Il ne reposera pas auprès d'eux mais il en portera l'empreinte. C'est dans un corbillard tiré par sept chevaux d'un brun foncé devançant un canon doré, surmonté d'une paire de petits obélisques gravées de hiéroglyphes, que Naguib Mahfouz, unique écrivain arabe à avoir obtenu le prix Nobel de littérature, a fait ses adieux à l'Egypte officielle, comme pour nous rappeler cette civilisation millénaire qui aura marqué, de son empreinte, la naissance du roman mahfouzien, celle des pharaons. Tel est apparu Naguib Mahfouz dans la «position» des occupants des pyramides. Son insigne pharaonique. Il ne reposera pas auprès d'eux mais il en portera l'empreinte. Le plus célèbre des pharaons d'Egypte du XXIe siècle a, en quelque sorte, inauguré une mode, presque à son corps défendant, il ne reposera pas dans une des chambres funéraires des pyramides, mais dans le caveau familial situé au sud-ouest du Caire, à la lisière du désert, en direction de l'oasis du Fayoum où il pourra parler aux étoiles, à la nuit tombée, saluer à sa guise ceux qui seront de passage et qui viendront se recueillir sur sa tombe pour lui donner des nouvelles du monde, le monde des petites gens de son quartier de Khan El Khalili, quartier populaire de la ville du Caire qui l'a vu naître un 11 décembre 1911. «Palais», «Désir» «passé» «impasse», des mots et des mots, réminiscence d'une mémoire à construire, des mots qui interpellent, des mots qui disent la vie tout simplement, renouer le fil à chaque fois, ce fil interrompu par les aléas de l'histoire, retour au passé pour mieux appréhender l'avenir, visionnaire peut-être, réaliste certainement, des mots qui en disent long sur l'univers mahfouzien. L'oeuvre de Naguib Mahfouz s'est construite dans le sillage des événements et des soubresauts qui ont jalonné l'histoire de son pays l'Egypte. De la chute de la monarchie en passant par la nouvelle situation politique issue du soulèvement des officiers libres en 1952 mais aussi par les guerres israélo-arabes et les accords de paix signés avec l'Etat hébreu qu'il a ardemment soutenus et qui lui ont valu une levée de boucliers, il fut un acteur attentif de la vie politique égyptienne. L'Egypte officielle a voulu lui rendre hommage, lui qui souhaitait une cérémonie religieuse dans la mosquée située à la lisière du grand souk Khan Al Khalili d'El Azhar et du quartier de la Gamaliyya, qui a vu la prolifération de son oeuvre littéraire. En Egypte les pharaons ne meurent jamais pourrait-on dire, profondément égyptien, profondément «Khalilien», comme Oum Kaltoum, diva de la chanson arabe, Naguib Mahfouz est un monstre sacré de la littérature arabe. Moderne universel, rebelle, il pouvait à la fois être un fin observateur de la vie de l'Egyptien moyen mais aussi prendre des positions les plus novatrices et être un acteur actif de la vie politique de son pays. Controversé, voire détesté, il fut aussi porté aux nues pour ses audaces créatrices. A l'image de son oeuvre, rien n'a été simple pour lui. Il a su extraire de ses romans la sève qui les nourrissait et que ne pouvaient contenir ses rêves les plus fous. Il a fait ses adieux à l'Egypte ce jeudi, pour rejoindre l'Eternité.