Certains croient savoir déjà beaucoup sur la guerre d'Algérie et pourtant pas encore assez pour se persuader que «la société française ne fut pas unanime». Dans son ouvrage Les camarades des frères (*), Sylvain Pattieu propose des éléments de réponse à des questions portant sur l'attitude des Français face à la guerre d'Algérie, - «notamment en ce qui concerne la vie politique». L'auteur, âgé de 26 ans, agrégé d'histoire, doctorant et enseignant à l'Université de Paris VIII, en fait une analyse commentée tout en s'appuyant sur des faits, des récits, des témoignages et des documents authentiques. Il veut rappeler (ou montrer) que «La mémoire de la guerre est une mémoire vive, en France comme en Algérie», estimant qu'«il n'est pas indifférent de savoir, du point de vue algérien comme du point de vue français, que la société française ne fut pas unanime, que des militantes et militants ont risqué sinon leur vie comme les combattants algériens, du moins leur liberté dans la lutte anticolonialiste.» Mohammed Harbi, en préfaçant ce livre, remet dans son cadre naturel la contribution incontestable de ceux, parmi les Français, qui, activant dans des organisations françaises de gauche et d'extrême gauche de la Métropole d'alors, se sont ralliés, en des temps différents, à la notion d'indépendance contenue dans la Proclamation du 1er novembre 1954. Toutefois, tout le sel de l'ouvrage est vraiment dans les intentions de ce dynamique et probe historien pour qui rien n'est au-dessus de la lutte de libération, de l'établissement de la paix et corollairement de la totale solidarité concrète, active et permanente. L'auteur l'explicite, en effet, dans cette profession de chercheur: «Le rôle de l'historien n'est pas de glorifier ou de condamner, mais d'expliquer et de rappeler, plus de cinquante ans après le début de l'insurrection, alors que les blessures parfois se rouvrent et que les acteurs parlent.» Historiquement, il est clair que de nombreux Français (mais donc pas tous les Français, mais pas seulement les héroïques porteurs de valises - «les fameuses valises d'argent» expédiées de l'autre côté des frontières - des réseaux Jeanson et Curiel) ont, à un moment ou à un autre, soutenu la résistance algérienne par la parole, par l'hébergement des militants nationalistes algériens, par l'envoi des armes, par leur volonté de rejoindre le maquis,... Mais comme le souligne judicieusement Harbi: «Seuls les libertaires et les Trotskistes, dans l'extrême gauche, reconnaissent dans l'événement du 1er novembre le début d'une guerre et se montrent prêts à y réagir au nom des principes du socialisme universel, au nom de l'internationalisme.» De son côté, Sylvain Pattieu entend développer dans son livre (à l'origine, un mémoire de maîtrise universitaire), ce qu'il a fallu de courage politique, de volonté militante aux groupes étudiés pour pousser «une logique de solidarité le plus loin, qui ont choisi de ‘'brosser l'histoire à rebrousse-poil''.» La mémoire reste vive; elle raconte la solidarité exemplaire avec un peuple qui lutte pour sa liberté et sa dignité. «La guerre d'Algérie a eu un impact profond et encore mal évalué sur la société française», écrit l'auteur, divisant son travail en quatre parties: Etat des lieux; Le temps de l'isolement; Le temps des dissidences; Le temps des bilans. Le choix délibéré des Trotskistes et libertaires d'aider le FLN dans son combat populaire de libération nationale «fut guidé autant par des convictions de lutte contre le colonialisme que par la volonté pragmatique de soutenir l'organisation, le FLN, qui dirigeait effectivement la révolution algérienne.» Cette solidarité, qui s'est poursuivie, sous plusieurs formes, en Algérie même, après 1962, donne l'intitulé heureux «Les camarades des frères» au livre de Sylvain Pattieu. (*) Les camarades des frères de Sylvain Pattieu. Casbah Editions, Alger, 2006, 255 pages.