Habile manoeuvrier et orfèvre de la realpolitik, le président turc Recep Tayipp Erdogan était fortement attendu hier par ses «alliés» de l'Otan au sommet de cette organisation militaire qui tient une importante réunion à Vilnius, en Lituanie. De quoi faire se retourner Staline dans sa tombe. L'appétit venant en mangeant, l'Otan a déployé ses tentacules partout en Europe de l'Est et il entend désormais accueillir à bras ouvert la Suède et la Finlande. Cette dernière a obtenu gain de cause puisque Ankara a donné son quitus, en mai dernier, mais le cas de la Suède, estime Erdogan, est différent. Après avoir conditionné son aval à la remise des opposants kurdes réfugiés à Stockholm, le président turc a mis un bémol, histoire de ne pas plomber l'atmosphère lituanienne autour du sommet. La Turquie lèvera son veto à l'entrée de la Suède dans l'Otan contre une ouverture de l'Union européenne à sa demande d'adhésion «ignorée» depuis des décennies sous de multiples prétextes, plus ou moins hypocrites. Cette «condition forte» a été aussitôt décriée par toutes les places européennes, sachant que l'unique et immuable raison du blocage de l'accès de la Turquie à l'UE tient au seul fait qu'elle ne relève pas de la...culture judéo-chrétienne. Mais comme ce sommet crucial de l'Alliance atlantique est dominé par le soutien militaire à l'Ukraine face à la Russie accusée d' «hégémonisme», il est déjà convenu d'accorder à Kiev, faute d'un fauteuil parmi l'Alliance, un strapontin nommé le MAP (Membership action plan), une prétendue antichambre à la candidature à l'Otan qui préétablit un certain nombre d'objectifs de réformes au terme desquelles l'Ukraine ne sera pas sortie du tunnel puisqu'il lui faudra passer encore par d'autres conditions. Sur ce plan le président américain Joseph Biden a au moins le mérite d'être clair, lui qui assure depuis Londres où il effectuait une visite-éclair chez son plus proche allié, qu'une adhésion de l'Ukraine à court terme est totalement exclue. Reste le lot de consolation, des livraisons d'armes de plus en plus massives et de plus en plus offensives comme la fourniture, annoncée ces derniers jours par Washington, de bombes à sous-munitions, des armes éminemment dangereuses pour leur propre utilisateur autant que pour l'ennemi. Ces promesses d'armes surenchéries viennent en complément des dizaines de milliards de dollars d'équipements déjà livrés à l'Ukraine. Reste la condition explicite formulée par Erdogan qui dit aux membres européens de l'Otan «Ouvrez d'abord la voie à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et, ensuite, nous ouvrirons la voie à la Suède, tout comme nous avons ouvert la voie à la Finlande». De quoi refroidir toutes les ardeurs, les «discussions» entre l'UE et Ankara étant figées depuis de nombreuses années sur cette question, alors que le président turc n'a pas non plus renoncé à son exigence première visant les militants extrémistes kurdes présents en Suède.