Cette action, comme celles nombreuses, intervenues partout à travers le territoire de la wilaya III, visait, aussi, à saper le moral des troupes ennemies par l'instauration d'un climat d'insécurité permanent et démontrer que l'ALN est capable de frapper partout et à n'importe quel moment. Ces attaques audacieuses, caractérisées par des embuscades et enlèvements de soldats des postes militaires, se sont soldés par de lourdes pertes infligées à l'ennemi. De nombreux soldats furent capturés et faits prisonniers et d'importants lots d'armes et de munitions récupérés. Ces armes récupérées viennent ainsi, depuis l'érection du deuxième barrage électrifié, pallier l'interruption des convois d'acheminement d'armes, en provenance de Tunisie et qui, pour la plupart, sont inopérantes après épuisement de leurs cartouches. En effet, ces dernières, de fabrications allemande, anglaise et italienne, étant d'un calibre différent et inadaptables par rapport à celui des armes d'origine française et américaine, utilisées par l'armée française sont, de ce fait, rapidement hors d'usage, après l'épuisement de la dotation fournie à chaque djoundi, soit 150 cartouches par fusil. C'est pourquoi l'urgence de les remplacer par celles récupérées sur l'ennemi, lors des combats, s'impose d'elle-même comme une nécessité vitale, sachant que l'approvisionnement en munitions est vécu comme un cauchemar par nos combattants guet-apens, a eu pour théâtre le site montagneux de la station estivale de Tikjda, située à 35 km au nord-est de Bouira et qui culmine à 1 500 mètres d'altitude. Pour mener à bien cette action, le choix s'est porté sur la première compagnie du bataillon de choc de la wilaya et sur la compagnie de la région 2, zone 2. L'adversaire du jour: un détachement de chasseurs alpins. Celui-ci, faisant partie des 2ème et 3ème compagnies du 22ème Bataillon de chasseurs alpins (B.C.A.), occupent, depuis le début de l'année 1956, les locaux de la colonie de vacances des chemins de fer, transformée en caserne. Un lieu stratégique pouvant contrôler tout le secteur, notamment le col de Tizi N'kouilal, un lieu de passage séparant les deux versants de la chaîne du Djurdjura, et le chemin donnant accès à Tala Guilef, en haute Kabylie. Une jeep et deux half-tracks à Bouira L'itinéraire sinueux, entre le lieu du cantonnement de la ville de Bouira et la régularité des déplacements ont inspiré les responsables pour tendre une embuscade. En effet, l'observation attentive de ce poste militaire, un point noir dans la région, a montré que, régulièrement, une fois par semaine, un convoi de ravitaillement formé de deux camions GMC, d'une jeep et de deux half-tracks se rend à Bouira, tôt le matin, afin d'en revenir dans l'après-midi. C'était là une excellente opportunité pour l'intercepter à un endroit où il sera le plus exposé et où il présentera moins de risque pour nos combattants. C'est dans ce cadre que la décision est alors prise d'attaquer le convoi à son retour, dans l'après-midi. Le lieu idéal afin de dresser l'embuscade étant choisi, il ne reste plus qu'à mettre au point un plan d'attaque, que le lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de choc et les chefs des compagnies avaient établi. Le choix s'est définitivement porté sur Tighzarthe, pour intercepter le convoi à son retour de Bouira, dans l'après-midi du 28 mai. Il s'agit d'un large talweg, situé à quatre km du cantonnement des chasseurs alpins et séparé en deux par un ruisseau et où la route amorce une pente avant d'entamer un large virage en épingle à cheveux. Le jour venu, avant l'aube, les deux compagnies sont venues s'installer à l'endroit prévu, bien protégées derrière les casemates et les cèdres centenaires. Nos combattants sont installés en tenant compte de la longueur du convoi et de l'écart observé entre les véhicules. Puis, comme pour chaque embuscade, deux sections sont déployées le long de la route qui mène au lieu de cantonnement et dont la mission essentielle consiste à intercepter l'arrivée de renforts