Dans cette interview, Kamel Moula, président de la toute nouvelle organisation patronale baptisée le Conseil du renouveau économique algérien (Crea), évoque les missions et les défis que son association entend relever dans les prochains mois, revient sur cette nouvelle synergie qui se crée entre entreprises privées et publiques et fait le point sur la situation économique du pays, ainsi que sur les challenges qui s'offrent aussi bien aux pouvoirs publics qu'aux opérateurs économiques dans ce contexte postpandémique. Kamel Moula évoque un état d'esprit déterminé de son organisation naissante et pointe les priorités de son action au sein du Crea. La naissance de cette nouvelle organisation patronale a été annoncée samedi dernier à Alger. Parmi les fondateurs du Crea figurent des poids lourds du secteur privé et public, à l'image de Naftal, Saidal, la BNA, la BEA, Cash Assurance, Biopharm, Alliance Assurances, Faderco. À sa création, l'organisation annonce vouloir rétablir la confiance entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics. Le Crea entend également jouer un rôle actif dans "l'accompagnement de la mutation économique en cours". Cet accompagnement passe, selon Kamel Moula, par des propositions ainsi que par une synergie entre opérateurs publics et privés, une union qui, selon le président du Crea, "va permettre de libérer les énergies indispensables pour aller vers le renouveau économique". Kamel Moula ne manque pas d'évoquer dans cet entretien les écueils qui entravent l'investissement et les entreprises non sans pointer le besoin d'accélérer les réformes afin d'affranchir l'économie de l'étau bureaucratique. Liberté : Vous venez de créer une nouvelle organisation patronale dénommée Conseil du renouveau économique algérien (Crea). Quelles sont les motivations ayant été à l'origine de cette initiative et quelles sont les missions dont vous devez vous acquitter ? Kamel Moula : Deux principales motivations sont à l'origine de la constitution du Conseil du renouveau économique algérien. La première est en rapport avec la volonté affichée et annoncée du président de la République de retisser des liens de confiance entre les opérateurs économiques et les pouvoirs publics. Dans ses allocutions du 4 décembre lors de la conférence sur la relance industrielle et celle du 31 décembre lors de ses vœux à la nation, le président de la République a clairement adressé un message aux secteurs économiques, public comme privé, les invitant à multiplier leurs efforts pour redynamiser notre économie. Parallèlement, le président de la République s'est engagé à permettre l'établissement d'un climat des affaires serein et attractif. La seconde est en lien avec les difficultés rencontrées quotidiennement par les entreprises, difficultés qui résultent de plusieurs facteurs. Récession mondiale, les conséquences de la pandémie, la baisse des réserves de changes et son impact sur les importations, la dévaluation du dinar et ses effets sur le pouvoir d'achat des citoyens, la mise en œuvre de nouvelles réglementations qui ne sont pas adaptées aux réalités du secteur économique et, bien évidemment, l'éternelle lourdeur bureaucratique. Face à cela, nous avons fait le choix d'accompagner la mutation économique du pays et d'être des acteurs à part entière dans le dialogue avec les pouvoirs publics et dans la responsabilité citoyenne. Pourquoi le "Renouveau économique" ? Cela suppose-t-il que vous vous inscrivez dans une nouvelle démarche, voire dans une nouvelle approche ? Le renouveau économique est un concept bien connu des opérateurs économiques. Sur le terrain, toute entreprise naît, croît de manière plus ou moins forte, vit et... meurt. Les entreprises qui perdurent dans le temps ont toutes connu un renouveau économique par l'intermédiaire de l'innovation technologique, le renouvellement générationnel de leurs ressources humaines ou le développement de leurs expertises. C'est donc tout naturellement que nous avons adopté cette terminologie, car notre économie nationale a véritablement besoin de bénéficier d'un nouvel épanouissement dans tous les domaines et tous les secteurs. Nous sommes dans la mobilisation générale, celle des pouvoirs publics comme celle des entreprises et des investisseurs, celle de l'Etat comme celle des collectivités locales. L'union des entreprises privées et publiques, de nos talents respectifs, de nos atouts complémentaires, de nos expertises et de nos ressources nous permettra de libérer les énergies indispensables pour aller vers le renouveau économique. Des entreprises publiques sont recensées parmi les membres de votre nouvelle organisation, ce qui laisse croire que, main dans la main, secteur privé et secteur public vont désormais défendre les mêmes causes. Quels sont justement les défis communs que les patrons privés et les gestionnaires des entreprises publiques entendent relever ensemble ? Regrouper dans