«Les batailles que l'on perd sont celles que l'on n'engage pas.» Aboubeker Belkaïd Les cimetières, dit-on, sont pleins de gens indispensables. C'est vrai, cependant, la perte, pour le pays, de personnalités de la dimension de Belkaïd, laisse qu'on le veuille ou non un vide, difficile à combler. Celui qui avait une haute opinion de son pays et de la charge que la nation lui a demandé d'assumer était profondément ancré dans le terroir. De ses différents passages dans la haute administration, il a toujours laissé l'image d'un homme d'Etat qui savait écouter, qui prenait tout son temps pour convaincre avec une force de persuasion sans égale, mais qui savait prendre les décisions qui s'imposaient après s'être assuré par des consultations multiples, en les assumant. Qui se souvient d'Aboubeker Belkaïd comme directeur de l'ENA à qui il a imprimé un style de rigueur connu et reconnu, De ses différentes fonctions comme ministre de l'Habitat, de l'Enseignement supérieur, de l'Intérieur et de la Culture, il avait, chaque fois, laissé un souvenir indélébile. Aboubeker avait l'art du compromis, il disait toujours qu'il faut être opiniâtre et que devant les difficultés, il faut oser, «si on veut faire mille pas, il faut d'abord faire le premier pas, la marche est une succession de chutes évitées». Au fil des mois, lors de son passage à l'enseignement supérieur, il avait contribué à ramener la paix dans les amphis; son empathie a certainement joué beaucoup dans le dénouement des nombreuses crises que l'Université algérienne a connu lors de l'ouverture au multipartisme. Souvent, on était révolté de telle ou telle situation et surtout de la mauvaise, des interlocuteurs sociaux qui confondaient intentionnellement, les problèmes pédagogiques matériels de l'université avec l'idéologie. D'une certaine façon, les partis politiques, déjà, à l'époque, avaient fait de l'université la caisse de résonance de revendication politiques qui ont montré toutes les contradictions de la société algérienne. On l'aura compris l'université a servi d'exutoire à toute la malvie sociale. Il avait cette phrase frappée de bon sens: «Tu peux te faire plaisir en n'acceptant pas de discuter avec des gens de mauvaise foi, ensuite il faudra gérer et ce n'est pas gagné d'avance.» Tout homme a sa part d'ombre. Belkaïd savait valoriser ce qu'il avait de constructif dans les revendications de ses nombreux interlocuteurs. Cette anamnèse rappelle la fameuse phrase du président Abraham Lincoln: «Si tu cherches le mal dans le coeur des hommes, tu le trouveras, alors essaie de chercher le bien.» On se sentait important quand on parlait avec lui, pétri de politesse envers les plus humbles, il avait l'art et la manière de valoriser les personnes et faisaient appel à leur bon sens. Avec lui, on avait l'impression d'avoir eu gain de cause. A sa manière, il avait pour devise le fameux «winn-winn» américain; gagnant-gagnant. C'était, à bien des égards, un humaniste pétri de culture, parfait bilingue, sans en faire «un fonds de commerce», et qui avait l'Algérie au coeur. Si on doit rendre hommage à tous ceux qui sont tombés pendant cette décennie noire, il me paraît moral d'évoquer aussi un autre enfant de l'Algérie en la personne d'Aboubeker Belkaïd qui avait une certaine idée de l'Algérie. J'ai eu le privilège de collaborer avec lui dans la gestion du secteur de l'Enseignement supérieur. Il nous répétait souvent qu'il était l'invité de la famille de l'enseignement supérieur et qu'il était là pour dynamiser une synergie des bonnes volontés. Aboubeker Belkaïd était fasciné par la modernité. Pour lui, il est impossible de se renter dans le développement, en clandestin, si ce n'est après un lent et long parcours initiatique fait de travail à marche forcée, de sueur, de privation, de nuits blanches et d'abnégation. Il a mille fois raison. Force est de constater, cependant, que nous ne prenons pas le chemin de la rédemption, nous sommes riches, mais tragiquement sous-développés. L'Algérie peine à se redéployer, engluée dans des réflexes qu'elle a emportés avec elle en traversant le siècle. Repose en paix, cher Aboubeker, ton sacrifice ne sera pas vain. A l'instar du phénix, l'Algérie se relèvera de ses cendres.