Tout au long de l'année 1958, les troupes françaises ont subi une offensive de grande ampleur partout à travers le territoire de la Wilaya III. Cette offensive, caractérisée par de nombreuses embuscades meurtrières et d'enlèvements de postes militaires, fut à l'avantage de l'Armée de libération nationale et s'est soldée par de lourdes pertes infligées à l'ennemi. De nombreux prisonniers furent capturés et d'importants lots d'armes et de munitions récupérés. Ces attaques répétées visaient surtout la récupération du plus grand nombre d'armes et de munitions afin de suppléer à l'arrêt, devenu tragique, des convois d'acheminement d'armes en provenance de la Tunisie. Il faut cependant savoir que toutes ces armes de fabrication allemande et britannique dont fut dotée l'ALN ont été, pour la plupart, hors d'usage, essentiellement par manque de munitions. Par contre, celles utilisées par l'armée française sont de fabrication française et américaine. En les récupérant, nos djounoud n'auront plus à se soucier de l'approvisionnement en munitions qui sera à leur porté et accessible à tout moment. Parmi tous ces faits d'armes mémorables, ceux intervenus en zone 2 ne sont pas des moindres. En effet, il y a 58 ans, le mercredi 28 mai 1958, l'une des plus meurtrières embuscades fut organisée dans le site montagneux de Tikjda, à 35 km au nord-est de Bouira, et qui culmine à 1 500 mètres d'altitude, contre un détachement de chasseurs alpins. Il faut savoir que deux compagnies du 22e bataillon avaient choisi d'occuper les locaux de la colonie de vacances des chemins de fer, transformés en caserne, pour y installer leurs quartiers depuis le début de l'année 1956. Un lieu stratégique qui permet le contrôle de tout le secteur, notamment le col de Tizi N'kouilal, un lieu de passage séparant les deux versants de la chaîne du Djurdjura, et le chemin donnant accès à Tala Guilef. L'itinéraire sinueux qui sépare le lieu du cantonnement de cette ville et la régularité des déplacements du convoi avait inspiré les responsables de la zone 2 pour organiser une embuscade. L'observation attentive de ce poste militaire, un point noir dans la région, a, en effet, montré que régulièrement, une fois par semaine, un convoi formé de deux camions GMC, d'une jeep et de deux half-tracks se rend à Bouira, tôt le matin, pour en revenir, dans l'après-midi, chargé de ravitaillement. Une opportunité pour l'intercepter à un endroit choisi, où il sera le plus exposé et qui, au demeurant, présente moins de risque pour nos combattants. La décision est alors prise d'attaquer le convoi à son retour. Le lieu idéal où a lieu l'embuscade étant repéré, il ne reste plus qu'à mettre au point un plan d'attaque que le lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de choc, a tôt fait d'établir avec ses adjoints, chefs de compagnie, et c'est lui-même qui va diriger l'embuscade à la tête de deux compagnies. Tighzarthe est finalement l'endroit choisi pour intercepter le convoi à son retour de Bouira, dans l'après-midi du 28 mai. Il s'agit d'un talweg séparé en deux par un ruisseau et où la route amorce une pente avant de former un large virage en épingle à cheveux. L'endroit est situé le long du parcours, à 4 km du cantonnement des chasseurs alpins. C'est ainsi que le matin, avant l'aube, les deux compagnies du bataillon sont venues s'installer à l'endroit prévu, bien protégées derrière les casemates et les cèdres centenaires. Les djounoud sont disposés en tenant compte de la longueur du convoi et de l'écart observé entre les véhicules, et comme pour chaque embuscade, il est prévu le déploiement de deux sections dont la mission essentielle est d'intercepter l'arrivée de renforts éventuels et de protéger le repli des djounouds. Le jour J, vers 7 heures du matin, alors que le soleil est déjà haut dans le ciel, le convoi traverse en toute confiance le lieu de l'embuscade en se dirigeant, comme d'habitude, vers Bouira, suivi avec des yeux grands ouverts par les djounoud bien abrités, le cœur serré mais manifestement déterminés à en découdre avec l'ennemi. En attendant patiemment son retour, nos vaillants combattants rongent leur frein et passent en revue les consignes strictes de leur chef. À mi-chemin, à hauteur du village Aïn Allouane, les deux half-tracks se détachent du convoi et se postent pour sécuriser le tronçon de route qui, dans un passé récent, à connu plusieurs attaques. Chacun d'eux est armé d'une mitrailleuse calibre 50 et d'une autre de calibre 30, de fabrication américaine. Après les avoir récupérés dans l'après-midi, le convoi de ravitaillement remonte vers Tikjda pour arriver à Tighzarthe aux environs de 17h30. Nous sommes en été et le soleil ne se couche pas avant 21 heures, d'où la nécessité absolue de mener l'action rapidement et de décrocher avant l'arriver des renforts et de l'aviation. Avant d'amorcer le virage, le convoi marque un arrêt pour laisser descendre du camion la section de protection qui va se positionner sur le côté rocheux de la route. Un rituel qui se répète à chaque fois. La Jeep du chef du convoi se met alors en tête du convoi avant que celui-ci ne redémarre pour amorcer la décente et entrer dans le virage où l'attendent les djounoud. Soudain, un déluge de feu déchire le silence. Les fusils mitrailleurs et les mitrailleuses entrent en action et visent notamment les véhicules qui prennent feu. L'assaut est donné et les djounoud se ruent alors pour récupérer le plus possible d'armes et de munitions après avoir éliminé leur détenteur. Puis très vite, l'ordre de décrocher arrive en permettant aux deux compagnies de quitter les lieux, en se scindant en deux, afin de suivre, comme prévu, deux itinéraires différents en direction d'Iwakoren et pour se retrouver ensuite au village d'Ighil Hammad, situé à une dizaine de kilomètres environ à l'est du théâtre des combats. Le bilan est lourd. L'ennemi a perdu un lieutenant, un officier médecin et environs 54 soldats et sous-officiers. De notre côté nous déplorons 7 morts et 3 blessés. Le lieutenant Lahlou Hocini, chef du bataillon de la zone 2, par héroïsme et par excès d'imprudence est lui aussi tombé au champ d'honneur en recevant une balle au moment où il s'affairait, debout sur le half-track, à détacher de son axe la mitrailleuse 50 (12/7). 18 armes ont été récupérées. Pour mémoire, Si Lahlou avait remplacé à la tête du bataillon le lieutenant Mohand Ourabah Chaib, fauché par une rafale tirée par un avion T6 lors de la bataille d'Ouzellaguen le 28 février 1958, au moment où il se découvrait pour aller récupérer un mortier 50 abandonné. En nous remémorant cette bataille, nous rendons un grand hommage aux vaillants combattants et aux glorieux martyrs tombés au champ d'honneur pour arracher l'indépendance et la liberté de notre pays des griffes du colonialisme. Pour nous, les survivants de cette terrible guerre, c'est un devoir sacré de lutter sans relâche contre l'oubli en perpétuant leurs actes héroïques et en glorifiant leur sacrifice. A. A.