Ce personnel a besoin d'être pris en charge pour résister aux tentations des sirènes d'outre-mer. Il y a une réalité en Algérie qui s'est enracinée dans les moeurs politiques qui fait que la cooptation et l'interventionnisme pour le choix d'un cadre à un poste de responsabilité donné, et ce à tous les niveaux, sont toujours de mise. Véritables règles invisibles, elles tracent la voie pour une carrière au sein des institutions étatiques. Un ancien cadre gestionnaire d'une grande entreprise nationale nous fera le constat suivant: «L'Algérie ne profite pas de la richesse et du savoir- faire de ses cadres. Ceci se répercute inéluctablement sur la gestion des affaires du pays. L'expérience de tant d'années d'exercice profite souvent aux pays étrangers». La grille d'évaluation des cadres est inexistante chez nous et n'obéit à aucune logique, explique-t-il. Ayant vécu deux expériences successives de gestionnaire à la tête de deux institutions différentes, il nous fera savoir que le cadre gestionnaire algérien, aussi compétent soit-il, est toujours à la merci des états d'âme du responsable de son secteur et parfois paye cash sa rectitude et son honnêteté à servir son pays avec sa conscience. Les conséquences sont aujourd'hui désastreuses. Des secteurs névralgiques manquent de personnel qualifié ; c'est le cas par exemple du secteur de la santé qui a vu le corps de spécialistes en tout genre se rétrécir comme une peau de chagrin, alors que les besoins sont en constante croissance. Les spécialistes en maladie mentale sont devenus une denrée rare. La saignée est aussi profonde dans les autres secteurs. Les universitaires, les ingénieurs, les techniciens spécialistes en pétrochimie, les aviateurs et les médecins, rongés par un malaise profond ont choisi le chemin de l'exil. Les salaires sont aux antipodes de leurs sacrifices. Le Canada est devenu une destination prisée par notre élite. Des milliers de compétences font, aujourd'hui, le bonheur de ce lointain pays du froid qui profite, à moindres frais, d'une mine d'or en Algérie en matière de cadres. Les pays du Golfe sont dans la même situation en accueillant l'élite des cadres du mouvement sportif, de Sonatrach et d'Air Algérie. La saignée ne s'arrêtera pas de sitôt car rien n'est fait pour inciter cette frange de la société à rester au pays. Les timides gestes faits par les pouvoirs publics en matière d'encouragement en direction des cadres supérieurs ne semblent pas en mesure de résoudre la problématique de la «fuite des cerveaux». Les prêts bancaires, les voitures de ser-vice et le logement de fonction ne sont plus suffisants pour rassurer un cadre dont la grille des salaires le classe, par rapport au voisin marocain ou tunisien, est en deçà de la classe moyenne. L'exemple des enseignants universitaires qui touchent quatre ou cinq fois moins que leurs homologues mauritaniens est ahurissant. Un autre cadre qui a longtemps exercé à la tête d'une entreprise étatique aujourd'hui reconvertie par un chômage forcé au monde des affaires, nous fera remarquer que le cadre algérien n'a pas de statut solide qui le protège et nous cite l'exemple de son homologue marocain à qui il a rendu visite récemment et qui a reçu, le jour de sa nomination à un poste de responsabilité, une décision signée par le roi qui lui signifie dans le moindre détail les avantages du poste occupé et les détails de son plan de carrière. Cette décision lui octroie les avantages dus à son rang et qui le motivent à se donner, corps et âme, à son travail sans se soucier des lendemains comme c'est le cas chez nous où les lendemains sont toujours incertains. Un informaticien de formation ayant exercé plusieurs années à Sonelgaz a, quant à lui, attendu longtemps un éventuel logement de fonction pour se stabiliser et assurer un foyer à sa petite famille. Il ne l'aura que le jour où il a eu le quitus pour entrer au Canada. Il n'a pas osé regarder en arrière, préférant aller jusqu'au bout de son projet d'exil. Préférant tenter l'aventure sous d'autres cieux plûtot que de vivre dans la précarité. Ces exemples sont à multiplier par milliers pour se rendre compte que l'Algérie perd un précieux capital humain. Les cadres n'ont pas le droit à l'erreur chez nous comme a tenu à nous le faire admettre un syndicaliste du Cnes qui a vu des collègues, à lui, exercer à l'université, se faire licencier sans aucun état d'âme par la Fonction publique pour cumul de fonctions alors que la logique serait de les sanctionner sans leur faire perdre leur gagne-pain. Personne n'a pensé au tort causé à l'Etat par ce genre de décision. A quoi aura servi la fortune dépensée pour leur formation. C'est une autre façon de les pousser à l'exil. A quoi servira l'argent du pétrole si les projets en chantier sont gérés par des cadres sans qualification et quand les compétences prennent le chemin de l'exil? Comment l'Algérie pourra-t-elle suivre le rythme imposé par l'évolution du monde, quand une bonne partie de son éminence grise quitte le pays et qu'une autre est réduite au chômage forcé faute, d'avoir des appuis dans les centres de décision politique? L'Algérie, et c'est un fait, profite mal de la richesse de son capital humain, sans lequel aucun défi ne peut être relevé. Le développement repose sur la compétence des gens qui gèrent le pays.