éventuels et de protéger le repli de nos combattants. Vers 7 heures, au lever du jour, alors que le soleil est déjà haut dans le ciel, le convoi traverse en toute confiance le lieu choisi de l'embuscade pour se rendre à Bouira. Il est suivi du regard par nos djounouds, bien camouflé, le coeur serré, mais manifestement déterminés. En attendant patiemment son retour, nos vaillants combattants rongent leurs freins et passent en revue les consignes strictes de leur chef. À mi-chemin, à hauteur du village Aïn Alouane, deux redoutables half-tracks se sont détachés du convoi en se postant, comme à l'accoutumée, pour sécuriser le tronçon de route qui, dans un passé récent, a connu plusieurs attaques. Chacun d'eux est armé d'une mitrailleuse calibre 50 et d'une autre de calibre 30, de fabrication américaine. Après les avoir récupérés dans l'après-midi, le convoi de ravitaillement est remonté vers Tikjda, accompagné par un avion de protection, pour arriver à Tighzarthe aux environs de 17h 30. Comme nous sommes en été, le soleil ne se couchera pas avant 20h.30, d'où la nécessité absolue de mener l'action rapidement et de décrocher avant l'arrivée des renforts. Avant d'amorcer le virage, un endroit considéré très dangereux, le convoi marque un temps d'arrêt afin de laisser descendre du camion la section de protection qui va se positionner sur le côté rocheux de la route, tandis que les half-tracks prennent position à l'arrière du convoi. Un rituel qui se répète à chaque fois. La jeep du chef de convoi s'est mise alors en tête, avant que le convoi ne redémarre, pour amorcer la descente et le virage où l'attendent nos combattants. Soudain, un déluge de feu rompt le silence. Les fusils-mitrailleurs et les mitrailleuses entrent en action et visent notamment les véhicules de tête. L'avion T.6 Morane n'a rien pu voir L'assaut est donné. Nos djounouds se ruent alors sur les camions pour récupérer les armes et les munitions des soldats tués. La surprise est totale, malgré toutes les précautions prises pour éviter une attaque. La section de protection ennemie, qui avait pris position, a alors ouvert le feu, menaçant ainsi la vie de nos combattants. Puis très vite, l'ordre de décrocher est donné aux djounouds des deux compagnies, qui doivent suivre, comme prévu, des itinéraires différents. Elles doivent, pour l'une remonter les pentes de Tighounathine en direction d'Iouakoren, et pour l'autre emprunter le ravin de l'oued Tinzert, afin de se retrouver, ensuite, au village d'Ighil-Hammad, à une dizaine de kilomètres environ, à l'est du lieu des combats. L'avion chargé de la protection du convoi, un T.6 Morane, n'a pu rien voir sous les cèdres qui bordent la route., mais a quand même mitraillé, à l'aveuglette et à plusieurs reprises, les endroits où nos combattants étaient censés se trouver. Le bilan est lourd. L'ennemi a subi des pertes, estimées à plus d'une dizaine de soldats parmi eux le lieutenant Raymond, commandant le détachement et le médecin-aspirant Faivre. De notre côté, nous avons déploré la mort inattendue du lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de la wilaya et six combattants, et trois blessés. Au final, des armes furent récupérées, dont deux fusils-mitrailleurs, un Mat 49, une carabine US et une paire de jumelles. Pour mémoire, Si Lahlou avait remplacé à la tête du bataillon le lieutenant Mohand Ourabah Chaïb, fauché par une rafale tirée par un avion T6, lors de la bataille d'Ouzellaguen, le 28 février1958, au moment où il se découvrait, pour aller récupérer un mortier 50, que l'ennemi avait abandonné dans sa fuite éperdue. En nous remémorant ces batailles, nous rendons un hommage ému à nos vaillants combattants et à nos glorieux martyrs, tombés au champ d'honneur, pour arracher l'indépendance et la liberté de notre pays des griffes du colonialisme. Pour nous, survivants de cette terrible guerre, c'est un devoir sacré de lutter sans relâche contre l'oubli, en perpétuant les actes héroïques et en glorifiant les sacrifices de nos chouhada.