Dans son livre, Le sorcier de l'Elysée, François Bazin raconte que Jacques Pilhan, l'homme qui conseilla les deux présidents François Mitterrand et Jacques Chirac a érigé la posture du silence en stratégie de communication: «Tais-toi si tu veux être écouté.» La rareté de la parole chez un homme public est généralement créatrice d'une envie d'être entendu. Et c'est vraisemblablement la position que semble avoir adopté le président du Conseil du renouveau économique algérien (Crea), Kamel Moula. L'homme, déjà de nature discret, se fait rare sur les plateaux des télévisions et des colonnes de journaux. On ne badine pas avec les mots lorsqu'il est question de stabilité et de sécurité du pays. Mais cette fois-ci, il a décidé de parler et nous fait l'honneur, sur les colonnes de L'Expression, de nous confier quelques détails croustillants de sa rencontre avec le président de la République. En lisant cet entretien, on en sait un peu plus sur nombre de sujets qui marquent l'actualité nationale. On comprend l'approche économique du Président, son soutien indéfectible aux entrepreneurs privés, les tenants et aboutissants de la commission de contrôle qui était destinée au redressement fiscal de certaines entreprises, la question du foncier industriel et d'autres sujets qui intéressent directement les opérateurs économiques. L'Expression: Vous avez rencontré, récemment, le président de la République. Pouvez- vous nous situer le contexte de ce rendez-vous qui, semble-t-il, est intervenu suite à votre demande? Kamel Moula: Depuis la fin de la pandémie, le président de la République a adopté une méthode novatrice pour rester en contact direct avec toutes les composantes de la société civile. Par l'intermédiaire de conférences de presse régulières, le président de la République donne à l'ensemble de la population, les clés de compréhension des orientations et des mesures politiques mises en oeuvre. Et par le biais de rencontres régulières avec la jeunesse, les associations, les opérateurs économiques et autres, il questionne sur l'impact des réformes, écoute et prend note des propositions. Ainsi, à chaque fois qu'il le juge nécessaire, le Conseil du renouveau économique algérien adresse une demande d'audience auprès de Monsieur le président de la République qui donne une suite favorable en fonction de son agenda. Le rendez-vous de ce mercredi dernier répond au même process à la différence près que notre demande d'audience faisait suite aux différentes notes sur divers sujets économiques que nous avions adressées au président de la République ces deux derniers mois. Cette audience nous a permis d'avoir un éclairage sur les différentes problématiques abordées dans nos écrits et de faire un point sur la situation économique dans le cadre de la rentrée sociale. Lors de cette rencontre, vous avez exposé votre point de vue sur la situation du pays et formulé des propositions. Quelle a été l'analyse du président de la République? Nous avons évoqué entre autres les difficultés que le Crea rencontre dans l'accompagnement des opérateurs économiques confrontés aux lenteurs bureaucratiques de l'administration qui ralentissent, voire bloquent le développement des entreprises. Nous avons pu constater que le président de la République avait une vision politique très pointue sur les résistances au changement. Il est très conscient de l'impérieuse nécessité de rassemblement de tous les acteurs autour de l'objectif de construction de la nouvelle Algérie. Le président de la République déploie beaucoup d'énergie pour améliorer la qualité de vie des citoyens et renforcer le secteur économique mais les résistances au changement comme la bureaucratie ou le laxisme de l'administration sont des freins importants au développement. Le président de la République a décidé d'être encore beaucoup plus ferme vis-à-vis des personnes réticentes au changement et nous a recommandé de faire remonter directement aux services de la Présidence chaque situation conforme au droit qui ne trouve pas son règlement dans l'administration. La commission de contrôle a été une opération à l'origine destinée au redressement fiscal des entreprises. Cette commission a produit l'exact contraire de son objectif au point d'être perçue par certains opérateurs comme une sanction et non comme un redressement. Avez-vous abordé cette question avec le premier magistrat du pays? Ce sujet a fait l'objet de plusieurs notes du Crea au président de la République. Nous avions