D'un point de vue démocratique, nous sommes confrontés à une vague de coups d'Etat militaires visant à contrôler les systèmes politiques par l'armée aspirant au pouvoir, et prétendant qu'il est impossible d'y parvenir par des élections, en raison de la longévité de ses chefs d'Etat. Cela constitue une raison en soi qui leur a permis de contrôler les rouages de l'Etat et d'établir diverses relations internationales.D'un point de vue rationnel basé sur la réalité régionale et internationale, les coups d'Etat en Afrique sont devenus un moyen de se débarrasser de la dépendance économique et de la présence militaire étrangère, ce qui a fait que les coups d'Etat ont gagné en popularité et ont poussé les gens à les célébrer comme ils célèbraient l'indépendance dans les années soixante. En effet, les réactions de l'Occident, notamment françaises, ont renforcé cette situation, faisant que discuter de la question constitutionnelle et démocratique équivaut à chercher une justification à l'acte de trahison. Depuis son indépendance en 1960, le Gabon n'a connu que trois présidents, Emba jusqu'en 1967, dont le règne a été marqué par le coup d'Etat de John Kilar Obam en 1964, qui n'avait duré que deux jours. L'intervention des forces françaises avait sauvé Emba, ainsi que son chef de bureau, Omar Bongo, qui lui a succédé après sa mort. C'est cette station, qui avait orienté le train du Gabon vers les chemins de son colonisateur français, et a lié son histoire à celle de la famille Bongo de 1967 à 2023, en tant que famille régnante parrainant les intérêts de la France au Gabon et dans la région de l'Afrique centrale, en échange de la garantie de la France sur les dépôts financiers de la famille en Europe. L'éternel allié stratégique Durant cette longue période, Bongo a tissé des relations complexes avec les lobbies régionaux qui drainent les richesses souterraines du Gabon, le commerce illégal des métaux précieux et le trafic de drogue avec son ami le roi Mohammed VI, ainsi que le blanchiment d'argent à travers la succursale de la Banque Commerciale Marocaine connue au Gabon sous le nom de l'Union des Banques et Investissements, et à travers Maroc Télécom aussi. Selon la logique royale, le régime dynastique a tenté de convaincre le peuple gabonais et la communauté internationale que l'on ne pouvait entrer au Gabon que par la porte Bongo ou par l'intermédiaire de ses alliés, tels que Mohammed VI et Ben Zayed, qui se servaient du Gabon dans leur campagne acharnée contre l'Algérie, et en faveur d'Israël, dans les coulisses de l'Union africaine. Il était de plus en plus question de relations familiales plutôt que de relations entre Etats et institutions, et l'allié du roi a pu bénéficier de l'apport des services marocains pour maintenir son pouvoir et ses intérêts et garantir les investissements du roi au Gabon, tout en lui assurant un lieu touristique pour ses visites privées, affranchi des obstacles que rencontreraient certains produits prohibés importés d'Amérique latine. Le président du conseil putschiste Brice Oligui est ciblé par une campagne médiatique occidentale féroce, visant à le décrédibiliser, et à faciliter l'offensive franco-marocaine contre le putsch. Une campagne plutôt favorable au retour de l'éternel allié stratégique des deux pays au pouvoir, en allant à sa rescousse comme ils l'avaient fait avec son père Omar Bongo suite au coup d'Etat de 1964. Le putschiste est accusé d'enrichissement illicite, de trafic de stupéfiants et d'avoir été impliqué dans la gestion des investissements de la famille Bongo. En effet, les Fançais et les Marocains ont des intérêts économiques communs au Gabon, les actions d'Ettidjari banque, sont celles de la Banque de Lyon, et tout investissement financier marocain doit impérativement être validé par la Banque centrale française qui dirige les affaires financières des pays d'Afrique centrale de la zone franc. Actuellement, le destin du Gabon se dessine dans le sillage d'une campagne internationale dirigée par la France au nom de la démocratie, et du lobbying du régime marocain. Cependant, la volonté des peuples finira, certainement, par