«Les livres ont les mêmes ennemis que l'homme: le feu, l'humide, les bêtes, le temps, et leur propre contenu.» Paul Valéry (Extraits de Moralités) Qu'est-ce qu'un livre? Le livre dit-on est là avant même que la lecture ne commence. Il survit à son auteur et à une place particulière que même les supports qui font dans l'éphémère n'arrivent pas à supplanter sa dimension magique. Mais savons-nous tous vraiment ce qu'est un livre? Comment prendre conscience des trois aspects fondamentaux d'un livre? Parmi eux l'aspect matériel (contenant) qui contient le format, la page couverture, le rapport texte-image, les catégories, les thèmes. Parmi les aspects littéraires il nous faut citer le genre (le conte, le mythe, la légende, le roman, la poésie) le thème de l'histoire:le texte (style), les valeurs: perspective narrative (dialogues, vocabulaire, syntaxe), l'intrigue (illustration), les personnages (le héros, les personnages secondaires), le cadre du récit (espace, temps) Enfin, l'aspect communication a toute son importance, il a trait aux créateurs du livre. En dehors de l'auteur sans qui l'oeuvre n'existerait pas, il nous faut citer tous les maillons de la chaîne: l'éditeur, le diffuseur le distributeur, le libraire, la bibliothèque,. Ce préambule donne une idée des différents intervenants pour faire aboutir une oeuvre, un bébé à naître comme dirait un éditeur. Naturellement, la composante coût de revient qui paralyse toute velléité de développement est le paramètre déterminant. De la politique du livre en question Notre propos est justement de donner un avis sur la politique du Livre en Algérie. Le 11e Salon du livre s'est tenu dans l'indifférence générale des pouvoirs publics. C'est un fait, la lecture se perd, les rares bonnes habitudes héritées du colonialisme, à savoir les bibliothèques sont devenues par la force des choses et du peu de considération des responsables en charge, des peaux de chagrin sans réelle vie, d'autant que rien n'est fait pour les rendre attrayantes par l'invitation d'auteurs restés à demeure... Qu'on en juge, il semble que d'est en ouest du nord au sud, il y aurait moins de 200 librairies. Cela revient à environ pour 170.000 habitants. Ce chiffre n'a rien à voir avec celui des pays développés; une librairie par quartier. C'est dire si tout est à faire. Depuis l'ouverture débridée -pour cause nous dit-on de mondialisation- et par mimétisme paresseux, on permet l'importation de n'importe quoi et on censure n'importe quoi, interdisant aux Algériens de ne pas lire les livres qui dérangent les «thaouabets» les invariants dans un monde où tout varie, tout est fluctuant, tout disparaît et réapparaît sous une autre forme, en un mot tout est protéiforme. Au lieu d'apprendre au jeune Algérien, notamment à travers la lecture, les émissions éducatives, à aimer ce qui est beau et à avoir lui-même sa grille de lecture pour reconnaître dans ce qu'il lit ou il voit à la télé et surtout sur l'Internet -véritable cheval de Troie de tout ce qu'on interdit par la porte de la douane et qui nous parvient par la fenêtre de l'Internet-, on fait de l'Algérien un assisté, on décide pour lui du Bien et du Mal rejoignant en cela et dans un autre contexte, la doctrine du Bien et du Mal à l'échelle planétaire. Au lieu d'encourager la lecture en rendant le livre disponible partout, à l'instar des puces et cartes téléphoniques, on attend toujours et depuis cette fameuse politique du Livre et qui est comme l'Arlésienne de Bizet. Jusqu'à quand doit-on gérer à la petite semaine des secteurs aussi névralgiques que celui de la culture, du livre? Jusqu'à quand on permettra l'importation de livres voués au pilon dans les pays européens et qu'on paie à prix d'or ici tuant du même coup toute initiative locale du fait des taxes qui font qu'il est plus rentable d'importer que de produire in situ. Il faut rendre hommage aux éditeurs -les vrais- qui essaient contre vents et marées d'exister en faisant un vrai travail de professionnel. La tenue des salons leur doit beaucoup; au-delà des insuffisances constatées çà et là et qui ne diminuent en rien les efforts faits, il faut bien reconnaître que ce travail est un véritable mythe de Sisyphe toujours à recommencer. Hommage aux éditeurs D'autre part, rien n'incite les auteurs algériens à produire, du fait des délais importants, notamment dans le domaine scientifique et des droits d'auteur dérisoires. De plus, on croit que le fait de ramener des auteurs qui ont choisi de faire leur vie à l'étranger est un signe de développement du livre national, nul n'est prophète en son pays. Il faut bien convenir qu'il n'y a pas de place dans le show médiatique pour les autres, tous les sans-grade. Il va sans dire que ceux qui gelèrent dans le pays et qui n'ont pas l'honneur de la presse ou des médias lourds, n'ont pas pour autant démérités. Quand un Algérien s'installe à l'étranger et arrive tant bien que mal à publier un ouvrage qui connaît un relatif succès, d'une façon ou d'une autre, l'auteur est obligé de rentrer dans «le moule» et de ce fait s'écarte par la force des choses, de ce qui peut intéresser l'Algérien moyen. A titre d'exemple, un ouvrage comme La Grande maison de Mohamed Dib, ou L'Opium et le bâton qui sont des livres cultes et structurants de l'imaginaire de générations d'Algériens, ne sont pas connus, voire ignorés outre, Méditerranée, par contre-certains romans qui «vont dans le sens du poil» ont le droit de cité des journaux et plateaux européens. Peut-on demander à ces sans doute brillants écrivains d'écrire et de décrire le vécu algérien? Cela leur donnerait une audience en Algérie beaucoup plus importante que celle imposée par les médias. Peut-on demander aussi, au vu de l'importance du Livre dans toutes ses dimensions, à ceux qui ont en charge cette immense tâche de nous tracer un cap avec des échéances bien précises autrement que des voeux pieux? Peut-on rêver à une bibliothèque par commune (il y en a 1600), voire village? Peut-on inciter les communes naturellement en les aidant, à se constituer systématiquement des fonds documentaires par achat d'ouvrages édités auprès des éditeurs algériens? Ces derniers seraient encouragés à produire plus, si un quota constant leur est garanti. Peut-on inciter les Algériens in situ à produire, est-il normal que des ouvrages à 10.000DA soient importés et, de l'autre côté, des auteurs scientifiques, qui sont capables de relever le défi et produire des ouvrages de même qualité pour dix fois moins, ne soient pas encouragés? Il est possible que les pouvoirs publics y pensent, l'impatience des uns et des autres dans le délitement de la lecture dans le pays, doit nous inciter à réagir contre, notamment ce constat accablant, les pays arabes produisent moins d'ouvrages qu'un petit comme la Grèce, ou encore que l'Espagne a traduit plus d'ouvrages que tous les pays arabes réunis, et ceci sur plusieurs siècles. Dépêchons-nous de nous prendre en charge avant d'être pris en charge dans le cadre du Mepi (Middle east Initiative). On sait ce qu'il est advenu de l'Irak, seul pays arabe héritier d'une civilisation plusieurs fois millénaire et qui avaient en son sein des citoyens instruits et éduqués au point que des professeurs étaient obligés de se séparer, la mort dans l'âme, de leurs livres, leur nourriture spirituelle, pour acheter...quelques nourritures terrestres dont parle si bien André Gide.