Au moins une quinzaine d'Algériens serait parmi les 162 prisonniers arabes et afghans transférés à la base américaine de Guantanamo à Cuba. A cette quinzaine d'ex-combattants algériens dans les rangs des taliban - et, pour certains, dans ceux d'Al-Qaîda - il faut en ajouter six autres remis par les autorités bosniaques aux autorités américaines et qui seraient, selon certaines sources, sur le sol américain et non à Guantanamo. Le sort de cette vingtaine d'Algériens est intimement lié à celui de leurs compagnons arabes, dont la manière de les juger soulève de grands débats à la Maison-Blanche. Toutefois, avant-hier, les autorités yéménites avaient demandé - et obtenu - qu'il leur soit permis de visiter leurs ressortissants à Guantanamo, afin de les reconnaître et d'établir des fichiers utiles les concernant. Pour les Algériens, comme pour les autres prisonniers, c'est le black-out total. Un silence qui en dit long sur la gêne qu'éprouvent les Etats arabes à réclamer des ressortissants aussi encombrants. Le Comité international de la Croix-Rouge (Cicr), seule ONG à avoir effectué une visite à Guantanamo, avait, le premier, soulevé une série d'interrogations relevant du droit juridique international. Par la suite, l'Union européenne, par la voix de son représentant pour la politique extérieure, Javier Solana, avait affirmé que «la convention de Genève doit s'appliquer» aux prisonniers détenus sur la base américaine de Guantanamo. Le débat sur le statut juridique des prisonniers s'est déplacé vers les juridictions américaines mêmes, et secoue, avec de rares convulsions, les enceintes officielles de l'Etat. Colin Powell, secrétaire d'Etat américain, avait demandé au président George W.Bush d'accorder le statut de prisonniers de guerre aux détenus, mais en usant du droit de les juger par des tribunaux militaires américains. Les magistrats américains les plus libéraux commencent à pointer un doigt accusateur sur la Maison-Blanche. Selon eux, il n'y a aucune raison de dénier aux détenus le droit d'être considérés comme des prisonniers de guerre et bénéficier, en conséquence, des articles de la Convention de Genève sur les droits des prisonniers. D'autres questions continuent à agiter la communauté internationale, notamment les ONG humanitaires et le Cicr. Les 162 prisonniers étaient-ils tous combattants taliban ou membres d'Al-Qaîda? La première hypothèse permet aux prisonniers de bénéficier de certains égards dont seraient soustraits les membres présumés d'Al-Qaîda. Car, si les premiers - taliban - sont militaires ou milices combattant pour l'Etat d'Afghanistan, les seconds seraient des éléments d'une organisation aux visées terroristes évidentes. D'autres questions secouent les cercles décideurs américains, comme celle de savoir de quel droit usent les Etats-Unis pour emmener de force des prisonniers et les juger sur son sol, avec ses propres lois, et non avec les lois des tribunaux de guerre internationaux. Le fait, aussi, de les mettre sur la base de Guantanamo est une façon de les placer loin de toute action illégale, dont on pourrait accuser l'Administration américaine. Guantanamo n'est pas un sol américain, mais une base située à Cuba, et permet donc toutes les échappatoires juridiques. Ce qu'il y a de «mieux» dans cette affaire, c'est le «silence assourdissant» des Etats arabes, gênés à l'excès par ce legs encombrant, compromettant, voire périlleux, de ses ressortissants. Pour les Algériens, on connaît le nom des six personnes qui ont été livrées par les autorités bosniaques aux Etats-Unis. Il s'agit de Lakhdar Boumediene, Mohamed Nehla, Belkacem Ben Salah, Saber Lahmer, Aït Aïder Mustapha et Omar El-Hadj. Pour la quinzaine d'autres prisonniers, rien n'a encore filtré, bien que les interrogatoires aient déjà commencé. Pour ces hommes qui n'ont jamais cru qu'en la justice de Dieu, y aura-t-il une justice humaine?