triompher car la légitimité des putschistes dépend de leur capacité à aller à l'encontre des orientations de Bongo, afin d'éviter de connaître son destin. Cette équation vise à minimiser le rôle du peuple en tentant de parvenir à des règlements politiques qui garantissent les intérêts des différents lobbies et le partage du pouvoir. Toutefois, le temps des deals est révolu. L'exemple du Rwanda est édifiant, ce pays a réussi son challenge économique et social, et s'est érigé en modèle dans la région d'Afrique centrale hors francophonie, après s'être affranchi des lobbies. De son côté, la République centrafricaine continue à essuyer les effets de la crise politique et à subir les conséquences de son expulsion des forces armées françaises. La position de la CEEAC, attendue par les Gabonais, ne devrait pas se distinguer de celle de la CEDEAO pour le Niger. En effet, le siège de l'organisation se trouve dans la capitale gabonaise Libreville, fief de la francophonie. En outre, la région d'Afrique centrale a connu une expérience d'intégration similaire à celle de l'Afrique de l'Ouest, appuyée par une construction régionale coloniale, qui s'était achevée après l'indépendance de ses Etats (CEEAC), ainsi que la CEMAC, autre organisation régionale, reconnue par l'Union africaine, englobant les Etats non francophones d'Afrique centrale. Que fera le Maroc? Le lobbying français se fera à travers la CEEAC. Cependant, cette éventualité est difficilement envisageable du fait que le Gabon est un maillon central de ladite communauté. Par contre, si la solution passe par l'Union africaine ça sera via la CEMAC, et dans lequel cas, la question serait soumise à des Etats opposés aux interventions étrangères, qu'elles soient militaires ou politiques, c'est en particulier le cas du Rwanda et de la Centrafrique. Les protestations populaires au CongoKinshasa, jeudi dernier, contre la présence des forces onusiennes, laisseraient entendre que la région d'Afrique centrale serait elle aussi au centre du rejet populaire de toutes formes d'interventions étrangères. Une autre hypothèse plausible se porterait sur une initiative marocaine pour le règlement de la situation, (tentant de rivaliser avec l'initiative algérienne au Niger). Il serait question de mobiliser et corrompre des acteurs locaux, afin de préserver les investissements et les intérêts de la monarchie, et épargner Ali Bongo tout en transférant ses fonds vers Marrakech. Si cette hypothèse se confirme, elle dévoilerait les véritables orientations du conseil de transition, et révélera sa volonté à lutter contre la corruption et à construire un système politique au service des intérêts du peuple gabonais. Depuis sa création, l'Union africaine avait oeuvré à garantir le développement et la stabilité des Etats africains, en contribuant à installer des conseils de paix et de sécurité sous-régionaux, et en s'appliquant à construire une force d'intervention capable de faire face aux défis militaires. Néanmoins, ses initiatives n'ont pas réussi à apporter un changement notable de la situation difficile que vit l'Afrique, pour des facteurs complexes et étroitement liés, dont le principal reste la présence étrangère sur son sol. En effet, le nombre de bases militaires est supérieur à celui des grandes usines, quant aux multinationales présentes en Afrique, elles s'emploient à spolier les richesses locales. En dépit des tentatives de certains pôles régionaux en Afrique de former un bloc visant le développement du continent, et défendant ses intérêts dans les forums mondiaux en négociant équitablement avec les institutions internationales, des lobbies ont été implantés dans toutes les sphères d'action commune, mobilisant des personnalités et des Etats pour saborder toute opportunité ou initiative prometteuse. Le coup d'Etat est un fait accompli La provocation de conflits internes et régionaux était le principal mode d'action de ces lobbies. Dans le cas du Soudan, scindé en deux Etats distincts, les lobbies ont persisté à vouloir le diviser encore plus, en provoquant un conflit avec la force représentative du Darfour. Dans toute région