Lorsque les écrits évoquent un symbolisme qui n'appartient pas «à la décoration ordinaire», il représente «dans notre art, une rivière». Tous les écrits de Lacheraf portent cette marque. En publiant en arabe et en français les Actes du Colloque scientifique (18-20 décembre 2004), organisé par l'Association AADRESS et la Revue NAQD en hommage à Mostefa Lacheraf et sous l'intitulé Mostefa Lacheraf, un itinéraire, une oeuvre, une référence, Casbah éditions nous fait une belle gratification éditoriale. Le grand mérite revient d'abord, évidemment, aux organisateurs et à tous ceux qui ont pu contribuer à éclaircir, dans le présent essai, une oeuvre dense et puissante d'un auteur aussi essentiel que demeure Mostefa Lacheraf. Cela est d'autant plus agréable, plus juste, plus équitable, que les contributions sont libres de toutes contraintes dans le choix des thèmes et dans leur rapport direct avec l'auteur, objet d'étude. On y a passé en revue ce qu'il a pu être: l'intellectuel, le militant, le politique, l'idéologue, l'écrivain, le poète, le critique, le sociologue, le pédagogue, le chercheur,...le penseur. La coordination et la présentation des Actes par Omar Lardjane replacent l'hommage dans une remarquable pertinence qui autorise un meilleur accès à la connaissance des écrits de Lacheraf, voire qui favorise une possible élaboration d'une réflexion nouvelle, originale, rigoureuse, certes provisoire, mais assurément utile et donc d'emblée prometteuse, d'un savoir plus approfondi pour un développement et une évolution mieux maîtrisée de «L'Algérie, 50 ans après: Nation/Société/Culture». Bien que l'ensemble des textes traitent impeccablement certains aspects de la pensée et de l'écriture de Mostefa Lacheraf, je ne puis m'empêcher, chemin faisant dans ces enrichissantes lectures, de me laisser émouvoir par les souvenirs de ce très estimable militant syndicaliste et pédagogue, Aïssa Baïod, notre grand aîné, dont le charme est dans sa parole passionnément humaine. Originaire de Bou-Saâda, ville proche de Sidi-Aïssa, commune où est situé El Kerma des Oulâd Bouzayyâne, le hameau natal de Mostefa Lacheraf, Baïod parle de sa propre vie, mais c'est pour nous aider à cerner les sentiments, les inquiétudes et les exigences de Mostefa Lacheraf. Ils sont tous les deux de la même région; ils ont tant de choses à partager; et pour elle, ils ont le même amour et le même respect. Résumant ses impressions au contact de Mostefa Lacheraf, Si Aïssa écrit: «Nous découvrons cet être si viril et courageux, si noble et si lucide, avec un coin d'enfance demeuré fragile et parfois un peu timide.» Ces indications me rappellent quelque peu le physique et le tempérament de mon professeur d'arabe (d'arabe «dialectal», hélas! mais nous étions en 1951) quand d'Aumale (aujourd'hui Sour El-Ghozlane), j'étais venu étudier au Collège moderne de Boufarik. Mon professeur, qui n'était autre que M.Mostefa Lacheraf, aimait les contes populaires et, pour exercice de traduction vers l'arabe dialectal, il nous offrait, un conte écrit en français dont il était l'auteur. Ce conte, si je me fie à ma mémoire, était encore sous forme de feuillets manuscrits; il avait pour titre «Le Jeu de Gaïr ou l'arbre à sept branches». J'en fus doublement fasciné ainsi que trois ou quatre camarades qui étaient Algériens, car nous étions dans une classe qui comptait plus d'une trentaine d'élèves, enfants de pieds-noirs. Je redécouvris une légende de chez nous, aux couleurs et aux accents de ma région (Bou-Saâda, Sidi-Aïssa, Sour El-Ghozlane) et une langue sous-jacente parfaitement parlée, riche, vraie et vivante!... Le témoignage de Slimane Aït Sidhoum, lui aussi originaire de Sidi-Aïssa («deuxième village natal» de Lacheraf) et ce qu'il rapporte des témoignages des habitants de cette ville sous-tendent en quelque manière les travaux de recherche de qualité déjà commencés ici et ailleurs sur «Mostefa Lacheraf: l'homme et l'oeuvre» et expliquent simplement sa personnalité, et mieux que la vanité de cent articles de quelque professionnel en mal de reconnaissance. Au terme du juste hommage qui lui est rendu par l'AADRESS et NAQD, peut-être une réflexion est née: inciter à continuer bellement à travailler dans ce même chantier et à en ouvrir d'autres sur d'autres sujets pour enfin assurer une continuité salvatrice qui apporterait aux Algériens une fraîcheur nouvelle au goût de se connaître et de s'enrichir mutuellement au cours d'une grande rencontre avec eux-mêmes qu'ils doivent organiser de toute urgence et sans cesse renouveler.