«On inculque à nos enfants une histoire tronquée quand elle n'est pas totalement erronée». Il aura fallu attendre plus de quarante années pour voir les blessures se cicatriser. Les acteurs de la guerre pour l'Indépendance du pays parlent plus librement. Certains ont pris leur plume, se sont mis à collecter les fragments de la mémoire pour constituer l'héritage qu'ils devront léguer à leurs enfants avant leur départ. Désormais, ils viennent nombreux aux forums ou conférences qui se tiennent ici et là sur le thème de la guerre de Libération. Ils apportent leurs témoignages sur les faits tels qu'ils les ont vécus dans le feu de l'action. Même si certaines vérités sont dures à entendre, le devoir de mémoire les autorise à céder l'héritage entier aux générations futures afin de les immuniser contre l'amnésie. En France, où la guerre d'Algérie n'est pas totalement assumée, il y a une littérature très riche sur le thème, y compris sur la torture. Désormais, il n' y a plus de tabou. Les débats qui s'y tiennent remettent en cause les livres d'histoire qui restent silencieux sur cet épisode sanglant de l'histoire de France. Des voix courageuses militent pour son intégration dans les manuels scolaires. Notre ministre des Moudjahidine estime, de son côté, qu'il y a des incorrections dans les livres scolaires. Il invite son collègue de l'Education nationale à introduire des retouches. De toutes parts, des voix s'élèvent pour reprocher au ministère de tutelle de ne pas faire assez. «On inculque à nos enfants une histoire tronquée quand elle n'est pas totalement erronée», disait récemment Ahmed Mahsas. Il ne s'agit pas d'un cas d'exception. Lorsqu'on feuillette les manuels scolaires, on découvre des textes hachés aux limites de la caricature. La réduction d'une épopée idyllique à la caricature soulève, bien naturellement, des interrogations. On ne peut répéter à l'envie que la guerre d'Algérie a été «grandiose et unique» dans son genre pour la réduire à sa plus simple expression dans les manuels scolaires. Les historiens se comptent sur les doigts d'une seule main. On peut citer, entre autres, Harbi, Kaddache ou Saâdallah qui ont fait un travail accompli. Mais les matériaux ne sont pas souvent disponibles. Ils doivent impérativement creuser dans une littérature foisonnante de l'autre côté de la Méditerranée. Des milliers de livres ont été écrits sur la guerre d'Algérie. On peut citer les auteurs les plus en vue tels Courrière, Jean-Luc Einaudi, Ageron, Vidal-Naquet ou Stora (un jeune historien très prolifique). Que de fois on a entendu les anciens moudjahidine dire: «Notre histoire a été écrite par Yves Courrière». Ils reprochent à ce dernier d'avoir écrit une genèse romancée, grossissant certains faits et masquant d'autres, sans les restituer fidèlement. C'est peut-être l'une des raisons qui les pousse maintenant à témoigner. Les historiens algériens butent sur le casse-tête des archives. En 1962, les Français ont tout pris. Ces archives sont de deux sortes, explique le ministre des Moudjahidine. Il y a celles qui datent d'avant 1830 qui sont propriété de l'Etat algérien et qui doivent être restituées entièrement et celles d'après qui sont communes entre les deux pays et que l'Algérie a le droit d'exploiter. L'autre aspect, peut-être le plus important parce qu'il marque les esprits, se situe dans l'image. Qui ne se souvient pas des actions héroïques éclatées dans La bataille d'Alger, L'opium et le bâton, Bouaâmama ou Patrouille à l'Est? Ces films ont imprégné les enfants sur leur histoire plus que tous les livres d'histoire volumineux, trop académiques au goût des profanes. La Fondation de la wilaya IV est la pionnière, dans le sens où elle a pris des initiatives concrètes. Elle a entamé la récolte des témoignages là où ils se trouvent en allant vers les gens qui ont des choses à dire. Elle dispose d'un site Internet très utile. On y découvre des témoignages vivants, faciles à lire, qui trempent le lecteur dans le récit. Le ministère de tutelle a pris, de son côté, des initiatives. Il a mis à la disposition du public un CD relatant les phases de l'histoire contemporaine et procédé à la publication de livres et brochures sur le thème de la guerre de Libération. Il est également question de restauration de sites historiques qui s'avèrent indispensables à la restitution de la mémoire collective. Le temps a fait son oeuvre. La communauté nationale, dans son ensemble, s'interroge sur son passé. La crise des années 90 a accentué cette quête. Devant l'échec de compréhension du phénomène nouveau qui a failli mettre le pays en danger, on interpelle le passé pour trouver des réponses. Connaître le passé est déjà un pas vers l'avenir.