un même syndicat, dès sa fondation, les entreprises publiques, privées et les start-up est un fait inédit dans l'histoire économique de notre pays. C'est une traduction concrète de la volonté de l'Etat de ne plus faire la distinction entre secteur public et secteur privé et de mutualiser les efforts de tous les opérateurs économiques existants dans un seul objectif, l'essor économique du pays. Nous allons travailler ensemble au développement de nouvelles filières industrielles pour produire nos propres intrants, au déploiement de nouvelles infrastructures et moyens logistiques adaptés à tous, au renforcement des services et du système bancaire pour accompagner à la bonne gouvernance des entreprises. La transition énergétique et écologique va également être au cœur de notre action. Ensemble, nous allons accompagner nos jeunes à déployer leurs talents par l'intermédiaire d'une économie de l'innovation. Public comme privé, nous avons une ambition commune pour notre pays. Pensez-vous que les entreprises privées et les sociétés publiques sont confrontées aux mêmes difficultés et aux mêmes enjeux ? Lesquels ? Nous sommes dans une économie mondialisée et les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées, ne peuvent pas échapper à la nécessité de productivité, de compétitivité et de bonne gouvernance. Car, au bout de la chaîne, il en va de la protection des salariés et de la survie de l'entreprise. Nous avons beaucoup de préoccupations en commun, entre autres innover, gérer la transition numérique, anticiper sur les évolutions du secteur d'activité, recruter des profils performants... Et, pour plein de raisons, nous avons les mêmes difficultés à trouver des solutions à ces préoccupations. Par exemple, l'enjeu de la ressource humaine est commun ; nous avons dans notre pays des millions de jeunes diplômés qui sont sans emploi car leur formation ne correspond pas aux besoins des entreprises. Il devient donc impératif de faire des propositions adaptées concernant les formations universitaires et professionnelles. Quel regard portez-vous sur l'état de l'économie algérienne ? Notre économie est fragile. Malgré la modernisation de l'administration, la bureaucratie qui fait loi génère retard sur retard dans l'édification d'un tissu économique compétitif et entraîne des pertes financières pour les opérateurs économiques et pour le pays. Notre environnement législatif et réglementaire est instable, il ne favorise pas des investissements productifs efficients. La question de l'accès au foncier n'est toujours pas réglée et nous sommes toujours en attente des textes réglementaires. Le climat de méfiance pèse sur les entreprises, entrave le développement, freine l'innovation et empêche la libération des énergies. Enfin, l'absence de visibilité sur notre modèle économique, économie administrée ou économie libérée, est un frein majeur au développement et aux investissements. Le pays regorge d'atouts naturels et de potentialités inexploitées. Si nous développions l'industrie pétrochimique, nous pourrions non seulement produire des intrants que nous importons actuellement, mais aussi devenir un grand pays exportateur des dérivés du pétrole tels le plastique, les détergents, les fibres synthétiques. La volonté de réformer est réelle mais l'absence de concertation élargie avec les opérateurs économiques aboutit à la mise en œuvre de réglementations qui affaiblissent les entreprises existantes et qui sapent le moral des chefs d'entreprise. Cette situation devient intenable pour le pays. Avec le Conseil du renouveau économique, nous voulons apporter des solutions concrètes et inscrire nos actions dans une dynamique de progrès économique et social. Nous souhaitons contribuer à l'établissement d'un environnement économique prospère, durable et responsable sur l'ensemble du territoire national et proposer notre expertise et notre connaissance des secteurs économiques pour permettre les évolutions législatives et réglementaires pertinentes en adéquation avec les réalités du pays. De quelle manière le Crea va-t-il s'organiser et quel rôle entendez-vous jouer dans les wilayas où les besoins quant à l'investissement et au développement sont pour le moins énormes ? Aujourd'hui, nous faisons face à de grandes disparités territoriales. La mobilisation des fonds publics pour les zones prioritaires, comme le Sud ou les zones d'ombre du Nord, doit s'accompagner d'une politique d'aménagement du territoire cohérente. Avant de faire des propositions concrètes, nous avons besoin d'avoir une vision de chaque wilaya en association avec les acteurs économiques locaux. Nos propositions et nos actions ne peuvent pas être uniformes mais adaptées aux enjeux. Il est d'ailleurs fort possible que nous ne raisonnions pas en wilayas mais en territoires de projets, dont le périmètre peut varier en fonction des besoins, des infrastructures existantes, voire même du climat.