Un art consommé porté à un degré de maîtrise inégalé. Exécutés à même la paroi, en grès , les peintures rupestres recèlent toutes les facettes- dignes des grandes écoles modernes ou actuelles. Perspectives, exécution, incision, finesse du trait et des couleurs chatoyantes à couper le souffle. Malgré les affres du temps et les agressions humaines, elles sont encore là pour témoigner du berceau d'une civilisation attestée qui a pris naissance dans cette lointaine contrée de l'Algérie, pour combien de temps encore. Chronologie des découvertes L'art rupestre tassilien dont on attribue la découverte aux missions européennes est familier aux tribus nomades qui parcouraient le Tassili, notamment, la tribu des Kel Meddak aujourd'hui installée à In Abarbar à quelque six kilomètres de la ville de Djanet, après les terribles sécheresses des années 1970. L'emblématique guide issu de cette tribu, Djebrine, fût le compagnon de route d'Henri Lhote qui a contribué à les rendre célèbres en Europe et dans le monde. C'est en 1909 que le capitaine Cortier signale la présence d'un art préhistorique au Tassili N'Ajjer. Il a fallu attendre 1930 pour entrevoir l'importance de ce centre d'art rupestre, à la suite d'autres découvertes signalées par le capitaine Brennans. Mais c'est surtout vers 1950-1951 que les découvertes prirent de l'ampleur suite à une mission dirigée par Yolande Tschumi, ethnologue suisse grâce aux guides Touareg. En 1957, s'ajoutera le merveilleux site de Sefar, signalé par Claude Guichard, membre d'une des missions archéologiques dirigées par Henri Lhote qui rencontra, bien des années plus tard, Redha Malek alors ministre de l'Information ainsi que M.Kerzaki, ancien directeur du parc national du Tassili. Grand ami de l'Algérie, Henri Lhote a effectué un de ses derniers pèlerinages au Tassili et a pu revoir son guide et compagnon, Djebrine. Le climat très sec explique la plus ou moins bonne conservation des peintures depuis l'assèchement du Sahar, soit environ 2000 ans. Ce sont les 3 ou 4 millénaires antérieurs, d'une période plus humide, qui leur permirent de la traverser qui demeurent un mystère. L'observation des peintures montre que la période archaïque (environ 6000 ans) a utilisé fréquemment la couleur blanche et les oeuvres réalisées, pleine pâte, sur la paroi, rend sensible l'épaisseur de la matière, particulièrement pour l'exécution des masques. Les pasteurs artistes de cette époque ont dû délayer leur couleur avec un liant très fluide, eau ou lait, il paraîtrait que la caséine, soit un excellent fixateur et certaines analyses y ont révélé sa présence. Dès son application sur la paroi, le colorant est absorbé par le grès. Des mètres carrés d'ocre qui tapissent le sol constituent les colorants. Les couleurs les plus utilisées sont le rouge, le violacé, le jaune, le brun qui constituent les schistes les plus communs du Tassili. Le gris, le bleu et le vert sont plus rares. La couleur blanche, plus énigmatique, constitue avec le silex et la poterie, les éléments d'une économie rudimentaire, car il fallait aller s'en approvisionner en des lieux précis. La couleur est obtenue en écrasant ces schistes sur une meule dormante, pierre plate polie. A l'aide d'un broyeur ou molette, la poudre ainsi obtenue, mélangée à un liant, était ainsi appliquée sur la paroi. Les oeuvres directement réalisées sur la paroi pourraient expliquer des bovidés à 3 ou 4 cornes ou des personnages à plusieurs bras ou jambes. «L'artiste» corrigeait directement son erreur sans l'effacer. Koumen ou le rite du Lotori A Jabbaren, autre site prestigieux du Tassili, tout semble indiquer que «les peintres naturalistes» de la période bovidienne (2000 à 4000 ans) gravaient leurs oeuvres d'un trait extrêmement fin, incisé, avant de les peindre. Lors d'une exposition du pavillon de Marsau (France ) des relevés de fresques faites par Henri Lhote au Tassili qu'Hampaté Ba, grand savant africain a été conduit à un examen de ces documents. Il lui a apparu que les peintures bovidiennes pouvaient être attribuées à des Peuls pasteurs et nomades. Cette hypothèse reposait sur des indices bien précis: la variété des robes des bovidés, de leur position, leur attitude et les costumes des personnes ainsi que d'autres représentations plus complexes. Le rattachement de l'ensemble de ces peintures à l'initiation traditionnelle des Peuls à la vie pastorale, dont a fait partie Hampaté Ba rend plausible cette lecture des rupestres. Ces croyances et rites ont été longtemps préservés dans les régions d'Afrique noire où les pasteurs peuls étaient fixés. C'est donc en 1961 qu'un texte rédigé par Hampaté Ba, sous forme de plaquette est apparu. Il relate l'initiation du premier pasteur peul, Silé Sadio, et son accession au titre prestigieux de Silatigi, (celui qui possède la connaissance) des choses pastorales et des mystères de la brousse, grade suprême du pastorat traditionnel. C'est le Silitagi qui fixait la date de l'exécution du rite du Lotori qui consistait à faire «un bain général» à l'ensemble du corps social. Les pasteurs se baignaient et procédaient à la lustration des animaux soit au bord d'un fleuve soit d'une mare ou alors tout simplement d'un point d'eau. Cette tentative d'interprétation laisse à penser et avec certitude que le pasteur artiste du Tassili n'a pas peint par souci d'esthétique mais pour traduire, dans le quotidien, son mode d'expression. Percer ce mystère pour en savoir plus, voilà un défi qui nous est lancé depuis maintenant des milliers d'années.