du Grand Sahara se dressant contre la France, un groupe «djihadiste» est constitué, menaçant la stabilité de l'Etat en question, tout en permettant à la France de s'ériger en protecteur afin de justifier son intervention La solution consiste à faire face à la réalité africaine. L'Union africaine ne devrait pas hésiter à s'engager dans des opérations systémiques et à mener une guerre formelle dans n'importe quelle partie du continent afin de la libérer et d'y préserver la dignité humaine. C'est ce que préconise l'Algérie en tant qu'acteur régional pour le développement et la stabilité. L'initiative de règlement proposée par l'Algérie est une première dans les conflits armés/ ou non-armés, et la gestion politique de sa crise interne en 2019 sans effusion de sang, ont assuré à l'Algérie une crédibilité internationale, et pourraient lui permettre de s'ériger en modèle dans la gestion des conflits politiques internes en Afrique, sans ingérence étrangère ou internationale, de quelque nature que ce soit. Cela nécessiterait un bon marketing et une large diffusion. L'apport de l'Algérie en Tunisie, en Libye et au Mali, a contribué à lui octroyer un statut de leader et un savoir-faire dans lequel elle doit investir encore plus, d'autant plus que ça correspond parfaitement aux principes de la politique étrangère de l'Algérie, fondée sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. La proposition algérienne de règlement au Niger est rationnelle. Le coup d'Etat est un fait accompli qui doit être traité, de prime abord, par le rejet de toute intervention militaire, qu'elle soit occidentale ou régionale (CEDEAO). Ensuite, il faudrait entamer un dialogue interne, ne dépassant pas les 6 mois, en présence du Conseil de transition, et en coordination avec les Etats voisins pour éviter tout dérapage. Concernant la présence militaire étrangère, incarnée essentiellement par les bases militaires américaines et françaises, la décision appartient au Conseil de transition puis à l'autorité élue seule souveraine à l'intérieur de ses frontières. La demande française à l'Algérie d'ouvrir son espace aérien, (bien que démentie par la France) visait à obtenir le consentement tacite de l'Algérie à l'intervention. Si le voisin permet à l'étranger de passer, la déficience émanerait donc du voisin et non de l'étranger, c'est ce que le décideur algérien en matière de politique étrangère a bien perçu. De même, l'Algérie, en tant qu'Etat pacifique, offrira des solutions et des alternatives, et aura son mot à dire si le dossier gabonais venait à être présenté à l'Union africaine. Nonobstant l'antagonisme apparent d'Ali Bongo, l'Algérie est consciente que le Gabon est plus grand que Bongo, et que le peuple gabonais est conscient de la nature des alliances que Bongo construisait. La prétention de popularité clamée par Bongo à l'issue de sa réélection a été réfutée par les manifestations populaires célébrant sa chute, et la fin du règne de sa dynastie. L'histoire post-coloniale de l'Afrique est marquée par le sang de citoyens intègres, qui ont lutté pour la renaissance et la libération économique de leurs pays, tout comme leurs prédécesseurs, qui ont tout sacrifié pour retrouver leur indépendance. Le Gabon a subi le fléau du colonialisme français et continue de souffrir de sa dépendance économique à la Banque centrale de France. En dépit de son énorme potentiel en tant que pays pétrolier, le tiers de sa population vit une pauvreté absolue du fait de la politique française à son égard. En conclusion, nous ne pouvons que souhaiter, que les solutions préconisées soient africaines et que nous assisterons à une intégration économique permettant effectivement de restaurer l'histoire des relations économiques entre le Nord du continent, son Centre et son Ouest. La route du sel et la route de l'or n'ont pas été moins attrayantes que la route de la soie, et si la Chine a pu raviver sa route de la soie, cela devrait nous pousser à revivifier les nôtres afin que nous puissions garantir l'avenir des générations futures.
*Chef département des sciences politiques à l'Université de Tizi Ouzou Mehdi Fettak*