'ai été amené à parler dans divers articles de liens articulés pour les opposer aux liens clivés. L'articulé disant le lien aux deux pays, le clivé signifiant une opposition supposée insurmontable. Être algérien n'interdit pas d'être français et inversement. Vous imaginez le trouble et le malaise que de telles redéfinitions de fait et de jure (au moins par «les papiers») ont généré dans des familles dont le père avait milité au FLN en prolongeant parfois par son engagement en militant à l'Amicale lorsqu'il découvrait ou constatait que ses enfants étaient français autant qu'algériens?Mais je crois profondément que l'expérience la plus marquante de mon appartenance algérienne pour comprendre, saisir et interpréter le phénomène migratoire résulte de la période très éprouvante que fut mon service militaire en Algérie entre 1975 et 1977. Ce n'est pas que la diversité entre jeunes appelés venus du Sud ou de Kabylie, de petits villages de l'Oranie ou de l'Algérois qui m'est apparue.
La dissemblance entre enfants d'émigrés, entre ceux qui avaient vécu l'immigration, était incroyablement manifeste, entre ceux qui ne parlaient que le français, entre ceux qui voyaient le pays de leurs parents pour la première fois. Un point cependant réunissait les appelés des deux rives: la langue. Car quelles que soient les provenances, ils se trouvaient le plus souvent démunis face aux instructeurs qui leur parlaient avec un arabe châtié loin des sonorités du quotidien.
En quoi y a-t-il une spécificité algérienne?
Les 132 années disent trop peu l'extraordinaire enchevêtrement entre les deux rives de la Méditerranée. Les empreintes ne se limitent pas aux archives, aux lois, mais prennent chair avec les femmes et les hommes qui ont travaillé en France, mais aussi celles et ceux qui ont milité à différentes époques pour rejeter le colonialisme. Une partie de l'histoire industrielle française, comme celle des houillères et bien d'autres secteurs de l'économie reposent sur les migrations, notamment algériennes. Il faut aussi rappeler que les lois qui ont jalonné la période coloniale ont profondément marqué l'agriculture algérienne, provoquant des migrations. Sur bien des registres, et pour reprendre l'expression de Sayad, l'émigration algérienne est exemplaire.
Puis sur votre oeuvre, quels sont les objets que vous avez développés?
C'est la frustration que j'ai ressentie lorsque les analyses sur les migrations prenaient un tour excessivement psychologisant ou quasi exclusivement économique, posant les migrants par leurs supposées défaillances psychiques ou par leur seule utilité de travailleurs qui m'a orienté vers la sociologie.
J'ai voulu «rentrer» dans les demeures, essayer de comprendre ce qui se passait dans les familles d'abord avant de tenter d'interroger l'engagement dans l'espace public. Je me suis particulièrement intéressé aux mariages, à la manière dont les jeunes femmes et les jeunes hommes vivaient les processus qui précèdent le choix du conjoint.
J'ai opté pour une approche intergénérationnelle tenant compte des rapports de genre. Comment les parents et les enfants concevaient le mariage?
Mes questions m'obligeaient à essayer de comprendre l'apprentissage des modèles, la socialisation du matrimonial. Mais ce n'est pas la seule socialisation des futurs conjoints qui se trouve interrogée. C'est aussi celle des parents. Pour les enfants, c'est leur implication dans la société française qui se révèle, pour leurs parents c'est leur volonté de rester maître ou non du choix conformément à ce qu'eux-mêmes avaient appris.
Un de mes enquêtés disait «c'est mon devoir» et non pas c'est mon pouvoir. Il résume à sa manière le conflit qui l'oppose à ses enfants pour qui le choix leur revient car «c'est leur vie».
Propos entendu comme un blasphème par le père pour qui «la vie appartient à Dieu».
Outre les mariages, les définitions du couple, les relations de génération et de genre, j'ai aussi mené des recherches sur l'engagement associatif. C'est ce qui m'a permis de conceptualiser les choix des migrants et de leurs enfants par ce que je nomme une double contextualisation par laquelle le chercheur tient compte de l'environnement immédiat de l'enquêté mais aussi de sa connaissance et de son implication évolutives en Algérie. Être d'ici sans se déconnecter de là-bas, et inversement pour celles et ceux qui tentent le «retour» sans exclure un retour du retour quand la nationalité française le leur permet.
Que vous a apporté Sayad?