conscience que le président de la République devait prendre le temps nécessaire pour mesurer l'importance des écarts entre sa vision et la mise en oeuvre concrète de ses directives. Nous étions donc persuadés qu'il allait prendre les mesures nécessaires de réajustement au plus tard à la rentrée sociale. Lors de l'audience, nous avons pu constater que le président de la République avait bien pris acte que le procédé mis en place pour lutter contre la fraude ne correspondait pas aux directives qu'il avait données. Nous avons pu sans tabous, en toute sérénité et en toute liberté lui apporter des éléments factuels qui vont à l'opposé de ses directives. Monsieur le président de la République nous a annoncé des nouvelles directives claires et fermes: gel de la commission de contrôle, réexamen de tous les dossiers avec un changement radical de la procédure employée, droit de recours aux entreprises qui se considèrent lésées par la finalité du contrôle et surtout rétablir les opérateurs économiques dans leurs droits en cas d'erreur avérée de la commission de contrôle. Le président de la République a réaffirmé sa confiance envers les opérateurs économiques et notamment ceux du secteur privé. Il a exprimé clairement sa volonté de sauvegarder les entreprises qu'il considère comme un pilier dans la lutte contre le chômage. Posé depuis plusieurs années, le problème du foncier industriel a empêché le déploiement de centaines, voire des milliers d'investisseurs. Où se situent les blocages et qu'a dit le chef de l'Etat à ce sujet? En effet, la difficulté d'accès au foncier est également un des freins au développement des investissements et donc de la création de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois. Le président de la République a déploré le retard pris par l'administration dans l'élaboration et la promulgation de la nouvelle loi sur le foncier. Cependant, il a assuré que nous étions dans la phase finale, les discussions au Parlement étant closes. A priori, l'Agence est prête et pourra être opérationnelle dès le mois d'octobre. Vous avez abordé les problèmes rencontrés par les opérateurs économiques et certains sont interdits d'exporter des produits transformés à l'image des semouleries fabricant des pâtes alimentaires? Avez-vous exposé au Président toutes ces difficultés rencontrées sur le terrain? Concernant ce sujet, en novembre 2022, le Crea a proposé 30 recommandations validées par tous les acteurs pour développer les exportations hors hydrocarbures. Malheureusement, une seule a été mise en oeuvre dernièrement par l'Exécutif. Celle qui concerne l'installation du Conseil national consultatif de la promotion des exportations. Nos autres propositions peuvent être un support pour régler la situation que vous évoquez. Nous espérons que le Conseil national consultatif sur la promotion des exportations dont le Crea fait partie, étudie nos propositions pour donner une nouvelle dynamique aux exportations et répondre aux objectifs fixés par le président de la République. Votre parole se fait rare. Aux polémiques, vous opposez l'apaisement et la sérénité. Mais dans certains cas, la polémique est nécessaire en ce sens qu'elle remue les idées et fait avancer le débat... Le Crea travaille au quotidien à défendre les intérêts des opérateurs économiques et par ricochet au développement économique. Notre ligne de conduite se résume en deux mots: sérénité et efficacité. Au Crea, nous ne croyons pas que la polémique apporte une plus-value. Car pour être constructif, un débat doit avoir lieu dans des conditions de sérénité. Par contre, nous reconnaissons à chacun le droit à sa libre expression pour peu qu'il en assume pleinement la responsabilité. Si on vous interrogeait sur les perspectives, croyez-vous à un décollage rapide de notre économie à en juger par les réformes menées par le président de la République? Notre pays a tous les atouts nécessaires pour devenir un leader économique dans la région. Pour faire décoller rapidement notre économie, nous avons besoin d'encore plus de réformes. Mais aussi de l'accélération de la digitalisation dans tous les services administratifs. C'est le moyen le plus efficace de lutter contre la bureaucratie de l'administration et donc de lever un grand frein au développement économique. La pérennisation de la confiance entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics reste aussi un facteur clé pour impulser une dynamique optimiste chez les investisseurs.