Beaucoup, avec la finesse du rendu des entretiens, par son analyse qui tient compte de l'émigration sans ignorer l'immigration. Il offre une articulation de l'ici et de l'ailleurs, l'émigré ne fait pas que précéder l'immigré. L'un et l'autre constituent les deux facettes du migrant. Il y a bien sûr sa typologie de l'émigration algérienne qui rend finement les processus de décomposition du monde rural et des processus d'individuation. Mai j'ai eu beaucoup de plaisir à faire lire ses textes par mes étudiants, et plus particulièrement Les enfants illégitimes. Dans cet article il dévoile, par la locutrice, l'interculturalité que j'ai voulu éclairer à mon tour par les recherches sur le mariage ou sur la définition de l'autorité en situation migratoire.
Bourdieu? La rencontre avec l'oeuvre de Bourdieu a été déterminante dans l'orientation qui est la mienne.
Tout son travail montre que le monde est social, que débusquer les évidences permet de mieux en saisir les structures. Mais surtout, celles-ci, et plus précisément les dispositions incorporées par l'individu, ne sont pas figées à tout jamais. C'est un alphabet social appris, intériorisé, par lequel on peut saisir les agents dans leur présent sans ignorer les empreintes actives de leur passé, passé qu'il faut entendre comme contexte social avec des dominations...
Bourdieu a constitué pour moi, et d'une manière inattendue car je me suis approprié certains ouvrages que tardivement, une ouverture sur mon propre passé. C'est après des recherches sur la culture, sur l'enseignement (avec La distinction, La reproduction...) que j'ai connu les ouvrages consacrés à l'Algérie (Travail..., Le déracinement avec Sayad). J'ai reçu ces derniers comme une ouverture, pas comme un «retour», une ouverture donnant à comprendre une situation de destruction des structures et des modes de vie.
En quoi cette recherche effectuée pendant la guerre a été importante?
Elle montre que même dans des conditions extrêmement difficiles la recherche doit reposer sur l'exigence scientifique.
La rigueur de la démarche, malgré les lourdes contraintes de la guerre et d'un milieu universitaire majoritairement hostile à Bourdieu, constitue le meilleur fondement d'une analyse pertinente et charpentée. Elle n'oppose pas le chiffre et la lettre, le quantitatif et le qualitatif.
Au contraire, elle montre combien des données statistiques gagnent à être conjuguées avec ce qui ressort des entretiens.
L'observation, et la familiarité avec les lieux et les manières de vivre acquise au fil des enquêtes constituent aussi une indispensable connaissance pour saisir le sens donné par les enquêtés et proposer une analyse qui le resitue dans un contexte de domination.
Que peut représenter l'oeuvre de Bourdieu pour l'Algérie?
Un dévoilement qui offre une lecture de l'histoire par les hommes et les femmes, par les parents et les enfants durant la période coloniale.
Le rapport au temps, à l'angoisse du lendemain dit bien plus que bien des proclamations sur le système colonial, l'écrasement, l'importance du travail salarié, l'importance plus largement des temporalités, celles qui organisent le quotidien, mais celles aussi qui s'expriment par les espoirs d'un avenir meilleur pour sa progéniture.
L'apport de ce livre est double: il permet d'approcher et de comprendre la situation coloniale pas seulement par l'histoire des évènements, mais par ce que vivent les personnes colonisées.
On entrevoit par l'analyse et par les extraits d'entretiens le quotidien, les conditions de misère, la hantise du manque de ressources qu'il faut constamment rechercher par un travail dévalorisé et des emplois occupés par des Algériens en marge des villes et de la vie sociale.
Il permet aussi de saisir les ressorts au principe du salariat avec le rapport au temps, pas seulement celui du temps accordé au travail concret, mais tout ce que cela génère pour concevoir, organiser sa vie, penser un futur.
L'Algérie d'aujourd'hui n'échappe pas à ces questions, comme toutes les sociétés contemporaines.
Comment penser le travail en tant que générateur de ressources monétaires et plus largement sociales? Comment se dessine le prévisible par son salaire ou l'angoisse du lendemain?
Comment le travail permet ou non d'espérer des conditions meilleures à ses enfants?
Comment même songer à un futur qui permet de rester au pays sans faire de l'émigration un horizon récurrent?
Entretien réalisé par Pr Tassadit Yacine et Kamel Lakhdar Chaouche


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